Les cinq points énoncés cette semaine relèvent tous de ce complexe de supériorité qui empoisonne les rapports entre l'Occident et Moscou depuis des décennies. Bruxelles se pose en donneur de leçons à une Russie qui, tel un vieux moujik récalcitrant, ne bouge que sous les coups de fouet. L'UE veut un engagement avec la Russie là où elle croit pouvoir en tirer des bénéfices (comme sur l'Iran ou la Corée du Nord) mais en contrepartie elle ne propose que des enseignements arrogants et des menaces.
Depuis 1991 les pays membres de l'Union européenne ont pu structurer le monde qu'ils habitent selon leurs rêves les plus extravagants
Ainsi, elle entend se «protéger» contre la «désinformation russe», qu'elle appelle une menace «hybride» ; elle entend «soutenir la société civile», c'est-à-dire l'opposition libérale, d'ailleurs très minoritaire ; elle veut renforcer le partenariat oriental dont on sait que le but est de faire rentrer les pays voisins de la Russie dans son giron ; et, bien entendu, elle exige de la Russie (mais visiblement pas de l'Ukraine) le plein respect des accords de Minsk.
Cette liste des courses a tout naturellement provoqué l'exaspération de Moscou qui a réagi un peu comme le député des Républicains, Henri Guaino, face à une énième provocation par Alain Juppé en 2014: «Je croyais que les épreuves de la vie avaient enfin débarrassé Alain Juppé de cette épouvantable arrogance, de cet épouvantable mépris dont il accable depuis toujours tous ceux qui sont en désaccord avec lui.»
Nous n'y sommes pas encore mais nous y serons peut-être bientôt : si effectivement les épreuves de la vie n'ont, de toute évidence, eu aucun effet assouplissant sur la politique européenne, c'est parce que depuis 1991 les pays membres de l'Union européenne ont pu structurer le monde qu'ils habitent selon leurs rêves les plus extravagants. La dissolution et du Pacte de Varsovie et de l'Union soviétique avait créé un gigantesque vide géopolitique qui s'étendait de Berlin à Brest (Biélorussie), et de Narva (Estonie) à Varna (Bulgarie), que les pays européens et leurs parrains américains ont pu exploiter sans aucune difficulté. Saisie d'une folie des grandeurs, l'UE a même cru qu'il était possible de faire disparaître les nations européennes dans un ensemble post-national et post-historique.
L'UE est devenue une vaste arnaque où chaque pays européen vit aux dépens des autres
Mais depuis bientôt cinq ans, les défauts intrinsèques du système européen, contre lesquels les eurosceptiques s'insurgent depuis longtemps sans être écoutés, deviennent de plus en plus évidents. A force de répéter, de façon obsessive, que les défis européens doivent être relevés ensemble par la totalité des pays membres de l'UE, Bruxelles a créé un système d'action collective qui, en réalité, aggrave les problèmes qu'elle entend résoudre.
Elle les aggrave car l'action structurellement commune ouvre, et de façon permanente, la possibilité pour chaque pays membre de l'UE de parasiter les autres. L'Allemagne parasite les autres pays membres de la zone euro car cette monnaie tire ses coûts de production vers le bas, carburant de ses exportations. En contrepartie, la Grèce et l'Italie exportent les migrants qui arrivent en grand nombre, et depuis des années, sur leur sol, vers l'Allemagne. L'UE est devenue une vaste arnaque où chaque pays européen vit aux dépens des autres. Mais ils sont loin, très loin, de l'admettre.
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La divine surprise du vide géopolitique créé en 1991 à donc permis à l'Europe de féminiser sa politique étrangère. Incarnée successivement par deux femmes médiocres, Catherine Ashton et maintenant Federica Mogherini, dont les traits exténués traduisent la réalité qui se dissimule derrière le rêve, cette politique se veut une anti-politique, comme d'ailleurs toute la construction européenne prétend l'être. Finie la force militaire comme instrument principal de la politique européenne ! Finies les luttes de puissance ! Bienvenu au meilleur des mondes où tout se décide autour d'une table et (pour les hommes au moins) avec des tapes familiers sur les épaules ou sur la joue.
Hélas l'Europe est en train de se faire rattraper par cette réalité qu'elle pouvait fuir pendant une époque somme toute exceptionnelle. Si, la force militaire est un instrument de la politique, qu'on le veuille ou non et comme d'ailleurs l'Europe l'admet quand lui semble bon, à chaque fois qu'il s'agit de bombarder un pays comme la Libye ou la Yougoslavie. Si, l'expansion et le renforcement idéologique et militaire de l'UE et de l'OTAN relèvent d'une politique de puissance on ne peut plus traditionnelle. Et si, tout comme en physique, chaque action provoque une contre-réaction, comme l'Ukraine le prouve.
L'échec patent de la politique européenne en Syrie a ouvert une première brèche dans la digue européenne contre la réalité
L'échec patent de la politique européenne en Syrie, qui reste encore aujourd'hui basée sur l'idée fausse que le peuple syrien veut se débarrasser de son «régime» et que celui-ci va bientôt tomber, a ouvert une première brèche dans la digue européenne contre la réalité. Mais il aura fallu un autre événement d'envergure pour que l'UE commence à se rendre compte de son irréalisme dangereux. L'arrivée massive de migrants sur son sol échappe totalement à son contrôle car précisément l'UE s'est rendu mentalement incapable, par son idéologie fondatrice, de prendre les seules mesures qui pourraient les arrêter.
Ces mesures incluent le déploiement, si nécessaire, de la force policière ou militaire, comme l'a très bien rappelé Frauke Petry, porte-parole du parti eurosceptique Alternativ für Deutschland : le tollé suscité par son simple rappel de la réalité banale de tout Etat de droit, et la façon dont ses propos ont été volontairement déformés, prouvent qu'on préfère tirer sur le messager que de résoudre le problème dont il annonce la solution. Pire, les flux migratoires sont aspirés précisément par le mélange de couardise et du politiquement correct de l'UE que les migrants et les passeurs savent parfaitement exploiter.
La fameuse boutade de Lénine - «l'Occident nous vendra la corde avec laquelle nous le pendrons» - semble terriblement adaptée à la situation actuelle, où les valeurs apolitiques et rêveuses de l'Europe la conduisent inéluctablement à sa propre destruction.