Une initiative largement contestée, la loi «Travail» est un paradoxe de plus de «l'attachement fanatique en l’Euro», explique l'économiste Jacques Sapir.
Les manifestations du mardi 9 mars seront un moment dans une mobilisation qui s’annonce de longue durée. Cette mobilisation est appelée à changer la donne politique. Le gouvernement, qu’il s’agisse de Manuel Valls, de François Hollande ou de la Ministre du Travail, Myriam El Khomri, s’est mis de lui-même dans une situation sans issue. Qu’il persiste, et le mouvement prendra de l’ampleur. Nul ne peut savoir s’il atteindra les sommets de mobilisation du mouvement contre le CPE (Contrat Premier Embauche), mais cette mobilisation sonnera le glas de toute candidature issue du parti « socialiste » à l’élection présidentielle de 2017. Qu’il cède, et retire son projet, et nos gouvernants se verront discrédités dans les yeux de ce centre-droit auquel ils ne cessent de faire des avances, de lancer des oeillades. Ici encore, ils pourront tirer un trait définitif sur toute candidature issue de la matrice du P « S ». Politiquement, ceci est un véritable désastre.
Dire que tout ceci est fait pour permettre un meilleur accès à l’emploi est un énorme mensonge
Un désastre volontaire ou le paradoxe de l’Euro
Pourquoi donc le gouvernement, et le Président, se sont-ils donc mis dans une telle situation désastreuse à plus d’un titre ? La réponse tient en quelques mots : leur attachement fanatique en l’Euro et, au-delà, en une Union européenne dont il est aujourd’hui évident qu’elle est à bout de souffle et qu’elle a épuisé tout son potentiel, si tant est qu’elle en ait jamais eu. Le rôle de l’Euro dans cette mascarade que l’on appelle la « loi Travail » est évident. Tous les manuels de macroéconomie disent que quand on ne peut plus user de la flexibilité du taux de change, ce sont les salaires qui doivent devenir flexibles, autrement dit c’est sur les salaires que portera l’essentiel de l’ajustement. Et c’est très précisément ce qu’organise cette loi. On voit bien qu’en fragilisant toujours plus la situation des salariés dans l’entreprise, elle aboutira à faire baisser les salaires des plus fragiles, c’est à dire des plus démunis. La destruction du Droit du Travail est un préalable à cela, et une fois ce Droit démantelé rien ne s’opposera plus à la baisse des salaires, et par conséquence à l’augmentation des « travailleurs pauvres » comme en Allemagne aujourd’hui.
Dire que tout ceci est fait pour permettre un meilleur accès à l’emploi est un énorme mensonge et, si nos gouvernants étaient similaires à Pinocchio leurs nez traverseraient les murs des palais de la République. Un chef d’entreprise n’embauche que s’il a des possibilités d’accroître son volume de production, et s’il pense que cet accroissement sera (relativement) durable. C’est par la demande et non par l’offre que l’on s’attaque à la question du chômage en période de déflation.
Une baisse des salaires est TOUJOURS plus douloureuse qu’une dépréciation de la monnaie car les loyers et les frais bancaires eux restent fixes
L’Euro et les logiques de déflation des années 1930
Le rôle néfaste de l’Euro est ici évident. En empêchant un ajustement par le taux de change, il met l’économie française dans la même situation qu’en 1935 avec la « déflation Laval », dans le cadre de la parité-or. Pierre Laval, de sinistre mémoire mais qui était loin d’être un imbécile, avait conclu que si la France voulait à tout prix conserver la parité-or de cette époque, elle n’avait pas d’autre solution que de faire baisser les salaires. Mais, une baisse des salaires est TOUJOURS plus douloureuse qu’une dépréciation de la monnaie car les loyers et les frais bancaires eux restent fixes. Par ailleurs, les prix des produits s’ajustent avec un retard évident sur les mouvements des salaires quand ces derniers baissent. Le résultat est une baisse à prix constants de la consommation, qui aggrave encore plus la situation de la demande et provoque un chômage supplémentaire. C’est ce que l’on a constaté en Allemagne de 1930 à 1932 avec la politique du chancelier Brünning, soutenu à l’époque par les sociaux-démocrates du SPD…On sait ce qu’il en advint. L’incapacité de nos gouvernants à ouvrir les yeux sur ce point est une preuve de plus qu’ils sont comme possédés par ce fanatisme de l’Euro qui les entraîne au désastre, désastre qu’ils accueillent le sourire aux lèvres.
Le fruit amer du TSCG
La loi Travail, dite encore loi El Khomri du nom de la Ministre qui la porte sans l’avoir engendrée, était inscrite dans le traité dit TSCG, traité qui fut négocié par Nicolas Sarkozy mais que François Hollande fit voter, quasiment inchangée, dès le mois d’octobre 2012. Il faut le rappeler, mais avec quelques amis, dont Emmanuel Todd et le regretté Philippe Cohen, nous avions publiquement mis la question de ce traité en tête de nos préoccupations, et nous avions appelé à ne pas voter pour François Hollande si ce dernier persistait à ne pas vouloir soumettre le dit traité à référendum. Car, nous étions pleinement conscient des conséquences de ce traité et de la perte de souveraineté qu’il entraînerait. Il est du domaine de l’Histoire que François Hollande se garda bien de soumettre à référendum le dit traité, et c’est pourquoi – à la différence d’autres qui aujourd’hui se réveillent – nous n’avons pas appelé à voter Hollande au second tour de l’élection.
On peut considérer que nos dirigeants ne sont plus que des automates exécutant des politiques qu’ils n’ont plus décidées
Aujourd’hui Costas Lapavitsas appelle à « exiger la souveraineté ». Il dit des choses qui sont fort justes sur ce point, et en particulier que « La souveraineté nationale et populaire est l’élément indispensable pour battre en brèche la souveraineté du grand capital et des grandes banques en Europe ». Ceci est pleinement justifié. On mesure à quel point la perte de souveraineté a des conséquences néfastes sur la condition des salariés et sur les acquis sociaux.
La mascarade dans la mascarade
Il est enfin une autre mascarade, celle qui consiste à se dire opposé à la loi El Khomri, comme le font des membres du Parti « socialiste », de Gérard Filoche à certain « frondeurs », en passant par la direction du PCF, et de jeter toute l’opprobre sur François Hollande, Manuel Valls et Myriam El Khomri. Bien sur, en bons exécutants des consignes de l’Eurogroupe et de l’Union européenne, ils portent une part de responsabilité dans la situation actuelle et dans l’économie de la loi. Ceci est irréfutable. Mais, il est tout aussi irréfutable que c’est la logique de l’Euro, et aussi en partie celle d’une Union européenne qui permet tous les dumpings sociaux et fiscaux, qui ne laisse que cette solution. De ce point de vue, on peut considérer que nos dirigeants ne sont plus que des automates exécutant des politiques qu’ils n’ont plus décidées. Le pouvoir de décision, c’est à dire la souveraineté, est à Berlin et à Bruxelles, mais plus à Paris.
De ce point de vue, la cohérence veut que l’on ne se mobilise pas contre cette loi sans s’attaquer, aussi, à ses causes. La mobilisation contre la loi El Khomri qui est en train de monter sera, de fait, une mobilisation contre l’Euro et tout discours prétendant le contraire ne sera, lui aussi, qu’une mascarade, du même type que celle que nous propose ce gouvernement.
Source : russeurope.hypotheses.org
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