Face à la stigmatisation des jeunes musulmans, une crainte s’est installée au sein de la communauté, estime le président de la fédération nationale des musulmans de France Mohamed Bechari.
RT France : Pensez-vous que le rôle de la Russie dans la résolution du conflit au Proche-Orient est significatif ?
Mohamed Bechari : Devant le terrorisme et Daesh, on doit être tous unis. Il n’y a pas aujourd’hui une politique américaine, ou arabe, ou européenne, ou turque, ou russe. On doit avoir une politique globale. Je crois que l’approche de la Russie avec des frappes directes sur Daesh a donné des résultats.
Aujourd’hui, le rôle de la Russie est très important. Non seulement important, mais il est attendu par l’opinion publique internationale, avec ce qui se passe en Syrie, en Irak, avec cette évolution de Daesh et de ce fléau du terrorisme. Nous les Occidentaux, nous sommes victimes à la fois de ces jeunes qui partent là-bas et puis avec ce sang qui coule et cette instabilité que vit la région du Proche-Orient.
Il y a donc une crainte qui s’est installée au sein de la communauté musulmane
RT France : Ala suite des attentats du 13 novembre, comment les musulmans de France font-ils face à l’islamophobie ?
M. B.: La communauté nationale a aujourd’hui une attitude qui est compréhensible parce qu’elle voit à travers des Mohamed et Fatima un terroriste et un daeshiste. C’est tout simplement bête de penser comme ça, mais en même temps, il y a une inquiétude qui s’installe au sein de la communauté musulmane. Elle se sent coupable, on la montre de doigt. Il y a une montée incroyable de l’islamophobie à travers la France, avec ces frappes qui touchent les mosquées, des insultes qui touchent les femmes musulmanes voilées. Aujourd’hui, il y a donc une crainte qui s’est installée au sein de la communauté musulmane.
RT France : Comment peut-on remédier à ce problème des jeunes qui partent en Syrie ?
M. B.: Sur quelque 12 000 combattants européens de Daesh, près de 2 000 sont Français. 25% de ces 2 000 sont d’origine franco-française et pratiquement 20% sont des filles. Ces jeunes qui vivent dans les périphéries, dans les banlieues, qui veulent une certaine «justice sociale», Daesh leur montre que c’est le rêve d’un Etat, d’un califat.
Il faut qu’il y ait une réforme de la religion musulmane
Donc pour lutter, il faut assurer le plan idéologique de daeshisme, de djihadisme, du combat armé, de dire que ça, ce n’est pas l’islam, ce n’est pas la religion. En même temps, il faut combattre toutes les injustices sociales dont sont victimes certains des jeunes qui partent aujourd’hui.
RT France : Que font les organisations musulmanes pour empêcher les gens de partir ?
M. B.: Notre travail en tant qu’organisations musulmanes est de travailler sur la contextualisation des textes sacrés. Il faut qu’il y ait une réforme de la religion musulmane, on ne peut plus continuer à penser ici et maintenant avec quelques lectures qui sont en déphasage avec le temps et l’espace.
Deuxièmement, il faut qu’on travaille sur la formation des imams, il faut arrêter avec les imams auto-proclamés. Il faut qu’il y ait un discours cohérent, qui prend en compte les souffrances des petits jeunes dans les banlieues ou des quartiers défavorisés, afin de les protéger de toutes les influences idéologiques qui peuvent intervenir quant aux discours religieux.
Troisièmement, il faut absolument rétablir l’ordre dans le Proche-Orient. Aujourd’hui il y a cette inquiétude qui s’est installée dans le Proche-Orient. La crise et cette guerre en Palestine… Il faut trouver une solution pour la question palestinienne. Il faut trouver une solution à la question syrienne. Il faut rétablir l’ordre en Irak. Là où il y a l’anarchie, ça pousse des jeunes à aller rejoindre ces maquis.
Le fait d’essayer de banaliser le racisme, l’islamophobie – demain on va récolter ce que nous avons semé
RT France : Un grand nombre de réfugiés qui arrivent en France sont de confession musulmane. Est-ce que vous travaillez sur l’intégration de ces gens dans la communauté française ?
M. B.: Le droit international protège les réfugiés, l’asile politique. On ne quitte pas son pays d’origine par mépris, on le quitte parce qu’on est forcé de le quitter. La fuite des guerres, la fuite des assassinats. La France et l’Europe doivent absolument protéger ces minorités. Par-là, on ne peut pas comprendre aujourd’hui qu’il y ait des voix politiques de droite et de gauche dans certains pays européens qui refusent et qui s’opposent encore à l’arrivée des réfugiés politiques. Ou pire : donner des quotas aux réfugiés politiques. Donc nous, en tant que responsables de la communauté musulmane, nous demandons aux politiques européens d’assumer leur intégration concernant le respect de la charte européenne, des droits de l’Homme, la charte universelle des droits de l’Homme, avec toutes les résolutions onusiennes, et au même temps de travailler sur l’intégration des jeunes et des moins jeunes via l’école, l’ouverture des écoles pour ces jeunes.
RT France : Est-ce que l’Etat français travaille suffisamment pour intégrer les réfugiés et empêcher l’amalgame entre l’islam et le djihadisme ?
M. B.: Il faut reconnaitre qu’aujourd’hui dans l’absence d’un vrai projet social, d’un projet sociétal, ont refleuri des tendances et les partis de la haine, de la xénophobie, du racisme, ceux qui veulent dresser les communautés les unes contre les autres. Et nous croyons qu’il y a encore des hommes politiques qui essaient de marier les principes fondateurs de la République : l’égalité, la fraternité, l’amour entre les communautés. Mais on voit malheureusement que certains hommes politiques qui nous gouvernent ont des propositions et des positions inacceptables qui ne sont pas des positions républicaines. Et je crois qu’aujourd’hui il ne faut pas jouer avec le feu. Le fait d’essayer de banaliser le racisme, l’islamophobie – demain on va récolter ce que nous avons semé.
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