Le désormais ex-ministre des Affaires étrangères était plus royaliste que le roi, estime le géopolitologue Alexandre Del Valle en livrant à RT France son analyse de la démission du chef de la diplomatie française.
RT France : Que signifie pour vous le départ de Laurent Fabius?
Alexandre Del Valle : Je pense que cela ne fait que prolonger le phénomène qui avait été engagé après le Bataclan, mais auquel François Hollande avait pensé et qui était d’assouplir la position de la France. Monsieur Fabius avait une position, pendant très longtemps, trop radicalement anti-Bachar, anti-Iran et anti-Hezbollah, qui nuisait à la stratégie plus lucide qui consistait à réunir autour d’une table tous les acteurs pour lutter contre Daesh et les djihadistes. Cela veut dire qu’il est possible que son successeur, Jean-Marc Ayrault, soit un peu moins radical par rapport à l’axe que j’appelle Syro-chiite ou Chiito-iranien. Je pense qu’il sera un peu plus pragmatique. Et de toute façon, cela va dans l’air du temps puisqu’on est en train de débloquer un certain nombre de restrictions vis-à-vis de l’Iran, mêmes si rien n’est définitif.
C’est la fin d’un ministre qui était un ministre du passé et qui était resté très étroitement à la fois anti-iranien et très pro-saoudien et pro-Qatar. Je pense qu’aujourd’hui cette vision ne satisfait pas non plus les électeurs. C’est là que Hollande est très habile. Il a compris que cette stratégie ne payait pas. Les électeurs ont compris quelle est la véritable menace aujourd’hui pour les Occidentaux mais aussi pour les Russes et pour les Iraniens, c’est la même, c’est la menace islamisto-sunnite.
Laurent Fabius est un homme du passé
RT France : En partant, Laurent Fabius a accusé la Russie et l’Iran de complicité. Est-ce que c’est juste de le dire au moment où la Russie est activement impliquée dans le combat contre Daesh ?
Alexandre Del Valle : Non, c’est là qu’on se demande ce qui anime Monsieur Fabius. J’ose croire qu’il n’a pas d’intérêts occultes, j’ose croire que c’est seulement le résultat d’un homme qui est intelligent mais qui est un homme du passé. C’est vrai qu’il a bien connu l’affaire du terrorisme quand il était Premier ministre. C’est vrai que le Hezbollah, l’Iran et la Syrie ont tué beaucoup de Françaisà l’époque, il ne faut pas l’oublier. Mais, peut-être, à défaut de l’oublier, faut-il encore savoir tourner la page. Le monde de 2016 n’est pas celui de Fabius quand il était Premier ministre. Je pense que son problème, c’est qu’il n’a pas changé son logiciel et qu’il est, à mon avis, un homme qui s’inscrit aveuglément dans une stratégie suiviste vis-à-vis du pôle sunnite, intégriste, qui est celle du Golfe, notamment de l’Arabie saoudite et du Qatar. Il est aveuglé par son expérience du passé, parce qu’il est traumatisé par le terrorisme pro-iranien des années 1980-1990. Il est trop lié – c’est le défaut de son gouvernement – aux pays du Golfe. Peut-être est-ce pour des raisons économiques, parce qu’ils veulent vendre des produits français. C’est peut-être même une bonne intention en soi…
Aujourd’hui, c’est vrai que Bachar fait partie du problème. Mais c’est vrai aussi que Bachar fait partie de la solution
RT France : Laurent Fabius a également critiqué les Etats-Unis pour ne pas d’avoir fait tomber Bachar el-Assad au début de la campagne syrienne. Est-ce que vous pensez que cette critique des Etats-Unis va se poursuivre sous son successeur ?
Alexandre Del Valle : Non, moi, je pense que le fait qu’il dise cela au moment où il part, c’est peut-être un indice que, justement, c’est quelque chose qu’un ministre en exercice ne peut plus dire. C’est quand-même une bonne nouvelle qu’il parte, même si je pense qu’il serait parti de toute façon. Il dit cela parce qu’il est frustré, il n’a pas pu obliger le président à suivre sa stratégie. N’oubliez pas qu’en France, selon la Constitution de la cinquième république et selon la tradition depuis les années 1960, c’est le président qui a la mainmise sur la diplomatie, le ministre des Affaires étrangères, normalement, n’est que la personne qui applique les décisions de l’Elysée. Et depuis quelques temps, les conseillers diplomatiques de Hollande devaient lui donner des conseils qu’il n’avait pas envie de suivre et il ne supportait plus de ne pas pouvoir exécuter sa politique que j’appellerai «jusqu’au-boutiste», qui est à mon avis une politique déséquilibrée qui ne favorise pas la paix. Aujourd’hui, c’est vrai que Bachar fait partie du problème. Mais c’est vrai aussi que Bachar fait partie de la solution. Moi, je pense qu’il fait autant partie de la solution que des problèmes. Nous n’avons pas le choix. Même les Russes sont pragmatiques, ils ont dit à plusieurs reprises, qu’ils ne sont pas viscéralement attachés à la pérennité de Bachar. Ce n’est pas pour lui qu’ils se battent, c’est pour des intérêts stratégiques puissants, mais ils accepteront une alternative le jour où le moment sera venu, et pour l’instant, le moment n’est pas du tout opportun pour opérer une transition et retirer Bachar du pouvoir. A l’heure actuelle, même les Américains sont moins extrémistes que ne l’était Fabius, qui en la matière était plus royaliste que le roi.
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