Le Brexit va-t-il provoquer l’invasion de la Grande-Bretagne par les réfugiés annoncée par le Premier ministre britannique ? John Laughland, chercheur à l'Institut de la Démocratie et de la Coopération, se penche sur la question.
Si nous avions besoin de la terrible légèreté du Premier ministre britannique, et de sa façon de faire la politique y compris internationale, il vient de nous la fournir.
Essayant d'attiser les peurs auprès de la population britannique devant l'éventualité d'une sortie de l'Union européenne, David Cameron a déclaré qu'en cas de Brexit, la France pourrait dénoncer le traité du Touquet, selon lequel les contrôles frontaliers britanniques et français sont effectués au départ de chaque pays, et non pas à l'arrivée, et que par conséquent la «jungle» des migrants actuellement à Calais se déplacerait dans le Kent.
Cette affirmation contient plusieurs amalgames, inexactitudes, incohérences et mensonges. Elle nous donne une idée de la manière dont les pro-européens britanniques entendent mener leur campagne: avec de la désinformation.
Tout d'abord, il n'y aucun lien entre l'appartenance britannique à l'Union européenne et le traité du Touquet qui est un traité bilatéral entre la France et le Royaume-Uni. Il prévoit les contrôles frontaliers français en Grande-Bretagne et les contrôles frontaliers britanniques en France. Ce traité et les traités européens sont totalement indépendants les uns des autres.
Deuxièmement, affirmer que la France dénoncerait ce traité comme mesure de rétorsion contre un Royaume-Uni ingrat qui aurait osé quitter les structures de Bruxelles, c'est affirmer que les partenaires européens du Royaume-Uni sont prêts à recourir au chantage pour atteindre leurs buts. C'est d'abord une insulte à l'égard de la France et ensuite une vision bien déformée de la fraternité entre pays membres dont les défenseurs de l'UE affirment qu'elle est le fruit principal de la construction européenne.
La réalité est que la jungle à Calais n'est que la partie visible d'un iceberg créé par Schengen
Troisièmement, et c'est peut-être l'aspect le plus grave, cette remarque montre à quels moyens ignobles les pro-européens sont prêts à recourir pour avancer leur cause. Pour comprendre la bassesse de la manoeuvre de Cameron, il faut avoir à l'esprit que les problèmes à Calais sont le résultat d'au moins trois facteurs.
Premièrement, ils sont dus à la politique laxiste de la France en matière de la protection de ses frontières, et surtout à l'abolition des contrôles frontaliers sur le continent européen par les accords de Schengen. Ce laxisme s'applique tant aux frontières qu'à l'intérieur du pays: si la France était un Etat de droit, les forces de l'ordre arrêteraient la totalité des habitants de la jungle à Calais, dont aucun n'a un titre de séjour pour la France, et les refouleraient à la frontière. Au lieu de cela, les autorités françaises n'arrêtent que ceux qui manifestent contre les manquements graves de leur Etat.
La force d'attraction incontestable que le Royaume-Uni exerce sur des populations susceptibles d'émigrer est liée à certains facteurs qui sont totalement indépendants du traité du Touquet
Deuxièmement, aucun traité au monde, signé ou dénoncé, ne pourra faire changer la géographie des Iles Britanniques, séparées du continent par la Manche. On ne peut pas passer de la France en Grande Bretagne comme en Allemagne. Or, on a beau reproché aux Britanniques le fait que tant de migrants veuillent se rendre en Angleterre, la réalité est que la jungle à Calais n'est que la partie visible d'un iceberg créé par Schengen. Un clandestin désireux de se rendre en France depuis un pays voisin passe inaperçu car les postes frontaliers français avec les pays membres de Schengen ont été abattus; le clandestin ne devient visible que lorsqu'il doit franchir un étau comme une frontière fermée ou la Manche. Les milliers de migrants qui continuent à arriver tous les jours en Europe restent majoritairement invisibles car ils évitent désormais les frontières fermées comme celle entre la Serbie et la Hongrie. Ils n'étaient devenus visibles pendant quelques jours l'an dernier qu'au moment de la fermeture de celles-ci. La jungle à Calais est donc, au moins en partie, une conséquence de la géographie immuable.
Troisièmement, la force d'attraction incontestable que le Royaume-Uni exerce sur des populations susceptibles d'émigrer est liée à certains facteurs qui sont totalement indépendants du traité du Touquet. D'abord la langue anglaise, que tout le monde parle, rend la vie facile à un très grand nombre de nouveaux arrivés. Ensuite, l'effet «boule de neige» fait qu'une fois un immigré arrivé dans un pays, il encourage souvent ses frères et ses cousins, et ensuite toute sa famille, à venir le rejoindre.
Se rajoute à cela le fait que le Royaume-Uni poursuit une politique d'immigration effrénée depuis plus d'une décennie. Elle accueille chaque année 600.000 migrants légaux (avec 300.000 départs annuels). Cette immigration nette légale est l'équivalent de l'implantation annuelle de cinq fois la ville de Bath et entre 100 et 200 fois la population de la jungle à Calais. Le résultat de cette politique, qu'aucun gouvernement n'a réussi à mater, sans doute parce qu'ils ne le veulent pas, se voit dans les rues de Londres, où seule une minorité de la population aujourd'hui se déclare «blanc britannique», comme dans celles de toutes les grandes villes britanniques.
Cette fuite en avant vers un modèle new-yorkais est soutenue tant par les grandes entreprises toujours preneuses de nouvelles sources de main d'oeuvre à bas prix que par l'idéologie du politiquement correct, qui est très mise en avant par les autorités britanniques comme par les médias qui chantent souvent les louanges de ce pays devenu multiculturel et cosmopolite. Certaines écoles se vantent, par exemple, de n'avoir aucun élève dont la langue maternelle est l'anglais.
Face à ces flux migratoires gigantesques, la «jungle» à Calais n'est qu'une triste opérette, un épiphénomène sans aucune importance réelle. Camoufler tous ces enjeux sous le seul leurre du traité du Touquet, et au profit d'un sensationnalisme à court terme dont le but est d'effrayer et d'embrouiller l'électorat, comme le fait le locataire du 10 Downing Street, c'est tout simplement de la mauvaise foi.
LIRE AUSSI : L’Union européenne dévoile ses propositions pour éviter un Brexit
Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.