L'affaire des syndicalistes de Goodyear n'est pas un cas isolé - mais plutôt symptomatique. Pierre Lévy, rédacteur en chef du mensuel Ruptures, s'attend à des événements plus graves à l'avenir.
Le 12 janvier, le tribunal correctionnel d’Amiens condamnait huit syndicalistes de l’ex-usine Goodyear à 24 mois de prison, dont 9 mois ferme. Les «criminels» comparaissaient pour avoir retenu pendant trente heures (sans violence), en 2014, plusieurs cadres dirigeants, alors même que la direction de la multinationale américaine Continental organisait la fermeture de l’établissement de fabrication de pneus. L’affaire sera rejugée en appel. Le 4 février, partout en France, des milliers de salariés ont manifesté leur solidarité contre cette injustice.
Car le verdict a provoqué la stupéfaction. Même les commentateurs les moins habitués à soutenir le monde du travail ont souligné le caractère sans précédent d’une telle peine. L’incident ciblé par le procès constituait en réalité l’épilogue d’une bataille qui a opposé pendant près de sept ans une majorité de salariés de l’usine à la direction de choc de la firme américaine : Goodyear entendait imposer, par le chantage à la fermeture, une remise en cause des conditions et des horaires de travail. Et ce selon un modèle de flexibilité… dont l’esprit va être repris dans la réforme en cours du Code du travail, réforme impulsée par l’Union européenne.
L’acharnement du parquet pourrait bien constituer un indice sur l’état d’esprit des dirigeants mondialisés, en France et en Europe
C’est cette résistance à l’«air du temps» qui a été punie, de même que la détermination des syndicalistes à refuser les manières feutrées du «dialogue social». Mais, plus fondamentalement, l’acharnement du parquet (alors que les plaignants avaient retiré leur plainte) pourrait bien constituer un indice sur l’état d’esprit des dirigeants mondialisés, en France et en Europe. Ceux-ci semblent faire montre d’une fébrilité croissante face à des crises qu’ils ont provoquées, mais dont ils peinent désormais à garder ou à récupérer la maîtrise. Et ce, à trois niveaux.
Tout d’abord, il est difficile d’extraire cette sévérité du contexte de l’état d’urgence. La radicalisation répressive des puissants contre le monde du travail pourrait ainsi être une manière d’enjoindre aux syndicalistes de choisir : ou vous acceptez d’être des «partenaires sociaux», ou on vous traite en «terroristes».
Good Year, en quelque sorte
Ensuite, on sent gronder des mouvements sismiques dans les tréfonds de l’économie mondialisée. Des vents en principe favorables se retournent en leurs contraires : la dégringolade du prix du pétrole met en difficulté des pays producteurs «qui sont aussi les clients de nos exportations», s’inquiète le patron des patrons allemands ; les bas taux d’intérêt vont de pair avec une déflation potentielle et une croissance atone ; pour contrer cette langueur, les banques centrales ont déversé des centaines de milliards de liquidités, dont le pouvoir déstabilisateur n’est plus à prouver.
Enfin, ce qu’il est convenu de nommer «la crise des réfugiés» semble désormais hors de contrôle. Le rétablissement en cascade du contrôle des frontières sape l’esprit même de Schengen, se lamente-t-on à Bruxelles, où certains commencent déjà à évoquer «la fin de l’Europe». Et d’autres dossiers explosifs se profilent, comme la perspective du référendum britannique. Bref, parmi les dirigeants européens, les inquiétudes sont de plus en plus vives et visibles. On leur souhaite donc une bonne année…
Good Year, en quelque sorte.
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