Le créateur du documentaire sur l’Ukraine «Les masques de la révolution», diffusé le 1er février sur Canal+, Paul Moreira subit une vraie chasse à l’homme, estime Olivier Berruyer.
RT France : L’ambassade d’Ukraine à Paris a demandé à Canal+ de ne pas diffuser le documentaire de Paul Moreira sur l’Ukraine pour des raisons politiques. Est-ceunepratiquecouranteenFrance ?
Olivier Berruyer : Non, c’est la première fois que je vois ça. Enfin, c’est quand même assez osé pour une ambassade d’aller faire pression sur une chaîne d’un autre pays pour qu’elle ne diffuse pas une émission. On est donc proche du sentiment d’impunité qui a cours en Ukraine. C’est triste mais malheureusement il y a de plus en plus de pressions sur nos médias pour aller dans ce sens-là et sur Canal+, Vincent Bolloré [actionnaire principal] a déjà fait reprogrammer un reportage qui avait été fait par des Français sur une banque française il y a quelques mois.
RT France : Est-ce que cela peut être qualifié de censure ?
Olivier Berruyer : Oui, ça y ressemble un peu. On voit qu’il y a une volonté très claire de ne pas avoir le moindre débat à propos d’un documentaire. Peu de monde l’a vu avant sa diffusion. Il semble assez tempéré, il montre un certain nombre d’éléments assez clairs et factuels sur la crise ukrainienne qu’on a extrêmement peu vus en France et en Occident, et en particulier le rôle des milices de l’extrême-droite, qui sont, certes, minoritaires, mais enfin, une minorité armée, ça peut faire beaucoup de dégâts, comme on l’a d’ailleurs vu lors des évènements de Maïdan.
On voit des réactions totalement hystériques avec une poignée de russophobes qui s’excitent sur Paul Moreira
RT France : L’ambassade d’Ukraine a également envoyé à Canal+ une liste de films sur la révolution de Maïdan à diffuser. Pensez-vous que la direction de la chaîne s’en servira ?
Olivier Berruyer : Je ne sais pas, mais dans ce cas-là, il faudrait absolument donner à nos médias une liste de reportages assez intéressants à diffuser chaque fois que Bernard-Henri Lévy passera dans nos médias, ce qui se produit quand même un peu plus souvent que la diffusion des reportages de Paul Moreira.
RT France : Pensez-vous que la démarche de Kiev va provoquer une réaction à l’international ?
Olivier Berruyer : J’ai été assez surpris des réactions déjà assez vives en France sur cette affaire, qui est quand même extrêmement étonnante pour un reportage qui va passer presque dans la nuit sur une chaîne cryptée française. C’est assez stupéfiant. Mais cela montre qu’à l’international, des gens s’intéressent à cette petite affaire. En tout cas, ce qui serait extrêmement intéressant, c’est non pas d’interdire le reportage de Paul Moreira, mais d’avoir beaucoup plus de «Paul Moreira» qui fassent des reportages sur l’Ukraine. On aurait peut-être des regards différents, permettant à chacun de se faire une opinion un peu plus précise de la situation. Pour les médias, il s’agit absolument de donner à leur pays une image de manichéenne. Cela veut dire qu’il doit y avoir des gentils et des méchants. Bien sûr, on soutient les gentils... Souvent dans des dispositifs extrêmement complexes, comme en Libye, en Irak ou en Syrie, dès qu’on veut montrer la complexité des choses, cela détruit complétement la propagande de guerre. On voit des réactions totalement hystériques avec une poignée de russophobes qui s’excitent sur Paul Moreira, qui est par ailleurs victime d’une vraie chasse à l’homme. Faut-il y voir un hommage aux propagandes de guerre anti-allemandes d’il y a un siècle ? En période de guerre, il n’y a plus d’information, il n’y a que de la propagande.
On voit qu’on est vraiment sur un blasphème, sur une question devenue quasi-religieuse
RT France : Paul Moreira estime que beaucoup de faits concernant l’Ukraine ne sont pas abordés par les médias occidentaux. Etes-vous d’accord avec lui ?
Olivier Berruyer : Oui, bien sûr. Moi-même, j’ai passé l’année 2014 à analyser cette propagande et à essayer de montrer tout ce que les médias ne montraient pas afin de donner une représentation plus neutre, sans forcément prendre parti. Surtout en France – c’est ce qui est extraordinaire – on n’a aucun intérêt, nous, en Ukraine. Ce n’est pas du tout une zone d’influence historique de notre pays. On devrait donc pouvoir regarder ça avec du recul, en débattant tranquillement, quitte à ne pas être d’accord. Mais on voit qu’on est vraiment sur un blasphème, sur une question devenue quasi-religieuse. On a l’impression que Paul Moreira est venu briser des icônes, alors qu’il fait simplement son travail de journaliste et pose des questions.
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