La levée des sanctions occidentales contre l’Iran, à l’heure où l’économie mondiale est en pleine tourmente, pose la question de l’impact de cette nouvelle donne sur les principaux acteurs et sur l’économie même de la région. Analyse de Pepe Escobar.
L’Iran est de retour avec fracas. Et quel fracas. Les règles narratives occidentales simplistes permettent qu’après les sanctions de l’ONU, des Etats-Unis et de l’Union Européenne – même si dans les faits, certaines sont toujours en place – l’Iran est en train de rejoindre les marchés mondiaux.
C’est peut-être le cas, entre les négociations d’achat de 114 avions Airbus et l’arrivée prochaine du pétrole iranien sur les marchés occidentaux. Mais la question clé actuellement est celle de savoir comment, à quelle allure et avec quels partenaires Téhéran prévoit de rejoindre les marchés mondiaux.
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Actuellement, toute cette agitation tourne bien évidemment autour du pétrole. Le vice-ministre du pétrole iranien pour le Commerce et les Affaires internationales, Amir Hossein Zamaninia, a déclaré que le nouvel objectif d’exportation est de 500 000 barils supplémentaires par jour d’ici quelques mois. Téhéran peut en effet augmenter sa production de 600 000 barils par jour dans six mois et aller jusqu’à 800 000 avant la fin de l’année.
Le partenariat stratégique réellement déterminant est l’axe Pékin-Téhéran
Même les analystes pétroliers les plus pointus ne savent pas en réalité ce que cela pourrait signifier en termes de lutte ouverte et totale pour les parts de marché entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Mêmes certains départements de médias corporatifs occidentaux ne font plus confiance aux tactiques divisionnistes des Saoudiens sur leur stratégie de pétrole pas cher, essentiellement mise en place pour nuire à l’Iran et à la Russie.
Ce qui est certains est qu’en ce moment même, l’Iran vend déjà davantage du pétrole. Plus de 1 000 lignes de crédits ont été ouvertes dans les banques, d’après le président Hassan Rouhani. La faim en énergie des Européens est excitée. Même avec les démentis non démentis, c’est un fait que les dirigeants de Shell, par exemple, sont déjà à Téhéran, en train de discuter du «potentiel énergétique» iranien, renforçant leurs positions en tant que «principal partenaire» iranien en énergie. Pendant ce temps, les pétroliers iraniens sillonnent déjà les mers couverts par l’assureur britannique Lloyd’s.
L’Iran, une nouvelle Chine ?
Parmi les prétendants à cette folle ascension au titre de rien d’autre que de «Nouveau maître de l’Univers» nous avons : le président chinois Xi Jinping, actuellement en tournée très médiatique au Moyen-Orient en Arabie saoudite, Egypte et bien sûr, Iran. C’est la façon mesurée et bien calculée de Pékin de vendre littéralement son projet de Nouvelle Route de la Soie en augmentant soigneusement sa «coopération stratégique» dans la sphère énergétique. Prenons l’exemple de l’accord sur la coopération stratégique signé ce mardi à Riyad entre Aramco et le Sinopec chinois. Cela peut peser plus de 1,5 milliard de dollars américains, mais il y en aura d’autres dans son sillage ; après tout, l’Arabie saoudite demeure le fournisseur en pétrole brut le plus important de la Chine.
Cependant, ici, le partenariat stratégique réellement déterminant est l’axe Pékin-Téhéran. La Chine est le partenaire commercial le plus important de l’Iran depuis 2010, ainsi que le premier acheteur de pétrole brut iranien et de produits non pétroliers (minerai, agriculture) même sous le régime des sanctions de l’ONU, des Etats-Unis et de l’UE.
Pékin a participé activement à consolider l’accord nucléaire conclu en juillet dernier, prêtant son soutien à la Russie derrière la table des négociations.
Dans le domaine du «Pipelineistan», les relations entre l’Iran et le Pakistan tendent à se stabiliser
Et pour le prouver au monde entier, Xi est le premier chef d’Etat à se rendre en visite officielle en Iran depuis que les sanctions liées au nucléaire ont été levées le week-end dernier.
Tout cela mène à une question qui se pose sur le long terme : est-ce que l’Iran est la nouvelle Chine, la nouvelle aubaine du développement capitaliste, et est-ce que l’Iran mettra à présent en place un projet de développement à la sauce chinoise, contrôlé de manière centrale ?
Ce qui est certain c’est que le guide suprême Ali Khamenei a souligné à plusieurs reprises que la reprise des négociations avec les Etats-Unis ne touchaient que la question du nucléaire. Et il a averti de manière répétée que les conséquences culturelles, politiques et sécuritaires de l’ouverture économique pourraient en fin de compte affaiblir la République islamique.
Tout est inconciliable ici
Donc oubliez l’Iran en tant que partenaire des Etats-Unis. Cela n’aura pas lieu. En Occident, le partenaire privilégié sera l’Union Européenne, surtout concernant l’investissement dans l’énergie et sur le marché vaste, jeune, éduqué et quasiment «vierge» de l’Iran.
Et puis, il y a l’intégration dans l’Union économique eurasiatique.
Les relations avec la Russie restent solides, qu’il s’agisse de la nécessité de sécuriser les frontières du Nord de l’Iran ou de contrebalancer l’encerclement américain (qui reste toujours en place). Téhéran et Moscou ont toujours besoin de résoudre le problème du statut de la mer Caspienne. Mais les deux partagent de sérieux intérêts stratégiques dans la région s’étendant du Caucase à l’Asie Centrale, englobant la lutte contre le djihadisme salafiste (dont la matrice idéologique n’est personne d’autre que l’Arabie saoudite) jusqu’à un impératif beaucoup plus crucial : la conduite par l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) du mécanisme de sécurité de l’Asie centrale visant à limiter toutes les options de Washington.
Cela signifie que tôt ou tard, peut-être dans quelques mois, l’Iran deviendra un membre à part entière de l’OCS.
Cela ne fait pas de mal à personne que l’Iran reçoive finalement les missiles S-300 russes et que leur coordination politico-militaire prend son plein effet, regardez par exemple ces missiles de croisière lancés depuis la Caspienne en octobre dernier contre Daesh, en traversant l’espace aérien iranien.
A la fois en Syrie et en Irak, le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine, ainsi que l’Iran, partage les mêmes objectifs de base : soutien au gouvernement de Damas et de Bagdad, maîtrise de l’OTAN et lutte contre le djihadisme salafiste en général. On peut en dire autant de l’Afghanistan, de l’Iran et de l’OCS, qui vont faire tout leur possible pour empêcher l’Afghanistan de devenir une plateforme durable des djihadistes.
Et dans le domaine du «Pipelineistan», les relations entre l’Iran et le Pakistan tendent à se stabiliser, après tout Islamabad a vraiment besoin d’un gazoduc entre l’Iran et le Pakistan (IP) qui deviendrait finalement IPI (arrivant en Inde avec laquelle l’Iran entretient d’excellentes relations).
Soyez prêt à être payé en yuan. Et tout le pétrole passera en Chine
Et cela nous amène de nouveau à l’ultime confrontation : la vicieuse guerre par procuration entre Téhéran et la Maison des Saoud (qui est en train de s’effondrer) sur plusieurs scènes, du «Syrak», via le Bahreïn, le Yémen et le marché pétrolier.
Tout est inconciliable ici. Le wahhabisme (foyer du djihadisme salafiste) contre le chiisme. La monarchie tribale, dynastique et corrompue contre une république née d’une révolution populaire. Un parapluie américain transformé en arme qui s’étend au-dessus du golfe Persique contre l’anti-impérialisme militant.
Le voyage au Moyen-Orient de Xi Jinping ne peut absolument pas fonctionner comme un remède messianique. La relation stratégique qui compte est celle entre Pékin et Téhéran, que cela s’agisse de la sphère énergétique jusqu’à l’intégration à l’Union économique eurasiatique en passant par la route de la soie. Mais Pékin a aussi besoin du pétrole saoudien.
Le prince guerrier Mohammed bin Sultan aux commandes à Riyad pense vendre Aramco. Pourquoi ne pas le proposer à Pékin ? Mais, soyez prêt à être payé en yuan. Et tout le pétrole passera en Chine. Et voilà une Nouvelle Route de la Soie que personne ne pourra refuser.
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