Ce qui se cache derrière l’idée de «primaire» au sein de la gauche, c’est la volonté d’esquiver le débat fondamental sur le programme qu’un président devrait mettre en œuvre, estime l’économiste Jacques Sapir.
Un certain nombre de personnalités de la gauche viennent de publier dans un quotidien une tribune appelant à une primaire pour désigner le candidat de la «gauche» à l’élection présidentielle de 2017. Cet appel contient certaines choses avec lesquelles ont peut être en accord. Mais, le sens de cette initiative tend plus à obscurcir qu’à éclairer le débat. Fondée sur une illusion, cette initiative ne peut avoir que des résultats contraires à ceux qu’affichent certains de ses promoteurs.
Un appel «anti-Hollande»
Cet appel se présente comme une «réaction» aux succès électoraux du Front National aux dernières élections régionales de décembre 2015. Il affirme que le système politique est bloqué ce qui induit que : «Faute de propositions satisfaisantes, de perspectives claires et de résultats tangibles, nos concitoyens sont nombreux à s’abstenir aux élections, quand ils ne s’abandonnent pas aux promesses insensées et au discours de haine du Front national». Mais, on remarquera qu’il ne produit nulle analyse des raisons fondamentales de cette situation. Et pour cause : les participants à cet appel viennent d’horizons et de positions trop diverses pour qu’un accord sur ce point soit possible.
Dans les faits, cette tribune constitue un appel contre une nouvelle candidature de François Hollande. Ceci est parfaitement compréhensible. Le bilan du mandat de François Hollande est en effet tout à plein désastreux. Qu’il s’agisse de son bilan politique, avec l’échec patent sur le chômage, l’absence de politique économique remplacée par un simple saupoudrage de subventions aux patrons (à l’efficacité dérisoire), le reniement éhonté des promesses de campagne, la perpétuation de la tendance à l’affaiblissement de la République ou une politique étrangère calamiteuse, ou que l’on regarde dans le domaine symbolique où sous les oripeaux d’une présidence prétendument «normale» se cache un président jouisseur et la perpétuation des habitudes de clientélisme et de corruption, ce bilan est l’un des pires depuis le début de la IIIème République. La méfiance exprimée par les signataires de ce texte envers une nouvelle candidature de François Hollande se comprend donc parfaitement, et on la partage.
Mais, fallait-il pour dire cela en passer par un «appel pour une primaire» ? Il y a là un singulier manque de courage de la part des signataires. Comme si, paralysé parce qu’il leur apparaît par l’énormité de leur constat, ils cherchaient une forme d’euphémisation de leur propos. Cette euphémisation fait perdre une grande partie de sa force potentielle à cet appel. Car, des primaires à gauche, il y en eut, en 2007 et en 2012. On sait ce qu’il en est advenu. La campagne de ces primaires a été l’occasion d’un formidable déferlement d’hypocrisie. Et, aujourd’hui, nous avons comme Premier-ministre un homme qui a fait à peine 5% des voix lors de la primaire de 2012.
Primaire et démocratie
En fait le mécanisme de la primaire soulève énormément de problèmes du point de vue démocratique. Il ne faut pas oublier qu’initialement ce mécanisme a été conçu comme un contournement des partis, une manière de faire disparaître la voix des militants en la noyant dans un ensemble indistinct. Ce contournement peut se justifier si l’on fait le constat que les partis politiques, et le P «S» en particulier, ne sont plus des appareils démocratiques mais sont devenus le champ clôt de clientèles particulières, de mécanismes de corruption qu’ils soient directs ou indirects. Mais, si tel est bien le cas – et l’on se souvient du conflit qui opposa Arnaud Montebourg aux dirigeants de la Fédération des Bouches du Rhône du P «S», conflit qui alla jusqu’à des menaces physiques – alors c’est le parti qu’il convient de changer et de défaire. La primaire apparaît alors comme une rustine, certes nécessaire à un moment, face à un navire qui prend l’eau. Mais, les rustines ne sont pas des solutions pérennes.
Le mécanisme de la primaire implique aussi qu’il n’y aurait pas de divergences importances de ligne politique au sein du camp qui se définit comme «la gauche». Comme si la ligne fédéraliste de Daniel Conh-Bendit était la même que celle de Thomas Piketty, ou que ces positions étaient compatibles avec celles des militants du Parti de Gauche ou d’autres. L’irréalisme de cette proposition saute aux yeux. Au-delà, se pose la question du débat nécessaire qu’il faudra avoir, car certaines des positions ne sont tout simplement pas conciliables. L’un des plus grands reproches que l’on peut faire à cet appel est qu’il présente comme une réalité homogène un espace politique qui est profondément et durablement divisé. Que cette réalité ne fasse pas plaisir aux signataires est une évidence et, encore une fois, on peut le comprendre. Mais il faut avoir le courage de faire face à cette réalité. C’est Jean-Luc Mélenchon qui, encore une fois, a mis les choses au point. En refusant de participer à la cette «primaire» il fait éclater l’illusion consensuelle qui se cache, aussi, derrière ce projet.
La primaire ou le débat ?
Cette illusion consensuelle, l’idée que l’on pourrait par la discussion et le débat, arriver à faire émerger un candidat commun à ceux qui ont voté pour le traité budgétaire européen (le TSCG) comme à ceux qui ont voté contre, à ceux qui préparent la liquidation des services publiques et de l’école républicaine et à ceux qui refusent et d’opposent de toutes leurs forces à ces néfastes projets pour ne citer que ces points de clivages, cette illusion est le principal problème que soulève cet appel.
Ce qui se cache derrière cette idée de «primaire», et ce en dépit de la bonne volonté évidente de plusieurs des auteurs du texte, c’est donc aussi la volonté d’esquiver le débat fondamental sur le programme qu’un (ou une) Président(e) devrait mettre en œuvre. Et, ce débat ne pourra aboutir à un accord. Entre les tenants de différentes formes de soumission à l’UE et à l’Allemagne et ceux qui perçoivent que la constitution d’une autre politique pour la France, qu’il s’agisse de la politique économique bien entendu mais aussi de la politique étrangère et du problème lancinant de mettre fin à la décrépitudes de la République, implique une rupture avec l’UE telle qu’elle existe et avec l’Euro, il ne pourra y avoir de compromis. Cela impliquera très certainement une pluralité des candidatures.
Source : russeurope.hypotheses.org
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