A l'occasion des 20 ans de la mort de François Mitterrand, Christophe Barbier, directeur de l'Express et auteur d'une biographie sur les derniers jours de l'ancien président, revient sur l'héritage politique et sur les zones d'ombre de ce dernier.
«J'ai eu la chance de ne pas le fréquenter assidûment», avertit l'auteur des Derniers jours de François Mitterrand. «Ceux qui le fréquentaient trop devenaient soit des courtisans, soit des critiques absolus. Quand on a été comme moi dans une forme de distance, ça permet d'éviter ces deux travers».
Avec impartialité et précision, Christophe Barbier revient pour RT France sur la personnalité d'un des hommes de gauche les plus complexes du XXème siècle et sur les multiples dimensions de son héritage.
Référence pour les uns, diable machiavélique pour d'autres, 20 ans après sa mort, Mitterrand fascine encore.
Un héritage difficile à assumer
«La gauche a un double problème avec l'héritage Mitterrand», résume Christophe Barbier. «D'abord, elle l'a elle-même coupé en morceaux, pour trier le bon du mauvais, donc elle serait malvenue de reprendre Mitterrand en bloc ; seul Mélenchon le fait ! Et puis Mitterrand est mort il y a 20 ans, donc se référer trop à lui ancre dans un passé qui n'a plus de valeur aujourd'hui».
Les leaders de gauche qui veulent avoir un avenir doivent révérer Mitterrand, mais ne pas se référer à Mitterrand
Comparant François Hollande à son prédécesseur, Christophe Barbier est sans pitié : «Si dans la pratique, il fait son petit Mitterrand – il divise, joue les uns contre les autres, gère des contradictions... – il n'a pas la puissance et l'ascendant sur son camp que pouvait avoir François Mitterrand».
En somme, l'héritage de François Mitterrand, se résumerait surtout à une gauche orpheline, en doute idéologique et en doute sur son leadership.
«La gauche est dans une triple crise qui n'existait pas du temps de Mitterrand», conclut Christophe Barbier. «Il avait défini le socialisme, il avait un programme et personne ne le contestait comme chef».
La gauche est dans une triple crise qui n'existait pas du temps de Mitterrand. Il avait défini le socialisme, il avait un programme et personne ne le contestait comme chef
Selon un sondage, 2 français sur 3 auraient un bon souvenir de sa présidence. Une simple nostalgie envers une personne disparue ?
Christophe Barbier trouve «normal» que deux français sur trois admettent garder un bon souvenir de Mitterrand. «C'était les années 1980, il y avait un débat politique, l'idéologie existait encore», justifie le directeur de L'Express, concédant à l'ancien président une dimension intellectuelle exceptionnelle, qui rendrait selon lui les personnages politiques actuels comme des nains.
«Aujourd'hui, on est dans une période de grande confusion, où on ne sait plus ce qui distingue la gauche de la droite. Mitterrand maniait les concepts et les idées de manière très articulée, sans penser à la reprise télévisée ou à Twitter ; c'était un puit de culture, qui truffait de référencements ses interventions».
Mitterrand maniait les concepts et les idées de manière très articulée, sans penser à la reprise télévisée ou à Twitter
La stratégie mittérandienne vis à vis du Front National : éternelle référence de la gauche pour affaiblir la droite ?
Interrogé sur la question de la gauche et du Front National, que Mitterrand avait propulsé afin d'éliminer ses adversaires de droite, Christophe Barbier rejette toute analogie. «La gauche n'a plus la même attitude cynique qu'avait François Mitterrand à l'égard du Front national. A l'époque, il avait volontairement fait monter le FN pour embêter la droite et gagner les élections».
Mitterrand avait allumé l'incendie FN. La gauche d'aujourd'hui, pour faire barrage au Front national, n'a pas hésité à faire hara-kiri aux régionales
Mitterrand, un pétainiste ?
Récipiendaire numéro 2202 de l'ordre de la Francisque, délégué du Service national des prisonniers de guerre, François Mitterrand prêtait en 1943 le serment suivant : «Je fais don de ma personne au Maréchal Pétain, comme il a fait don de la sienne à la France. Je m'engage a servir ses disciplines et à rester fidèle à sa personne et à son œuvre».
Cette décoration et sa poignée de main avec Pétain ont longtemps entretenu le doute sur ses convictions concernant Vichy. Christophe Barbier évoque deux hypothèses.
La première, c'est la version de François Mitterrand : «Il a toujours dit qu'il était resté très peu de temps, qu'il avait très vite pris ses distances», rappelle le journaliste. «D'autres témoins expliquent que pendant au moins un an et demi, Mitterrand aurait considéré le maréchal Pétain comme un homme utile et qu'il lui aura fallu du temps pour réaliser que ce dernier était soit complice, soit piégé par l'occupant», nuance -t-il.
Sur la francisque, il y a deux interprétations. Il y a ceux qui considèrent que cela faisait de lui un vrai pétainiste et ceux pour qui accepter la francisque était la meilleure couverture possible pour faire de la résistance
Pour Christophe Barbier, les deux versions sont bonnes. Elles symbolisent la dualité du personnage : «Mitterrand était ambivalent. Il était et l'un, et l'autre. Il a été à la fois embarqué dans l'aventure de Vichy, pendant un temps, et à la fois un vrai résistant courageux».
On n'a pas un Mitterrand gris. On a un Mitterrand noir et un Mitterrand blanc.
Mitterrand, atlantiste
Dans son ouvrage Le dernier Mitterrand, Georges-Marc Benamou attribue à François Mitterrand, alors mourant, la phrase suivante :
La France ne le sait pas mais nous sommes en guerre avec l'Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans morts apparemment. Oui, ils sont très durs les Américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde. C'est une guerre inconnue, une guerre permanente, sans morts apparemment et pourtant une guerre à mort
Pour Christophe Barbier, cette citation est à prendre avec des pincettes. «Je pense que cette citation est apocryphe. Mitterrand, surtout dans ses dernières années, aimait bien aller dans le sens de ce que ses visiteurs pensaient. Donc il a pu tenir des propos un peu sévères avec les uns pour faire plaisir aux autres et vice versa, mais Mitterrand, très clairement dès 1981, a choisi le camp des Etats-Unis, de l'Ouest, de l'OTAN».
Mitterrand était profondément atlantiste, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale car il considérait que c'était les Américains qui avaient libéré l'Europe
Entretenant jusqu'au bout le paradoxe et la dualité de son personnage, François Mitterrand a emporté bien des mystères dans sa tombe.
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