Le rédacteur en chef du journal «La Russie dans les affaires mondiales» Fiodor Loukianov analyse ce qui pourrait se passer durant la semaine du 1er mai qui, comme l'a indiqué le secrétaire d'Etat américain Marco Rubio, pourrait devenir «cruciale» pour parvenir à un accord sur l'Ukraine.
Tout le monde s’attend à des nouvelles sur le conflit ukrainien durant cette semaine. On constate une activité réellement intense, et l’on suppose qu’elle n’est pas tout à fait vide de sens, à en juger par certaines manifestations extérieures. Inutile d’essayer de prédire lesquels des projets qui fuitent sont réalisables et lesquels ne le sont pas. Il est cependant clair que la Russie est invitée à choisir entre un tiens et deux tu l’auras. Le problème est que les deux options comportent des éléments nécessaires à un accord durable.
À l’heure actuelle, pour des raisons évidentes, tout tourne autour des territoires. Il s’agit d’une question sensible relevant de la catégorie « un tiens », car elle s’est plus ou moins concrétisée dans les frontières déjà contrôlées par la Russie. Le problème, c’est qu’une reconnaissance de jure ne semble pas réaliste, il s’agirait seulement d’une reconnaissance verbale. Néanmoins, le dialogue se poursuit, et une reconnaissance de facto des territoires, ainsi que l’abandon de l’idée de les récupérer par la force, pourraient en être les résultats. D’autant qu’il serait naïf de considérer comme définitifs des accords juridiques, quels qu’ils soient, dans le contexte international actuel.
Le prélude et la cause principale du conflit armé de grande ampleur n’a pas été la question territoriale mais des différends en matière de sécurité accumulés durant des décennies. La « démilitarisation » est sans doute l’une des revendications essentielles formulées au début de l’opération militaire spéciale. Elle englobe aussi bien le statut de neutralité de l’Ukraine que la limitation de ses capacités militaires, (production nationale, les livraisons extérieures, potentiel militaire actuel).
L’élément clé de cette revendication est que l’accepter reviendrait à créer un précédent remettant en cause la logique de ces 35 dernières années, selon laquelle l’OTAN pouvait opérer dans l’espace européen et eurasiatique à sa guise, sans tenir compte des objections de ceux qui n’étaient pas d’accord. D’où cette idée d’élargir l’alliance sans autre limite que ses propres fantaisies en tenant à peine compte de l’avis de la Russie, puisque « ça ne la regarde pas » et que Moscou « n’a pas droit de veto sur les décisions de l’alliance ». La campagne militaire est ainsi devenue un moyen d’affirmer ce droit de veto. La démilitarisation de l’Ukraine, au sens large, signifierait en réalité la reconnaissance de ce droit. Toutefois, nombreux sont ceux qui ne veulent pas d’un tel précédent.
À mesure que l’accent se déplace sur les territoires, le problème de la sécurité militaire semble relégué au second plan. Peut-être l’administration Trump ne le considère-t-elle pas comme aussi crucial parce qu’elle traite elle-même l’OTAN avec dédain. Il se peut également qu’elle trouve plus réaliste de faire renoncer l’Ukraine à des territoires que de contraindre toute l’Europe à reconnaître à la Russie des droits particuliers en matière de sécurité.
Quoi qu’il en soit, cette question reste cruciale pour Moscou qui ne pourra pas l’écarter, même si Washington prend des mesures importantes en termes de sanctions et de territoires. D’où la divergence de dynamique : la Maison Blanche veut des résultats rapides pour fermer la gestalt, tandis que le Kremlin estime que la hâte ne permettra pas d’arriver à un accord fiable. En même temps, il ne souhaite pas non plus manquer un moment opportun, un « alignement de planètes » outre-Atlantique.
On apprendra donc très bientôt l’issue de cette dialectique dans l’esprit du petit poisson et du pêcheur de La Fontaine. Les commentateurs exaltés ont à penser à trois choses.
Premièrement, une seule campagne n’est pas toujours suffisante pour arriver à ses fins, et l’Histoire illustre bien ce fait. Il peut y en avoir d’autres.
Deuxièmement, il n’existe pas d’accords à durée illimitée. S’il est conclu mais ne satisfait pas les participants, à un moment donné ces derniers cesseront de le respecter, et la lutte reprendra. Heureusement, celle-ci ne prend pas obligatoirement la forme d’un conflit armé.
Troisièmement, l’Ukraine constitue l’un des éléments du processus général de changements mondiaux dans lequel la Russie compte jouer un rôle notable. Ceux-ci ont déjà lieu, ils ne feront que prendre de l’ampleur et il est important de parvenir à un certain niveau de compréhension mutuelle avec les États-Unis. D’ailleurs, la question de l’OTAN pourrait être théoriquement résolue dans le cadre de ces changements, et pas du tout à cause de la Russie, mais en raison de l’anachronisme de l’alliance même. Pourtant, ce ne sont pour l’heure que des fantasmes.
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