Par Karine Bechet-Golovko Tous les articles de cet auteur
Karine Bechet-Golovko, docteur en droit public, professeur invité à la faculté de droit de l'Université d'Etat de Moscou (Lomonossov), animatrice du site d'analyse politique Russie Politics.

Propositions de Trump sur l'Ukraine : quel intérêt pour la Russie ?

Propositions de Trump sur l'Ukraine : quel intérêt pour la Russie ?
Propositions de Trump sur l'Ukraine : quel intérêt pour la Russie ? (image d'illustration générée par l'intelligence artificielle)
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Le processus de négociation sur la guerre en Ukraine arrive à son point culminant et chacun s’évertue étrangement à le présenter comme étant exclusivement dans l’intérêt de la Russie. Karine Bechet-Golovko propose de revenir sur ces propositions pour voir à quel point elles vont à l’encontre de l’intérêt national russe.

Dans toutes les langues, sur tous les tons et sur toutes les ondes du monde global, on entend répéter que les propositions de Trump pour mettre un terme au conflit sur le front ukrainien sont dans l’intérêt de la Russie et que le président américain trahirait ainsi son allié ukrainien. Lui-même le suggère, en déclarant que la Russie fait déjà une concession d'importance en ne prenant pas toute l’Ukraine. Il sous-entend ainsi qu’il n’y aura pas d’autres concessions réelles à faire si la Russie accepte de sortir du conflit.

Aucun plan de Trump n’a été diffusé officiellement, les déclarations ne se fondent donc que sur ce qui a fuité dans les médias pour les analystes de plateau ou sur des documents confidentiels qui auraient été transmis par les Américains aux Européens lors des dernières réunions à Paris et Londres.

De son côté, la Russie a déclaré n’avoir reçu aucune proposition concrète – ce qui n’empêche pas Trump de lui demander d’accepter son plan, de s’énerver de ne pas recevoir de réponse claire et de la menacer de sanctions bancaires pour la punir de ne pas vouloir « la paix ». Rappelons que Trump a reconduit absolument toutes les sanctions adoptées précédemment contre la Russie et que les États-Unis continuent de soutenir le front.

Les « propositions » de Trump

Mais quelles sont ces « propositions » attribuées à Trump, qui provoquent une telle vague communicationnelle d’experts et de dirigeants outrés du soutien qui serait apporté à la Russie ? Trois éléments principaux se dégagent de ce qui est publié : la question de la reconnaissance de nouvelles frontières, la question de la gestion du territoire restant formellement ukrainien et la question militaire.

Trump propose une reconnaissance juridique de l’appartenance de la Crimée à la Russie. En réalité c’est bien la seule concession qu’il fasse à la Russie, sans préciser cependant si les Européens doivent également passer par cette reconnaissance juridique. En ce qui concerne les autres territoires entrés juridiquement dans la Fédération de Russie, il propose simplement une « reconnaissance de fait ». La formulation est pour le moins surprenante, du point de vue juridique : soit la reconnaissance est inscrite dans le document et elle devient juridique et non pas factuelle, soit elle n’est pas inscrite et il n’y a pas de reconnaissance. Si l'on s'en tient à ce plan, non seulement les régions de Kherson, Zaporojié, Lougansk et Donetsk dans leurs frontières administratives ne sont pas reconnues comme faisant partie de la Russie, comme l’exigeait Vladimir Poutine, mais elle doit se retirer des autres régions, notamment Kharkov ou Soumy, où elle avance.

« L’Ukraine n’est plus un État »

Ce qui amène à la deuxième question, celle de la gestion du territoire déclaré comme étant contrôlé par Kiev, donc par l’OTAN. L’Ukraine ayant perdu la guerre en 2014, lors du Maïdan, quand elle a abandonné son étaticité pour le rêve atlantico-européen, aucun scénario de type « coréen », comme on l'entend dire, n’est possible. L’Ukraine n’est plus un État, elle est un front ou au mieux un protectorat. Le territoire restant sera un poste avancé des forces atlantistes aux portes de la Russie.

C’est bien pour cela que la présence de forces militaires, dites de « paix », de pays de l’OTAN ou amis de l’OTAN est envisagée par l’administration de Trump, qui prévoit donc une administration civile et militaire du territoire. Cette disposition viole ouvertement l’une des « lignes rouges » de la Russie, établie et répétée.

Et puisque les frontières ne sont pas strictement posées, la question de la gestion de la zone grise, c’est-à-dire de l’ensemble des nouveaux sujets, reste en suspens dans la réalité politique. Ils sont dans la conception atlantiste temporairement russes, mais à terme doivent être « repris ». Ainsi, les Atlantistes, ne pouvant aujourd’hui régler stratégiquement ce conflit, le mettent simplement en attente.

Cela conduit Trump à imposer le transfert de la centrale atomique de Zaporojié, l’une des plus grandes d’Europe, à l’Ukraine, avec une gestion américaine. Cette centrale devrait, soi-disant, continuer à fournir en électricité les territoires sous « gestion temporaire » russe. Ce qui va également à l’encontre des intérêts vitaux de la Russie. Et pour ceux qui ont un doute, il suffit de se souvenir du blocus en eau et en électricité imposé par les autorités atlantico-ukrainiennes de Kiev à la Crimée.

Dans la foulée, Trump exige un accès inconditionnel au Dniepr, ce qui rendra la zone grise de la région de Kherson ingouvernable, car les territoires et les populations seront sous une épée de Damoclès.

Ainsi en arrive-t-on au troisième bloc, le bloc militaire. La carotte ici est la non-appartenance de l’Ukraine à l’OTAN. Cet engagement n’en est en réalité pas un. Tout d’abord, parce que les pays de l’OTAN ont conclu des accords bilatéraux avec l’Ukraine, qui prévoit notamment une assistance militaire. Ensuite, parce que l’OTAN n’avait pas réellement l’intention d’intégrer l’Ukraine, elle préfère agir ici en coulisses, d’autant plus qu’il n’y a jamais eu d’unanimité parmi les membres sur cette question. Enfin et surtout, parce que cet engagement est temporaire : la prochaine administration américaine pourra défaire ce que cette administration fait et elle pourra donc revenir sur cet engagement de non-entrée de l’Ukraine dans l’OTAN. Ce qui est déjà ouvertement déclaré.

La question de la neutralité de l’Ukraine ne pourra donc être garantie que si la Russie maîtrise le territoire.

Projet purement atlantiste

En contrepartie de cette fausse promesse de neutralité, les concessions attendues de la Russie sont, elles, de taille: le recul déjà évoqué de l’armée russe des territoires non formellement entrés dans la Fédération de Russie et surtout le gel du conflit sur la ligne de front. Ce qui va à l’encontre des exigences de la Russie.

Mais surtout, Trump veut désormais une armée en Ukraine qui soit active et qui puisse s’appuyer sur un véritable complexe militaro-industriel. Adieu, la démilitarisation de l’Ukraine, qui était une des raisons de l’entrée en 2022 de la Russie dans le conflit ukrainien. Ainsi peut-on comprendre le dernier coup de gueule de Trump exigeant de Poutine qu’il cesse unilatéralement toute frappe sur les infrastructures ukrainiennes.

Il paraît évident que, sur le fond, le projet américain de règlement du conflit en Ukraine, est un projet purement atlantiste et non pas « pro-russe » comme nous pouvons l’entendre en boucle. À l’heure de la « guerre de l’information », il serait bon de ne pas prendre les discours au premier degré mais de s'interroger sur leurs motivations profondes.

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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