Comment le résultat des élections régionales peut aider a pronostiquer celui des présidentielles de 2017 ? Pour John Laughland, expert politique, il existe plusieurs options.
«Le choc», selon Le Figaro, journal de droite. «Le choc», selon l'Humanité, journal de gauche. Décidément, avec ses unes identiques ce matin, la presse française ne fait pas preuve de grande originalité, d'autant plus que le résultat du premier tour des élections régionales n'a absolument rien de choquant.
Quand Jean-Marie Le Pen a obtenu 11% aux élections européennes en 1984, l'Humanité mettait à la une ... «Le Choc»
Premièrement, la victoire du Front national (FN) dans six régions sur treize s'inscrit dans un long processus de consolidation de la base électorale de ce parti. Très prononcée depuis que Marine Le Pen le dirige, cette tendance est en réalité antérieure à son élection. Avec 30% des suffrages exprimés, le FN bat son score, déjà impressionnant, de 24,9% aux élections européennes de 2014 et de 25,2% aux élections départementales du mois de mars. Le résultat d'hier est basé sur ces acquis.
Si on remonte plus loin encore dans l'histoire, Jean-Marie Le Pen avait battu le premier ministre Lionel Jospin à l'élection présidentielle de 2002, pour arriver au deuxième tour, en recueillant 5,5 millions de voix contre les 6 millions obtenus hier par sa fille. D'ailleurs quand Jean-Marie Le Pen a obtenu 11% aux élections européennes en 1984, c'est-à-dire voici plus de trente ans, l'Humanité mettait à la une ... «Le Choc».
Deuxièmement, comme dans toute élection, c'est le taux de participation qui est décisif. Inévitablement plus faible lors d'une élection régionale que lors d'une élection nationale (législative ou présidentielle), le résultat du premier tour s'explique principalement par la plus forte mobilisation des électeurs frontistes. Si un Français sur deux est resté hier à la maison, sans se déranger pour se rendre aux urnes, c'est parce que les abstentionnistes sont relativement satisfaits, ou au moins indifférents, à la gestion politique de leur région. Les électeurs frontistes, par contre, veulent se faire entendre. Voter «contre le gouvernement» à mi-mandat, dans une élection qui n'a pas ou peu de vraie incidence sur le sort du pays, en fournit une très bonne occasion.
Christian Estrosi qualifie Marion Maréchal Le Pen d'«immense danger pour notre région et pour notre pays», comme si la France n'avait pas d'autres dangers bien plus graves à affronter
En même temps, et précisément parce qu'il s'inscrit dans le temps long, ce résultat est important. Il traduit en particulier la lente agonie d'un centre droit qui a oublié la nation et d'un centre gauche qui a oublié le peuple, comme se plaît à le rappeler Nicolas Dupont-Aignan. En France, comme ailleurs en Europe, le centre droit et le centre gauche se partagent la tâche du démantèlement des nations, la gauche en abattant leurs frontières morales et la droite en abattant leurs frontières économiques. Le libertinisme assumé d'un Dominique Strauss-Kahn, jadis directeur du Fonds monétaire international (FMI) et donc représentant symbolique d'un système financier débridé, incarne cette convergence entre libre-échangisme ou internationalisme économique et libertinisme moral. La montée inexorable du Front national est l'expression d'une hostilité croissante face à ce duopole dont il existe des copies fidèles dans toute l'Europe.
Se sentant en danger mortel, les partis du centre feront tout cette semaine pour endiguer le phénomène. Ils ne craindront pas l'absurde, à l'instar du maire de Nice, Christian Estrosi, qui, face à une défaite personnelle cuisante devant Marion Maréchal Le Pen dimanche prochain, la qualifie d'«immense danger pour notre région et pour notre pays», comme si la France n'avait pas d'autres dangers bien plus graves à affronter.
La force de Marine Le Pen est aussi sa faiblesse fatale
Mais le sentiment que le bateau de l'establishment est en train de couler ne devrait en aucun cas nous conduire à croire en la victoire possible de Marine Le Pen aux élections présidentielles de 2017. Rien n'est à exclure, certes, mais pour s'emparer du pouvoir en France, il faut avoir non pas 40% du scrutin mais 50% + 1 voix. Lors d'une élection nationale cruciale, il est probable que le scénario de 2002 se répétera et que les électeurs des centre gauche et droit voteront pour privé le FN de la majorité. C'est en tout cas le calcul de Nicolas Sarkozy, de François Hollande et des autres, qui sont convaincus, à raison, de la possibilité d'une victoire dans l'hypothèse quasiment certaine d'un deuxième tour face à Marine Le Pen.
Ce danger d'un «Front républicain» contre le FN en 2017 est d'autant plus réel que la force de Marine Le Pen est aussi sa faiblesse fatale. Elle se profile sans ambiguïté comme une réfractaire, comme celle qui milite pour les marginalisés et pour les exclus contre «le système». Certes, on peut recueillir un certain soutien avec cette stratégie. Mais pour emporter la majorité des voix lors d'une élection nationale, il est impératif de jouer au rassembleur et de réconforter les électeurs au lieu de les troubler. C'est précisément ce dont Marine Le Pen est humainement incapable.
L'espèce humaine, selon le grand poète T.S. Eliot, ne peut supporter trop de réalité : elle préfère souvent le mensonge endormant aux vérités qui troublent. Trois présidents de la République – François Mitterrand, Jacques Chirac et François Hollande – ont gagné en rassurant l'électorat tout comme jadis Leonid Brejnev le faisait en Union soviétique. Le frénétique Nicolas Sarkozy a peut-être perdu le pouvoir à cause de cela. Rien pour le moment n'interdit de penser qu'un autre candidat, François Hollande peut-être ou Alain Juppé, tel un vieux chanteur, pourrait rejouer ce vieux numéro, et avec succès.
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