Le succès du Front national (FN) au premier tour des élections régionales est dû à l’incapacité du gouvernement à lutter efficacement contre le chômage, estime l’économiste français Jacques Sapir.
RT France : Comment l’abstention de 22 millions d’électeurs a pesé sur ce premier tour des régionales ?
Jacques Sapir : Oui, l’abstention a été importante lors de ce vote, mais elle est relativement plus faible que lors des précédentes élections régionales. Et donc, il est très clair aujourd’hui, que chaque fois que les abstentionnistes se décident à aller voter, cela profite en réalité au Front national. C’est ce que l’on a vu en particulier dans le Nord ou dans la région PACA [Provence-Alpes-Côte d’Azur].
Après, va évidemment se poser la question de savoir jusqu’à quel point cela peut monter et comment la situation peut évoluer. Et là, il est très clair que l’on est en présence d’une dynamique différente, suivant que l’on regarde le Nord ou la Champagne-Ardenne, l’Alsace, et des régions comme le Sud.
RT France : Est-ce que la situation peut changer radicalement au deuxième tour ?
Jacques Sapir : Changer radicalement ? Non. Mais il n’est pas encore dit que le Front national réussisse à gagner des régions. Pourquoi ? Parce qu’on est en présence d’une espèce de «front» anti-front. En fait, on voit très bien qu’il y a aujourd’hui une alliance de tous les partis qui font partie du système politique français contre le Front national. Est-ce que cela sera suffisant pour empêcher Marine Le Pen ou Marion Maréchal-Le Pen de remporter leur région ? C’est possible. Ce n’est pas dit du tout, mais c’est possible.
Au-delà, cela pose la question de savoir si le Front national va rester ce que l’on peut appeler un parti du premier tour – un parti qui fait de bons résultats au premier tour, mais qui est vaincu au deuxième par les alliances conclues entre les divers partis – ou est-ce qu’il va se transformer en un parti capable de gagner au deuxième tour. Et la réponse à cette question dépend beaucoup du discours et de l’attitude-même du Front national. Le FN doit maintenant rassurer les électeurs des autres partis et il doit prouver qu’il n’est un parti qui sera responsable d’une guerre civile. Il doit démontrer qu’il est un parti capable de regrouper l’ensemble des électeurs et, d’une certaine manière, de porter les désirs, de porter les revendications des électeurs, y compris des électeurs qui ne votent pas pour lui au premier tour.
RT France : Est-ce que, à votre avis, le taux d’abstention sera le même au deuxième tour ?
Jacques Sapir : Logiquement, le taux d’abstention devrait être à peu près le même parce que si certains électeurs vont aller voter, d’autres se réfugieront dans l’abstention. Et je crois que cela sera particulièrement vrai dans le Nord ou dans la région PACA, où selon moi, beaucoup d’électeurs socialistes ne suivront pas la consigne donnée par la direction du Parti Socialiste et qui se refuseront à voter pour les listes de droite, que ce soit pour Xavier Bertrand ou pour Christian Estrosi. Je ne pense donc pas qu’il y aura des différences très substantielles entre le pourcentage des abstentionnistes au premier et au deuxième tour, même si ce ne seront pas forcément les mêmes.
RT France : D’où vient le succès du Front National ?
Jacques Sapir : Il est intéressant de regarder quelles étaient les principales préoccupations des électeurs. Selon les enquêtes qui ont été réalisées à la sortie des urnes, on voit que ces préoccupations, c’est tout d’abord le chômage. 44% des électeurs disent qu’ils ont voté en fonction de la question du chômage. Deuxième préoccupation c’est, évidemment, la sécurité, ce qui peut se comprendre, puisque ces élections ont lieu juste après les attentats du 13 novembre.
Troisième préoccupation, c’est la délinquance, alors que la question de l’immigration n’arrive qu’en quatrième position. Donc, en réalité on voit très bien que ce succès du Front national n’est pas dicté par des problématiques liées à l’immigration. En réalité, cette victoire du FN correspond à un vote où les Français se sont essentiellement déterminés sur la question du chômage. Et il est extrêmement important de comprendre que ce qui a été sanctionné, c’est aussi et peut-être même surtout, l’incapacité de François Hollande et du gouvernement socialiste à faire baisser le chômage.
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