Par Karine Bechet-Golovko Tous les articles de cet auteur
Karine Bechet-Golovko, docteur en droit public, professeur invité à la faculté de droit de l'Université d'Etat de Moscou (Lomonossov), animatrice du site d'analyse politique Russie Politics.

Le «miracle Trump» n’a pas eu lieu

Le «miracle Trump» n’a pas eu lieu Source: Gettyimages.ru
Donald Trump
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S’il n’y aura pas selon Karine Bechet-Golovko de «miracle Trump», son élection à la présidence a rebattu les cartes et ouvre de nouvelles perspectives pour sortir du totalitarisme globaliste, au moins sur deux plans non négligeables : celui de la fragilisation des élites globalistes woke en Europe et celui de la guerre atlantiste en Ukraine.

Quel est le miracle, que certains attendaient de Trump ? Qu’il règle tous les problèmes à leur place et que le monde «revienne» en arrière, à ce moment historique magique, où tout «allait bien». Quel est cet instant, personne ne le sait très bien – et ceux qui l’espèrent non plus d’ailleurs. Ils attendaient l’arrivée d’un grand Tsar du monde global, qui allait remettre de l’ordre dans les différentes parties de l’Empire, sans qu’eux-mêmes n’aient à agir. Bref, ils voulaient passer d’un méchant Tsar, à un gentil Tsar, mais n’envisageaient pas de devoir travailler eux-mêmes à la restauration de leur pays. Pourtant, au-delà de la poussée fantasmagorique qui s’est emparée d’une partie des sociétés, certains effets réels sont à attendre.

Trump est fondamentalement globaliste, mais sans les excès woke de la partie extrémiste de ce clan. Il veut «rationaliser» la globalisation, comme sous la IVe République, nous avons tenté de rationaliser le parlementarisme pour le rendre gouvernable. Pour cela, il commence par en détricoter les mécanismes internes, ce qui doit permettre de faire chuter certaines idoles, comme celle du genre.

Dans son édition du 23 janvier, le New York Times lance des signaux intéressants, visant à la sortie de l’Administration américaine du délire woke : «L’Administration Trump a menacé hier les employés fédéraux de «conséquences néfastes» s’ils ne signalaient pas les collègues, qui défiaient les ordres de purger leurs agences des efforts de diversité, d’équité et d’inclusion.». La raison avancée est simple – toute discrimination positive est avant tout une discrimination «Le message disait aussi : «Ces programmes ont divisé les Américains en fonction de leur race, ont gaspillé l’argent des contribuables et ont donné lieu à une discrimination honteuse».

Le problème fondamental de cette idéologie est bien ici : l’atomisation de la société par la fragilisation de l’individu. Le wokisme pousse les gens à se concentrer sur ce qui les sépare et non pas sur ce qui les unit. Il est impossible de constituer un tissu social solide dans ces conditions, ce qui conduit inévitablement à l’affaiblissement de l’État.

Or, Trump veut renforcer l’État américain, d’où le nettoyage de son administration, qui en est la colonne vertébrale. Et comme les États-Unis restent toujours le «chef» de file, le signal est lancé, jusque dans le cœur du wokisme, à Davos. Trump y intervient par vidéoconférence, où il répète que pour les États-Unis, il n’y a désormais que la vérité biologique qui vaille, à savoir l’existence de l’homme et de la femme, point. Le libertaire argentin Milei suit son maître et condamne lui-aussi l’idéologie du genre.  

Bref, la théorie du genre et un bon nombre des cultes globalistes, comme le culte climatique ou celui du migrant, vont devoir passer à la trappe, car ils desservent les intérêts américains en affaiblissant l’institution étatique. Trump a besoin de stopper la machine globaliste, qui a commencé à travailler contre les États-Unis, ce qui est pour lui inacceptable. S’il y arrive, il prendra de l’avance sur ses concurrents, qui sont toujours empêtrés dans les mailles néolibérales, notamment celles du tout management et du tout numérique.

Or, ce virage sec perturbe les élites globalistes européennes en particulier, mais pas uniquement. Ces élites ont été élevées au biberon du wokisme, elles sont incapables de concevoir le monde autrement que destructuré, l’individu autrement que brisé. Tout se doit d’être léger, c’est-à-dire sans racines, donc les hommes ne doivent pas être éduqués, la culture ne peut permettre la civilisation, la seule patrie acceptable est celle de son propre nombril.

Il s’agit bien d’un modèle de destruction, qui ne peut déboucher sur l’établissement d’un nouveau monde. Sa matrice transforme tous les piliers des sociétés classiques en parodie d’eux-mêmes : derrière l’apparence, il ne reste que du vide. La substance du monde réel est intenable, elle est trop lourde et trop complexe, donc les mécanismes de sa constitution sont instrumentalisés en vue d’un processus de conditionnement idéologique. Et l’on peut ainsi observer dans nos sociétés une école, qui ne permet pas l’instruction ; une culture, qui se doit de dessiner la barbarie ; un État, qui sert des intérêts extérieurs contre son propre peuple. La transformation et le conditionnement de l’homme sont bien des traits du totalitarisme. Celui-ci se veut global.

Ainsi, quand Trump combat les Veaux d’Or de la globalisation, sans le savoir, sans surtout le vouloir, il la fragilise en pensant la rénover. Revenir en arrière pour «gommer» les excès et les erreurs est une illusion : ce qui a été ne sera plus, ce qui a été a laissé des empreintes indélébiles, a façonné le monde tel qu’il est aujourd’hui et qui sert de base à ce que l’on veut faire demain.

Les élites globalistes ne sont pas capables, dans leur très grande majorité, de concevoir le monde sans les dogmes managérial, numérique ou climatique, en plus du genre pour les plus fanatiques. C’est «leur monde», un monde formel et inhumain, un monde artificiel et creux. Si Trump veut en sortir afin de redonner toute sa force aux États-Unis, s’il veut revenir dans la lourdeur et la complexité de la vie et sortir de cette fausse légèreté mortifère, il devra sortir de la globalisation, et ici s’ouvre une opportunité.

L’avenir du conflit en Ukraine dépend aussi de cela. Pour l’instant, fondamentalement, Trump suit la ligne globaliste, teintée d’un faux paternalisme, face à la Russie. Il est possible de résumer en substance son discours en ces termes : pauvre pays (la Russie) dont on aime bien le peuple, qui «nous a aidé» à remporter la victoire lors de la Seconde Guerre mondiale, mais un pays faible économiquement, qui a causé la mort de beaucoup de ses hommes et qui doit arrêter de détruire l’Ukraine. Sinon, on va prendre des sanctions et passer à un autre niveau de combat militaire. Mais si la Russie capitule, puisqu’elle est fatiguée et que l’Ukraine est dévastée (donc, de ce fait, cette guerre n’a aucun sens), on sera gentil. On peut même réduire – un temps – les arsenaux nucléaires (puisque ça coûte cher, que la Russie est en avance et qu’il nous faut récupérer le terrain perdu – mais de ça, ne parlons pas). En tout cas, ça vaut bien une capitulation, enfin une négociation. Et Trump de répéter comme un laïus, qu’il sait que Zelensky est prêt à négocier, qu’il sait que Poutine est prêt à le rencontrer. Et clou sur le tableau, tout dépend de Moscou, l’Ukraine est prête. Amen !

Tous les éléments globalistes de langage y sont. 1) Les États-Unis ont remporté la Seconde Guerre mondiale et l’URSS l’y a aidé. 2) La guerre se déroule sur le front ukrainien strictement entre la Russie et l’Ukraine. 3) Cette guerre n’a aucun sens, puisque les intérêts vitaux de la Russie n’ont pas de sens dans le monde global. 4) La Russie est épuisée, elle n’a plus de force. 5) Si la Russie ne capitule pas, c’est-à-dire si elle ne se suicide pas, il faudra la détruire. 6) L’Ukraine est prête à la paix, les États-Unis peuvent aider à la paix, si ça ne marche pas, c’est la faute de la Russie, qui veut la guerre.

Ainsi, la réécriture de l’histoire continue, car elle doit permettre de perpétuer la domination américaine, par la constitution d’un discours approprié à convaincre les peuples et à légitimer sa domination actuelle. Et dans cette logique, seuls les États-Unis sont légitimes à avoir des intérêts nationaux et à pouvoir les défendre, donc la guerre en Ukraine n’a aucun sens. C’est, pour lui, un écart de conduite de ses vassaux, que l’ancien suzerain Biden n’a pas été capable de contenir. L’Ukraine est présentée comme un État souverain, qui serait «prête» à négocier, comme si elle avait le choix, comme si elle était un sujet politique. L’OTAN est absente du discours. Étrangement, alors que le conflit est présenté comme bilatéral, Trump insiste sur la nécessité de renforcer les budgets militaires en Europe et de prendre plus en charge cette guerre ... In fine, la fameuse «négociation» entre les États-Unis et la Russie d’un plan de paix devant de manière magique satisfaire toutes les parties se résume à un arrêt des combats immédiat et une capitulation de la Russie. Pour les «plans de paix», Trump espère que la Chine, qui avait présenté un projet similaire à celui de Stoltenberg, apportera son aide, c’est-à-dire fera pression sur la Russie pour qu’elle cède. Si la Chine est l’ennemi sacré des États-Unis, comme il est de bon ton de l’affirmer, c’est une ligne surprenante. Si c’est un leurre, alors tout revient à sa place.

Autrement dit, le «miracle Trump» n’a pas eu lieu et il ne pouvait être, car les miracles ne ressortent pas du pouvoir de l’homme, mais de celui de Dieu et Trump est un homme.

Trump minimise l’importance du conflit en Ukraine, car en l’état des forces militaires et sans implication directe des forces de l’OTAN, il ne peut pas le remporter. Or, impliquer les forces de l’OTAN coûterait cher, il faut avant d’en arriver là, chercher d’autres voies, sans pour autant l’exclure. Ainsi, s’il peut faire perdre la face à la Russie en la faisant capituler ou l’escroquer avec un énième plan de paix à la «Minsk» qui, évidemment, n’aurait rien à voir avec Minsk, il  pourrait alors gagner du temps afin de renforcer sa position et reprendre le combat, quand il s’estimera en position de force. Comme les Atlantistes l’ont fait en Syrie avec succès.

Le problème fondamental sur lequel se heurtera tout processus sérieux de négociation est celui du contenu de ce fameux et tant réclamé plan de paix. Quelle reconnaissance juridique des frontières russes avec les nouveaux territoires dans leurs frontières administratives, si à ce jour les Atlantistes ne peuvent se résoudre à la reconnaissance de la Crimée ? Quelles garanties de sécurité pour la Russie concernant le reste du territoire d’un nouvel État fantoche ukrainien – une extension de l’article 5 du traité de l’OTAN, un contingent sur le modèle de celui qui a sévi au nom de l’OSCE dans le Donbass ou l’implication directe de contingents militaires atlantistes ? Soit, ce n’est pas acceptable pour les Atlantistes (dans le cas des frontières), soit ce n’est pas acceptable pour la Russie (concernant la gestion du reste du territoire ukrainien).

Objectivement, aujourd’hui, il n’y a pas d’espace pour un compromis, qui permettrait d’instaurer une véritable paix durable. C’est triste, mais c’est ainsi. Se bercer d’illusions serait encore plus dangereux.

Dans cette logique, il serait plus judicieux pour la Russie, alors que justement les Atlantistes sont fragilisés et désorganisés par l’arrivée de Trump, de renforcer sa position sur le terrain. Non pas pour «négocier», mais pour pouvoir poser les piliers d’une paix durable, d’une nouvelle configuration du monde. Comme l’a souligné le président du Comité de la défense de la Douma, Andreï Kartapolov : «Aucun Trump ne résoudra ou ne régulera le conflit en Ukraine, ni en 100, ni en 180 jours. L’armée russe le fera. (…) Et quoi qu’ils disent, la solution se trouvera sur le champ de bataille – et aujourd’hui, ce champ de bataille est le nôtre.»

Il existe un véritable espoir d’une grande partie des populations de sortir de ce modèle, pour en établir un nouveau, plus juste, plus équitable, plus humain. La Russie peut permettre de sortir du totalitarisme globaliste, qui nous étouffe, si elle peut briser ces forces atlantistes, ce qui passe en effet par le champ de bataille. Cela permettrait alors une ouverture, une opportunité de sortir de la globalisation.

Nous voyons aujourd’hui la conjonction de deux types de possibilités, l’une politique, l’autre militaire, qui si elle est réalisée, provoquerait un choc suffisant pour changer de paradigme idéologique, pour construire un monde basé sur une philosophie de la vie, qui s’inscrirait dans la continuité des civilisations qui nous avons connues. Sans ce choc, nous resterons englués dans le marais globaliste. Trump n’apporte pas de «miracle», mais si nous en avons la volonté et le courage, nous pouvons utiliser cette opportunité pour travailler à changer les choses.

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