Les déboires du président américain en disent long sur le fonctionnement du «bourbier» de Washington.
Donald Trump a prédit que Joe Biden resterait dans les mémoires comme le pire président américain de l’histoire. L’histoire en décidera elle-même, mais il est probable qu’il prétende à la première place dans un autre classement, en tant que figure la plus tragique à la tête des États-Unis, aux côtés de ceux qui ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions.
Même en mettant de côté les traumatismes personnels subis par Biden (la mort de sa première femme et de sa fille, la mort de son fils bien-aimé et l’opprobre de l’autre), sa biographie politique est une poursuite constante de la position supérieure, dans laquelle il a souvent semblé se retrouver au mauvais endroit et au mauvais moment. Bien sûr, on ne peut pas le qualifier de perdant, mais la fin de sa carrière est si déprimante qu’on se demande involontairement s’il aurait mieux valu pour lui ne jamais atteindre le sommet.
Si Biden avait été capable de défier Trump en 2016, alors qu’il était encore assez vigoureux et énergique, beaucoup de choses auraient pu se passer différemment. Du moins pour lui. Selon la version officielle, il s’est retiré de la course électorale en raison de la mort de son fils aîné, Beau. Officieusement, l’impression est qu’il a perdu face au lobby interne qui a promu Hillary Clinton. Quoi qu’il en soit, il a raté sa chance à une présidence active. Quatre ans plus tard, tous les observateurs impartiaux (il faut dire qu’ils étaient peu nombreux) ont compris que l’âge et l’état de santé de Biden en avaient fait un candidat loin d'être idéal. Cependant, le Covid est venu à la rescousse, faisant dérailler la présidence mouvementée de Trump. En 2020, Biden était catégorique sur le fait qu’il ne resterait à son poste que pour un seul mandat . En 2024, il a changé d’avis, mais l’âge l’a rattrapé.
La responsabilité des mésaventures de Biden ne reposent pas que sur lui. Au lieu de cela, la faute incombe à la communauté que Trump appelle le «bourbier» de Washington. Il y a trois semaines, avant le désastreux débat des candidats, l’élite politique avait soigneusement fait semblant de ne pas remarquer à quelle vitesse le locataire de la Maison blanche sombrait. Après ce spectacle d’horreur en direct, tout le monde a eu une révélation et la chasse à Biden a commencé, accompagnée de confrontations en coulisses entre différents groupes d’influence et l’implication d'intérêts familiaux. Pas seulement d'ailleurs les intérêts de la famille Biden, mais apparemment aussi ceux de la famille Obama et même ceux de la famille Clinton. Et il ne semble pas que cela se termine, maintenant que le président et son entourage ont capitulé.
La vice-présidente Kamala Harris est la solution la plus évidente et la plus logique pour combler le vide, même si jusqu’à récemment personne ne la considérait comme présidentiable. Bien qu’il y ait des doutes sur ses capacités, l’essentiel est maintenant de présenter quelque chose de complètement nouveau aux électeurs. Les démocrates sont dans une situation difficile, ils doivent lutter contre Trump et son nouveau colistier JD Vance, mais ils ne semblent pas pouvoir s’entendre sur la meilleure stratégie. Toute l’histoire de Biden au cours des six derniers mois est instructive à cet égard.
Pour Trump, dont la victoire, comme presque tout le monde le croyait, était garantie après l’attentat et le congrès républicain qui a suivi, il est encore trop tôt pour se détendre. Sa campagne électorale devra être relancée et tourner à plein régime. Après un duel de style paralympique entre deux candidats handicapés, comme cela y ressemblait il y a quelques mois, la compétition est de retour. En ce sens, la tentative d’assassinat de Trump, quelle que soit ce qui l'a provoquée, est un symptôme de tensions sociopolitiques aiguës qui ne feront qu’augmenter aux États-Unis. Dieu seul sait ce qui se passera dans les trois mois et demi restants.
Aucune concession de principe ne sera offerte à la Russie
En ce qui concerne les intérêts de la Russie, nous n’avons aucune raison de regretter Biden. Il a été étroitement impliqué dans l’histoire de l’Ukraine depuis le début de la dernière décennie, peut-être plus que tout autre responsable américain. Cependant il est également juste de dire qu’il n’était pas la pire option en tant qu’opposant dans cette confrontation dangereuse. Assez expérimenté, assez prudent, relativement rationnel, tant que Biden contrôlait sa ligne politique, il était prévisible. Celui qui lui succédera ne possédera pas toutes ces qualités, donc le degré de volatilité, comme on dit sur les marchés boursiers, augmentera. En ce qui concerne les démocrates, même en cas de rajeunissement majeur de la direction, nous devons être prêts à un degré croissant d’idéologie. Quant aux républicains, nous pouvons nous attendre à une tentative de transférer tous les aspects négatifs des relations avec la Russie aux Européens occidentaux, tandis que les Américains essayeront probablement d’utiliser leurs stratagèmes pour forcer Moscou à se distancer de Pékin.
Aucune concession de principe ou de récompense ne seront offerts à la Russie. Cependant, la politique à l’égard de l’Ukraine sera probablement variable en fonction de la personne ou plutôt des groupes qu’elle représentera. Mais dans tous les cas, le risque d’une éventuelle réaction négative du public américain rend peu probable que la Russie voie une proposition qu’elle pourrait sérieusement envisager. Même théoriquement.
L’importance des troubles en cours aux États-Unis ne peut pas être mesurée pour nous en termes de changements spécifiques de la ligne politique à l’égard de la Russie, mais plutôt du point de vue de l’état général du système politique américain. Et son potentiel futur. À l’heure actuelle, il subit des bouleversements sans précédent, ce qui entraînera inévitablement des changements majeurs. La question principale est de savoir si les États-Unis accepteront la tendance mondiale actuelle (vers la création d’un système international plus diversifié, ce qu’on appelle le monde multipolaire) ou, au contraire, s’ils tenteront de revenir à leur ancien rôle d’absolutiste exclusif. Il s’est avéré que c’est Biden qui est arrivé au pouvoir à la croisée des chemins, bien que ce soit une situation sur laquelle il ne comptait certainement pas.
Cet article a été publié pour la première fois dans Rossiiskaïa Gazeta, traduit et édité par l’équipe RT.