Le spécialiste de l'Afrique Bernard Lugan explique pour RT France les perspectives économiques de la présence chinoise sur le continent africain.
Les Chinois qui avaient pénétré avec facilité le marché africain constatent maintenant que le continent est complexe; c'est pourquoi, ils sollicitent de plus en plus l'expérience et le savoir-faire des Européens à travers des joint ventures.
A la fin de l'année 2013 et au début de l'année 2014, après l'euphorie des années 2010-2011, et ayant pris conscience des difficultés et des particularités du terrain africain, les Chinois ralentirent leurs investissements afin de repenser une politique qui passe désormais par la fin de la dispersion, par la concentration sur des secteurs porteurs et par des études approfondies avant toute implication. Pour le reste, notamment les grands projets, l'attentisme sera de mise. De plus, cette nouvelle politique prendra appui sur les grands groupes chinois spécialisés.
La Chine a également décidé de mieux prendre en compte le contexte local et de ne plus heurter les populations avec l'emploi systématique d'une main d'oeuvre chinoise, ce qui avait provoqué des conflits comme ceux de 2011 et 2013 en Zambie et en Algérie. De plus, Pékin veut changer son image en choisissant de transformer sur place une partie des minerais extraits afin de ne plus être accusée de piller l'Afrique. Quant aux investissements, ils ne se feront que si il y a une véritable stabilité politique et si les approvisionnements en électricité sont garantis.
Après cette remise en question et ces redéfinitions, fin 2014, la Chine a paru revenir en Afrique mais en ciblant davantage ses interventions. Ainsi, plus que sur le pétrole dont le marché s'est ouvert depuis le retrait américain, c'est sur le cuivre, l'uranium et le fer qu'elle semble vouloir concentrer ses implications*.
Comme les Etats-Unis, mais sur une échelle plus importante, la Chine va donc pratiquer une économie de comptoir, c'est à dire de pillage des matières premières africaines. Loin de toute idée de développement.
Les achats chinois en Afrique reposent d'ailleurs quasi exclusivement sur les matières premières. En 2015, quand ils furent réduits de près de 50%, le rêve fut alors dissipé car l’Afrique fut ramenée à la réalité à savoir que son développement ne pourra venir que d’elle.
En trois mois, de mai à juillet 2015, la chute du marché chinois fit en effet que 7000 milliards de dollars, soit 20 fois le montant de la dette grecque, partirent en fumée. Or, comme en 2014, la Chine avait totalisé à elle seule 25% des exportations africaines, l’Afrique subit les conséquences directes de cet effondrement. La Chine semble d'ailleurs être moins intéressée globalement par un continent sur lequel elle paraissait avoir jeté son dévolu avec une avidité conquérante.
Il y a deux raisons à cette évolution :
La première est le ralentissement de l’économie chinoise, donc une baisse de la demande en matières premières se traduisant par une baisse des importations, notamment en provenance d’Afrique. Or, en 2014, la Chine importait entre 30 et 50% des matières premières produites dans le monde et sur 95 millions de barils de pétrole produits quotidiennement, elle en consommait près de 12 millions. Pékin joua habilement pour prendre pied, puis pour s'implanter en Afrique car son industrie avait un besoin vital des minerais qui y sont extraits. En 2013, elle consomma ainsi 70% de la production mondiale de fer et 40% de celle du zinc. Son industrie est également une très grosse importatrice de cuivre, de nickel, de cobalt, d'uranium et de bois, en plus naturellement du pétrole.
En 2014, 80% des achats chinois à l'Afrique se composaient, dans l'ordre décroissant de pétrole, de minerai de fer, de manganèse, de cuivre, de bois et de cobalt. Cette année là, 50% du commerce Chine-Afrique se fit avec deux pays, l'Afrique du Sud et l'Angola, cependant que 85% du commerce Afrique-Chine se fit avec cinq pays, dans l'ordre décroissant l'Angola, la Guinée équatoriale et le Nigeria (pétrole), la RDC (minerais) et le Soudan (pétrole) (Banque mondiale 2014).
La deuxième - la Chine qui a essuyé plusieurs déconvenues en Afrique a décidé de cesser l'essaimage au profit de l'écrémage en centrant sa présence sur quelques pays dont trois sont privilégiés, l'Egypte (gaz), le Soudan (pétrole),l'Algérie (gaz et pétrole). Un autre problème auquel se heurtent les firmes chinoises est celui des retours sur investissement qui sont moins bons que ce qui avait été espéré. A la fin de l'année 2013 et au début de l'année 2014, après l'euphorie des années 2010-2011, les Chinois ralentirent donc leurs investissements afin de repenser leur politique. Cette dernière passe désormais par la fin de la dispersion et par la concentration sur des secteurs porteurs. Ainsi, plus que sur le pétrole dont le marché s'est ouvert depuis le retrait de l’acheteur américain et la réouverture du marché iranien, c'est sur le cuivre, l'uranium et le fer qu'elle semble vouloir concentrer ses implications.
Le plus inquiétant pour l’Afrique est que, parallèlement à la baisse de la place du continent sur le marché chinois, nous notons une augmentation des échanges de la Chine avec le reste du monde. C’est ainsi que volume commercial de cette dernière avec les pays arabes est passé de 65 milliards de dollars en 2010 à 145 en 2014. Ces volumes portent essentiellement sur les hydrocarbures d'Arabie Saoudite, d' Iran et dans une moindre mesure d’Algérie. La Chine a également signé avec la Russie un colossal contrat gazier de 400 milliards de dollars sur 30 ans dont le volume atteindra près de 38 milliards de mètres cubes par an à partir de 2018. En comparaison, en 2013, les investissements chinois en Afrique n'ont représenté que 3% des investissements chinois dans le monde.
*Au début de l'année 2014, la Chine racheta 25% des parts de la mine namibienne d'uranium de Langer Heinrich et fit un retour remarqué au Katanga, notamment dans les mines de cuivre.
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