Le fait que la Turquie a abattu un avion militaire russe sur le territoire syrien relève d'un «acte délibéré d'hostilité» selon l'écrivain et journaliste Dominique Jamet.
RT France : Est-ce que le fait que la Turquie ait abattu l’avion est justifié, alors que la Turquie était au courant des opérations militaires russes dans cette région ?
Dominique Jamet : En tout état de cause, les autorités turques et l’armée turque ne peuvent pas ignorer que, jusqu’à preuve du contraire, Daesh ne possède aucun avion militaire et, Dieu merci, n’a pas la maîtrise du ciel. Donc, la Turquie ne pouvait pas ignorer que l’avion, probablement identifié comme un avion militaire, ne pouvait appartenir qu’à la coalition anti-Daesh. C’est donc un acte délibéré au nom de la souveraineté et de la non-violation de l’espace aérien turc permis, autorisé n’est-ce pas, par les lois internationales. Mais, c’est un acte délibéré d’hostilité et qui est aggravé par le fait que très probablement les militaires turcs avaient identifié cet avion comme un avion russe.
RT France : L’incident se passe après les attentats de Paris, au lendemain du rapprochement entre la France, la Russie et les pays occidentaux dans la lutte contre Daesh. Est-ce que le timing est important dans ce cas-là ?
Dominique Jamet : Evidemment, cette action militaire, c’est aussi et probablement d’abord une action politique. C’est une manière aussi claire qu’elle peut l’être sans le revendiquer officiellement, de marquer l’hostilité de la Turquie à la constitution en cours d’une grande et vraie coalition contre Daesh. La Turquie a d’autres buts de guerre que la Russie, naturellement et la divergence fondamentale porte sur le soutien apporté à Bachar el-Assad, puisque la Turquie souhaite sa chute alors que la Russie le soutient. Divergence aussi parce que la Turquie estime que le plus grand danger pour elle n’est pas Daesh, mais la création d’une zone autonome kurde. Divergence enfin, parce que, plus fondamentalement, la Turquie est partagée entre sa participation officielle à l’OTAN et sa solidarité avec les pays d'obédience sunnites et avec la révolte des sunnites qui est à l’origine de Daesh.
RT France : En ce qui concerne les conséquences pour la coopération anti-Daesh, est-ce que, à votre avis, cet incident aura un impact négatif sur la création de la coalition ?
Dominique Jamet : Il est difficile de savoir ce qu’il en est. L’une des conséquences possibles, c’est que les États membres de l’OTAN et naturellement la Russie, au moins cela, prennent enfin en compte le fait que la Turquie n’est pas un partenaire loyal, n’est pas un partenaire fiable dans la lutte contre Daesh. Il est possible que les décisions qui vont être prises dans les domaines politiques et militaires, dans les jours qui viennent, se fassent sans la Turquie, je ne dirais pas contre la Turquie, mais en la laissant à l’écart, en fonction de l’acte qu’elle vient de commettre. Il y a évidemment un autre développement possible, c’est les conséquences que la Russie souhaitera tirer de cet incident, de cet acte d’hostilité. La moindre des choses serait que la Russie demande des explications et peut-être des excuses ou des réparations à la Turquie, et j’espère que cela n’ira pas au-delà. Le puzzle du Moyen-Orient est déjà assez dangereux, agité et morcelé. Souhaitons qu’un front de plus ne s’ouvre pas à la suite de cet incident.
RT France : En ce qui concerne la position de la France, qui est en même temps membre de l’OTAN, pensez-vous que la priorité pour la France sera la lutte contre le terrorisme ou ses obligations au sein de l’OTAN ?
Dominique Jamet : Les attentats qui viennent de se produire en France et l’orientation qu’a prises le gouvernement français à la suite de ces attentats nous indiquent très clairement que la priorité, pour la France, est l’éradication de Daesh. Cela risque de passer avant toute considération, même celle de la participation de la France à l’OTAN. Mais, c’est quelque chose qui ne sera pas, bien évidemment, à l’ordre du jour des prochaines semaines, ou des prochains mois. Toutefois, il serait concevable que la France prenne ses distances avec l’OTAN si la Turquie y restait associée. Mais enfin, c’est quelque chose qui dépend plus des États-Unis que de la France, naturellement. Ce qui est certain, c’est que le processus d’admission de la Turquie dans l’Union européenne qui était déjà, à vrai dire, immobilisé, sera définitivement arrêté.
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