Signer l’accord sur le traité Transatlantique signifierait, pour l’Europe, de se soumettre aux règles imposées par les Américains, estime l’économiste Philippe Béchade. RT France s’est entretenu avec le président de la communauté Les Econoclastes.
RT France :Plusieurs analystes estiment que le Partenariat Transpacifique était conçu pour «contrer la menace chinoise». Pensez-vous que le PTP est une arme commerciale contre la Chine ?
Philippe Béchade : Ce qui est clair c’est que la Chine n’a pas été conviée à la conception de ce nouvel accord alors que la Nouvelle Zélande, le Japon, la Malaisie – des pays partenaires importants de la Chine – l’étaient. Il est clair que les Etats-Unis veulent réduire l’influence de la Chine en rendant beaucoup moins facile la conclusion de grands accords commerciaux parce que la Chine ne peut pas y répondre, n’étant pas signataire du traité Transpacifique.
Le #TPP va beaucoup plus loin que le simple "libre-échange" https://t.co/lPZWEGjKBf [EN] pic.twitter.com/RcIXsPJ2P6
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RT France :Est-ce que cet accord va avoir une influence sur l’économie chinoise ?
Philippe Béchade : La Chine est en ralentissement avéré déjà depuis les Jeux olympiques de 2012. Ce ralentissement est masqué à coups de surinvestissements et d’un activisme de la Banque centrale extraordinaire : on est à 65 mesures de soutien monétaire depuis le début de l’année. La Chine subit l’évolution classique du pays émergent vers le statut de nation émergée, ce qu’on a pu voir au Japon et en Corée il y a une vingtaine d’années. Mais la Chine a raté quelque chose : au lieu de permettre à la classe moyenne de s’enrichir et d’aller vers une société de services, elle a privilégié une oligarchie qui s’est énormément enrichie, qui a entrainé dans son sillage entre 100 et 150 millions de personnes vers un statut comparable à ce qu’on a au Nord-Ouest de l’Europe. Le reste de la Chine demeure extrêmement sous-développé. Il s’y ajoute le Japon, qui mène une guerre des devises permanente en effondrant le yen. Le ralentissement des exportations chinoises est donc structurel. C’est vrai que faute d’accord cela ne va pas leur faciliter la vie, mais de toute façon la Chine est déjà confrontée à des difficultés structurelles internes et au ralentissement du commerce mondial. Pour une économie qu’on prétend en croissance de 3-3,5 % en rythme annuel, avoir des échanges de marchandises en hausse de 2 %, cela veut dire qu’il y a un gros coup de frein et que la Chine en est la principale victime.
RT France :Comment est-ce que le PTP va influencer les petites économies de la région Pacifique ?
Philippe Béchade : Quand on regarde les grandes procédures arbitrales, c’est vrai que c’est vraiment déséquilibré, mais les petites économies ne peuvent pas non plus se passer d’un accès au marché américain, donc cela va se faire effectivement selon leur bon vouloir. On va donc jouer au poker commercial avec les règles des gros joueurs américains. Mais on ne peut pas non plus refuser d’être à la table, sinon on ne joue plus. C’est la loi du plus fort, qui existe de toute éternité.
RT France :En ce qui concerne le Traité Transatlantique, pensez-vous que cet accord sera signé ?
Philippe Béchade : C’est très difficile à dire. Tout ce qu’on peut dire, c’est que le traité Transpacifique est une répétition grandeur nature de ce qui devrait déboucher entre l’Europe et les Etats-Unis. Ces derniers jouent depuis le début sur du velours, ils savent très bien que les 28 européens sont complètement divisés. Comme il n’y a pas de front commun face aux Etats-Unis, la seule règle est celle que les Etats-Unis mettent en avant – au moins ils ont une ligne de conduite – en face il y a 28 lignes de conduites différentes, donc on finira par adopter les règles américaines en protestant ici ou là contre des clauses tout à fait insupportables et inadmissibles concernant les tribunaux d’arbitrage privés américains. On s’aperçoit en effet que les multinationales américaines pourront faire appliquer un droit local qui n’est même pas un droit constitutionnel, qui est littéralement un droit défini par la sphère privée. C’est clair que pour les Européens, se soumettre aux règles et aux principes de «justice» américains c’est évidemment leur consentir une toute-puissance et la capacité de nous imposer tout ce qu’ils veulent. En cas de problèmes de concurrence, ce seront eux avec leurs propres règles, qui vont décider ce qui est légal ou pas. Ce n’est pas acceptable. Reste à savoir si les Européens lâcheront après avoir vaguement négocié un compromis, ou est-ce qu’ils décideront de refuser carrément et qu’on continue comme c’est le cas aujourd’hui. On peut penser que le commerce aujourd’hui tel qu’il est régulé, est certainement plus favorable à l’Europe qu’il ne le sera après avoir signé un hypothétique traité Transatlantique.
TPP trade pact would give Wall Street a trump card to block regulations https://t.co/yKuWp4HNvK by @ddayenpic.twitter.com/8e3BfgFwq6
— The Intercept (@the_intercept) 6 Novembre 2015
RT France : Les protestations contre le PTP auront-ils un impact sur le TTIP ?
Philippe Béchade : Oui, bien sûr. Parce que si certaines objections ou certaines propositions sont acceptées – on ne voit pas pourquoi les Américains n’accepteraient pas des propositions venant d’Angleterre, d’Allemagne ou de France alors qu’ils avaient accepté celles de Nouvelle-Zélande ou de Malaisie. Il y a beaucoup de choses qui bloquent qui vont au-delà des récriminations des Etats du Pacifique, notamment sur les questions culturelles, les questions d’hégémonie de certaines plateformes de commerce ou pour internet donc il y a beaucoup de choses qui risquent de bloquer et qui ne sont pas bloquantes pour les pays du Pacifique parce qu’ils ne sont même pas dans le débat.
RT France : Le marché commun avec les Etats-Unis, est-ce que l’Europe en a besoin ?
Philippe Béchade : Le marché commun existe déjà, régi par l’OMC, on veut simplement modifier les règles afin de les rendre plus favorables aux entreprises américaines. Ces 10 dernières années on a vu émerger les Amazon, Google, Uber – le monde change, il faut donc peut-être adapter les règles du commerce. Le problème c’est que celles qu’on pourrait adopter, ce sont celles imposées par les Américains, qui font un intense lobbying auprès des autorités de Bruxelles et qui s’entendent à merveille pour diviser les Européens. Il est clair que le TTIP est un Transpacifique appliqué à l’Europe. C’est quelque chose qui rendra les positions de nos entreprises beaucoup plus fragiles par rapport à des concurrents américains. Dans le cadre du Traité, cela voudrait dire que les monopoles américains ne pourraient pas être remises en cause, ni freinées, et dans le cadre d’une concurrence ce sont les instances d’arbitrage américaines qui auraient la capacité d’imposer une jurisprudence. Je pense qu’il faut laisser aux Etats cette capacité d’arbitrer et ne pas déléguer ça à des instances privées dans l’intérêt des Américains.
RT France : Au terme, est-ce que le TTIP va profiter à la France ?
Philippe Béchade : Je me fie à ce que les spécialistes écrivent : pour le monde agricole cela risque d’être un désastre – les Américains ont une vieille revanche à prendre sur la Politique agricole commune – connue sous l’acronyme PAC – et deuxièmement dans le cadre agro-alimentaire, ce sont une nouvelle fois les multinationales américaines qui pourraient décider d’attaquer ou de s’en prendre à des petites structures européennes qui n’ont aucun moyen de se défendre et qui se verraient imposer des normes américaines.
Les indegivrables de #Gorce sur #TTIP commerce rime avec humour! pic.twitter.com/fsVoFSK0a5
— Arancha Gonzalez (@AranchaGlezLaya) 4 Novembre 2015
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