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Ukraine : «L'hystérie continue» malgré la fin d'exercices militaires russes, déplore Sergueï Lavrov

Malgré les preuves fournies par la Russie d'un retour en caserne des troupes déployées pour des exercices, les Etats-Unis maintiennent qu'une invasion de l'Ukraine reste imminente. Moscou s'inquiète de son côté de l'escalade dans l'est ukrainien.

«L’hystérie continue», a déploré le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, lors d'une conférence de presse tenue le 17 février aux côtés de son homologue italien, Luigi Di Maio. Répondant à une question sur les allégations américaines selon lesquelles Moscou aurait non pas renvoyé des troupes dans leurs casernements mais déployé 7 000 soldats supplémentaires le long de la frontière avec l'Ukraine, Sergueï Lavrov a signifié que la Russie n'accepterait pas les accusations concernant la façon dont elle déplace son armée sur le territoire de son propre pays, évoquant un «droit souverain». Réaffirmant, se référant aux images fournies par le ministère de la Défense, que «les groupements militaires [retournent] dans leurs garnisons», le diplomate a renvoyé aux Etats-Unis la responsabilité de l'accroissement des tensions entre les deux pays : «L’escalade, c’est dans ces mêmes actions et dans le gonflement constant de la conscience publique avec ces menaces, ces histoires effrayantes», a-t-il développé.

«Il est impossible d’effectuer le retrait en une journée», explique Lavrov

La Russie a en effet annoncé, ce 17 février, poursuivre son retrait des équipements et unités militaires stationnés dans des régions russes proches de l'Ukraine, dont la Crimée, précisant qu'il s'agissait d'un processus classique marquant la fin d'exercices militaires.

«Aujourd'hui, des trains de matériel lourd d'unités du district militaire sud ayant rempli leurs missions sur des terrains d'exercice de Crimée ont rejoint leurs bases d'attache en Tchétchénie et au Daghestan après un déplacement de plus de 1 500 kilomètres par voie ferrée», a détaillé le porte-parole de l'armée russe, Igor Konachenkov. Une vidéo montrant un train chargé de camions militaires et traversant le pont de Crimée a d'ailleurs été diffusée par le ministère de la Défense.

Le porte-parole de l'armée russe a également annoncé le retour dans leurs bases d'unités de la 1ère armée blindée du district militaire ouest, qui avaient pris part à des manœuvres militaires dans les régions de Koursk et Briansk, proches de l'Ukraine.

«C’est un processus long», a fait valoir Sergueï Lavrov, expliquant «que le groupement [des unités] pour les manœuvres, pour les entraînements, a mis de nombreuses semaines à se rassembler» et qu'il est «impossible d’effectuer le retrait en une journée». Néanmoins, le retrait des unités est basé sur «un calendrier précis» établi par le ministère de la Défense. «Par conséquent [...] comme toujours, c’est une accusation sans fondement», a-t-il jugé à propos des assertions américaines.

Alors que les premières annonces de la fin des exercices militaires russes menés près de la frontière avec l'Ukraine avaient été accueillies positivement par la France et l'Allemagne, la représentante permanente des Etats-Unis à l'ONU, Linda Thomas-Greenfield, a, elle, maintenu ce 17 février que «la Russie se dirigeait vers une invasion imminente» de l'Ukraine. La diplomate a précisé avoir demandé au secrétaire d'Etat Antony Blinken de venir participer à une réunion sur l'Ukraine du Conseil de sécurité de l'ONU prévue de longue date à New York, présidée par le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Verchinine. Antony Blinken viendrait à l'ONU «pour faire comprendre au monde que nous faisons tout notre possible pour empêcher une guerre», a précisé la représentante américaine. Le président Joe Biden lui-même a ajouté que cette invasion russe pourrait se produire «dans les prochains jours», un schéma narratif qui est avancé depuis des semaines sans pour autant se réaliser. Ce même jour, dans une réponse écrite adressée à la partie américaine au sujet de ses demandes de garanties de sécurité mutuelle, la diplomatie russe a encore réitéré n'avoir aucune intention d'envahir l'Ukraine.

Un calendrier démenti par les faits

Le tabloïd britannique The Sun avait de son côté prédit cette fameuse invasion russe de l'Ukraine pour le 16 février. Le journal avait été jusqu'à communiquer un créneau horaire : 3h du matin. Or le calendrier a été démenti par les faits. Pour autant, et malgré les démentis en cascade du Kremlin quant à ses intentions belliqueuses, c'est désormais le 20 février qui est annoncé comme date de la future invasion dans un article de Politico. A l'appui de cette thèse, les analystes cités par le média en ligne évoquent la poursuite des exercices militaires conjoints des armées russe et biélorusse : le 20 février verrait ainsi la fin du «plus grand exercice militaire depuis la Guerre froide», incluant des avions de chasse et des lance-missiles. Selon le Center for Strategic and International Studies, cercle de réflexion basé à Washington, ces manœuvres donneraient l'opportunité à la Russie de «déborder les défenses ukrainiennes» en passant par la Biélorussie.

Cette prophétie se heurtera-t-elle, comme la précédente, au mur du réel ?

Une situation tendue dans l'est ukrainien

La situation dans l'est ukrainien, embourbé dans un conflit entre Kiev et des Républiques autoproclamées qui refusent de reconnaître les autorités issues du coup d'état de 2014, reste néanmoins très tendue. Ce 17 février, l'armée ukrainienne et les rebelles se sont mutuellement accusés de bombardements et de violations des accords de Minsk, qui visent à mettre un terme aux hostilités. Le ministre américain de la Défense, Lloyd Austin, a mis en garde contre une provocation qui pourrait être orchestrée par Moscou pour justifier une intervention militaire en Ukraine après des informations qualifiées de «troublantes» sur les accusations réciproques entre l'armée ukrainienne et les rebelles de l'est.

«Nous avons vu les informations sur les bombardements et c'est certainement troublant. Nous sommes encore en train de rassembler les détails. Nous disons depuis un certain temps que les Russes pourraient faire quelque chose comme cela pour justifier un conflit de type militaire», a-t-il déclaré à l'issue d'une réunion avec ses homologues de l'Alliance au siège de l'OTAN à Bruxelles.

Moscou est accusée par Kiev de soutenir les rebelles de l'est ukrainien, ce qu'elle a toujours démenti. La Russie ne reconnaît pas les Républiques de Donetsk et de Lougansk comme des Etats indépendants et, si une proposition en ce sens a été votée à la Douma, elle n'est pas soutenue pour l'heure par le parti au pouvoir Russie unie. La position russe sur cet épineux dossier consiste, comme l'a récemment souligné Vladimir Poutine, à plaider pour la mise en œuvre des accords de Minsk conclus en 2015.

Tout en estimant «évident» que les Russes, dans leur majorité, «sympathisent avec les habitants du Donbass et les soutiennent», le dirigeant avait affirmé : «Je partirai du principe que nous devons tout faire pour résoudre les problèmes du Donbass, mais le faire [...] principalement sur la base des opportunités non pleinement réalisées pour la mise en œuvre des accords de Minsk. Et nous espérons vivement que nos partenaires de l'autre côté de l'océan et en Europe, principalement la République fédérale [d'Allemagne] et la France, exerceront une influence appropriée sur les autorités actuelles de Kiev, et que cette solution sera trouvée.»

En tout état de cause, l'escalade diplomatique se poursuit entre les Etats-Unis et la Russie, l'ambassadeur adjoint des Etats-Unis à Moscou s'étant vu demander de quitter le pays.

L'ONU, par la voix de sa secrétaire générale adjointe Rosemary DiCarlo, a appelé les parties prenantes à la crise autour de l'Ukraine «à faire preuve d'un maximum de retenue en cette période sensible», à l'ouverture d'une réunion du Conseil de sécurité. «Nous appelons également toutes les parties concernées à s'abstenir de toute mesure unilatérale qui pourrait aller à l'encontre de la lettre et de l'esprit des accords de Minsk, ou compromettre leur mise en œuvre et entraîner de nouvelles tensions», a-t-elle ajouté, en appelant à recourir à la diplomatie pour régler les différends.