Une ONG américaine a-t-elle voulu créer un virus semblable au Covid-19 en 2018 à Wuhan ?
Le collectif Drastic a mis en ligne des documents selon lesquels l'ONG EcoHealth Alliance aurait soumis en 2018 à l'armée américaine un projet consistant à créer un virus Sars-CoV chimérique à partir de coronavirus de chauves-souris.
Des documents publiés le 21 septembre par Drastic, un collectif de scientifiques indépendants travaillant sur les origines du Covid-19, révèlent que l'ONG américaine EcoHealth Alliance aurait demandé, en 2018, un financement de 14 millions de dollars pour un projet qui consistait à créer un virus Sars-CoV chimérique en exposant des chauves-souris chinoises à des mutations de coronavirus. Le président de l'organisation, qui n'a pas nié l'authenticité du document, évoque pour sa part une «mauvaise interprétation» d'une «communication scientifique usuelle».
Comme l'explique le 23 septembre le site d'investigation The Intercept, le projet aurait été soumis, environ 18 mois avant l'apparition des premiers cas confirmés de Covid-19, à la Darpa, l'agence du département de la Défense des Etats-Unis en charge de la recherche et du développement des nouvelles technologies à usage militaire. Cette dernière l'avait rejeté pour des raisons de sécurité.
Le projet qui aurait été soumis par EcoHealth Alliance (une organisation dont la mission déclarée est de protéger les personnes, les animaux et l'environnement contre les maladies infectieuses émergentes) prévoyait de s'étaler sur trois ans et demi, en collaboration avec l'Institut de virologie de Wuhan, et s'intitulait Project Defuse. Il visait, d'après le document révélé, à libérer des particules provenant de coronavirus de chauve-souris et contenant de «nouvelles protéines à pointes chimériques» dans des grottes de chauves-souris issues de la province chinoise du Hubei, qui abrite la capitale Wuhan. L'objectif était, selon le projet présenté, d'étudier et de prévenir la transmission à l'homme.
Le rôle ambigu de Peter Daszak, président d'EcoHealth Alliance
Les documents (obtenus d'un informateur anonyme) ont été publiés mi-septembre par Drastic (acronyme signifiant en français «Equipe de recherche autonome radicale décentralisée enquêtant sur le Covid-19»), un collectif international d'une trentaine de scientifiques pluridisciplinaires qui estime que le rapport de l'OMS sur l'origine du virus, publié en mars 2021, n'a pas été réalisé en toute indépendance. Pour rappel, celui-ci privilégiait l'hypothèse d'une transmission accidentelle du virus à l'homme par l'intermédiaire d'un animal.
Selon The Daily Telegraph, les documents publiés par Drastic auraient été qualifiés d'authentiques par un ancien membre de l'administration Trump.
«Nous introduirons des sites de clivage adéquats spécifiques à l'homme», y écrivent les chercheurs pour présenter ce projet qui visait à faciliter la pénétration du virus dans les cellules humaines. Plus précisément des «sites de clivage de furine», insérés dans la protéine spike de coronavirus cultivés en laboratoires, une particularité jamais observée auparavant dans la famille des Sars-CoV (le type de virus qui cause entre autres le Covid-19) et qui accroît leur transmissibilité à l'homme.
Si ces nouveaux éléments ne suffisent pas à valider l'hypothèse d'une origine non-naturelle du virus, le refus des autorités américaines de valider le financement de cette recherche ne rend pas non plus cette théorie caduque. «Ne reste plus désormais qu'à savoir si les scientifiques chinois [du laboratoire de Wuhan] ont tout de même réalisé une partie du projet, même sans les fonds de l'armée américaine», se demande ainsi Le Point dans un article relatant la publication des documents de Drastic. L'hebdomadaire français pointe du doigt notamment le rôle ambigu du président d'EcoHealth Alliance, Peter Daszak, de nationalité britannique et américaine, qui avait porté en son nom en 2018 la demande de l'ONG auprès de la défense des Etats-Unis.
The Intercept avait déjà révélé avec d'autres médias que l'Institut national de la santé américain avait accordé à EcoHealth Alliance un total de 3,1 millions de dollars, dont près de 600 000 dollars utilisés en partie pour «identifier et modifier les coronavirus de chauve-souris susceptibles d'infecter les humains» en collaboration avec le laboratoire de Wuhan. La polémique avait alors poussé l'administration Trump, qui accusait la Chine de cacher l'origine du virus, à couper le financement de l'ONG.
En réaction, 77 Prix Nobel avaient signé en mai 2020 une lettre ouverte défendant l'organisation de Peter Daszak et dénonçant un «dangereux précédent d'interférence dans la conduite de la science». Dans la foulée, Daszak avait été choisi pour siéger à la commission de la revue The Lancet sur l'origine de la pandémie et pour participer à la mission conjointe de l'OMS à Wuhan, qui a abouti au rapport contesté par le collectif Drastic.
Certaines personnes aux Etats-Unis ne sont pas contentes, et elles l'ont fait fuiter
Or Peter Daszak aurait dès le début de la pandémie activement œuvré pour assimiler toute hypothèse d'une origine non-naturelle du Covid-19 à une théorie du complot. The Lancet a en effet publié, mi-février 2020, une «déclaration de soutien» aux médecins et chercheurs chinois, condamnant les «théories du complot qui suggèrent que le Covid-19 n'a pas une origine naturelle». Un texte signé par une vingtaine de grands scientifiques internationaux, mais qui aurait été intégralement rédigé par Peter Daszak, selon l'ONG luttant pour la transparence dans la communauté scientifique, US Right to Know (USRTK). En novembre, l'organisation avait rendu publics des e-mails de février 2020 montrant que le scientifique anglo-américain était l'auteur du texte, qu'il s'était toutefois gardé de signer lui-même. «Peter Daszak a arrangé la tribune publiée par The Lancet», a explicitement accusé dans Le Point Gary Ruskin, le fondateur de USRTK.
Peter Daszak n'a par ailleurs pas remis en cause l'authenticité des documents qui viennent d'être publiés par le collectif Drastic, remarquant le 18 septembre sur Twitter la «mauvaise interprétation d'une communication scientifique usuelle». Mais, comme le souligne The Intercept, ces derniers ne présentent pour autant aucune preuve concluante pour étayer la théorie contestée selon laquelle le virus aurait été fabriqué in vitro. Toutefois, Gilles Demaneuf, un ingénieur français basé en Nouvelle-Zélande membre de Drastic, a estimé que si son collectif a pu révéler le Project Defuse, ce n'est pas un hasard : «Certaines personnes aux Etats-Unis ne sont pas contentes, et elles l'ont fait fuiter», a-t-il relevé dans Le Point.