L'Argentine et le Mexique rappellent leurs ambassadeurs au Nicaragua après la vague d'arrestations
L'Argentine et le Mexique ont rappelé leurs ambassadeurs au Nicaragua pour consultation après la vague d'arrestations dans le pays. Face à la pression internationale grandissante, Managua dénonce des opposants qui mettent en danger sa souveraineté.
Le Mexique et l'Argentine ont annoncé conjointement le 21 juin rappeler leurs ambassadeurs au Nicaragua pour des consultations, après la vague d'arrestations d'opposants et de candidats à la présidentielle dans le pays d'Amérique centrale dirigé par Daniel Ortega.
Dans un communiqué commun, les gouvernements de centre-gauche du Mexique et de l'Argentine ont expliqué avoir demandé à leurs envoyés Gustavo Alonso Cabrera Rodriguez (pour le Mexique) et Mateo Daniel Capitanich (pour l'Argentine) de se rendre dans leurs capitales respectives afin de mener des consultations sur «les actions politico-judiciaires préoccupantes menées par le gouvernement nicaraguayen ces derniers jours qui ont mis en danger l'intégrité et la liberté de diverses figures de l'opposition (y compris des candidats à la présidence), des militants et des hommes d'affaires nicaraguayens».
L'Argentine et le Mexique se disent «attentifs à l'évolution de la situation liée à la République sœur du Nicaragua». Ils réitèrent dans leur communiqué leur pleine volonté de «collaborer de manière constructive à la promotion du dialogue afin que les Nicaraguayens eux-mêmes puissent surmonter cette situation de manière pacifique, dans le respect de la séparation des pouvoirs, des minorités, des garanties constitutionnelles et, en général, du plein respect de l'Etat de droit et des droits de l'homme».
Les deux pays s'étaient toutefois abstenus le 15 juin lors d'un vote du Conseil permanent de l'Organisation des Etats américains (OEA) condamnant les arrestations, estimant que bien que préoccupés par les arrestations d'opposants, ils pensent que les affaires intérieures du Nicaragua doivent être «respectées».
Le gouvernement du Nicaragua a affirmé pour sa part ce 23 juin que ces arrestations d'opposants, dont cinq candidats potentiels à la présidentielle de novembre, n'étaient pas «politiques» mais répondaient à des menaces de «coup d'Etat». «Ce n'est pas pour des raisons politiques mais en raison d'indices de la commission de délits clairement spécifiés dans les lois du Nicaragua», a déclaré le ministre des Affaires étrangères, Denis Moncada, dans un entretien à la chaîne de télévision Telesur.
Human Rights Watch et 59 pays alertent sur ces arrestations
Human Rights Watch a exhorté le 22 juin les Nations unies et les Etats membres à faire pression sur le président nicaraguayen Daniel Ortega pour qu'il mette fin aux violations présumées des droits de l’homme, notamment la répression contre les personnalités de l'opposition à l'approche des élections présidentielles de novembre. Ces dernières semaines, la police nicaraguayenne a arrêté au moins 14 opposants politiques, dont cinq candidats à l'élection présidentielle, suscitant les critiques internationales de plusieurs gouvernements et de groupes de défense des droits humains.
Nous avons le droit à la paix que nous bâtissons au prix de grands efforts après des siècles d'agression, d'ingérence et d'intervention des Etats-Unis et de puissances européennes complices
Dans un rapport de 38 pages, Human Rights Watch (HRW) a ainsi déclaré que «les arrestations très médiatisées et d'autres violations graves des droits humains contre les critiques semblent faire partie d'une stratégie plus large visant à éliminer la concurrence politique, étouffer la dissidence et ouvrir la voie» à un quatrième mandat Ortega consécutif.
HRW a également appelé le Secrétaire général de l'ONU à soulever la question au Conseil de sécurité, affirmant que la crise croissante pourrait saper la stabilité dans la région. L'ONU n'a pas répondu dans l'immédiat à une demande de commentaire de la part de l'agence Reuters.
Washington qualifie Daniel Ortega de «dictateur» et inflige des sanctions à quatre de ses proches. Les Etats-Unis, l'ONU, l'Espagne et l'Union européenne réclament la libération des opposants. Le Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Michelle Bachelet, a déclaré le 22 juin que la situation au Nicaragua se détériorait rapidement et a qualifié d'«arbitraires» les arrestations menées par les autorités. «Cela rend peu probable que les Nicaraguayens puissent exercer pleinement leurs droits politiques lors de l'élection», a-t-elle dit devant le Conseil onusien des droits de l'homme, à Genève.
Dans un communiqué commun, 59 pays ont dit partager les inquiétudes de Michelle Bachelet et exprimé leurs doutes sur la tenue d'un scrutin équitable.
Le gouvernement sandiniste accuse les opposants d'être à la solde des Etats-Unis pour «vendre la patrie»
Le ministre nicaraguayen des Affaires étrangères, qui a pris la parole juste après Michelle Bachelet lors de la session du Conseil des droits de l'homme, a rejeté les accusations et assuré que le gouvernement de Daniel Ortega avait arrêté des individus ayant commis des crimes contre la souveraineté, l'indépendance et la sécurité du Nicaragua. «Nous avons le droit à la paix que nous bâtissons au prix de grands efforts après des siècles d'agression, d'ingérence et d'intervention des Etats-Unis et de puissances européennes complices», a dit Denis Moncada.
Le gouvernement de Daniel Ortega accuse en effet les candidats potentiels à la présidentielle arrêtés d'être des «usurpateurs» financés par les Etats-Unis et l'Union européenne pour fomenter un «coup d'Etat» contre Daniel Ortega. Tous les opposants emprisonnés sont accusés par le gouvernement sandiniste et ses soutiens d'appartenir à «un gang voulant vendre la patrie».
Daniel Ortega, dirigeant sandiniste, est revenu au pouvoir en 2007 après avoir dirigé le pays de 1979 à 1990. Parmi les réalisations de la révolution sandiniste socialiste, sa «croisade nationale d'alphabétisation», une de ses plus grandes réussites. Au cours des années 1980, le budget consacré à l’enseignement est plus que doublé, et le taux global d'analphabétisme est passé de 50,3 % à 12,9 % en seulement cinq mois, selon un rapport de l'Unesco qui a félicité le pays. A travers des campagnes de vaccination et la construction d'hôpitaux publics, les sandinistes au pouvoir ont amélioré le système de santé nicaraguayen, réduisant de moitié la mortalité infantile. Dans le domaine de la réforme agraire, les propriétés de la famille Somoza – dynastie dictatoriale au pouvoir de 1936 à 1979 – et de certains de leurs cadres sont redistribuées aux paysans ou converties en fermes d’Etat.
Peu après la prise de pouvoir de la révolution sandiniste en 1979, la contre-révolution armée démarre fin 1981, soutenue par les Etats-Unis qui, inquiets de l'alignement de Managua sur Cuba et l'Union soviétique, financent le mouvement des «contras» (contrarevolucionarios). L'effondrement de l'économie et la guerre civile qui met le pays à feu et à sang, décimant la jeunesse, aboutissent en 1990 à la déroute électorale des sandinistes. En février de cette année-là, Violeta Chamorro, candidate de l'Union nationale d'opposition (UNO), est élue présidente. En avril, un cessez-le-feu met fin à une guerre civile qui a fait quelque 50 000 morts.
En 2007, Daniel Ortega est revenu au pouvoir. Aujourd'hui, Christiana Chamorro, fille de l'ancienne présidente et candidate pour les élections présidentielles de novembre, fait partie des opposants arrêtés par le gouvernement.
Meriem Laribi