Les présidents américain et russe s’accordent sur au moins un point : les relations entre les Etats-Unis et la Russie n’ont jamais parues aussi médiocres. La rencontre entre Joe Biden et Vladimir Poutine, le 16 juin à Genève, aura pour but de rétablir le dialogue entre Moscou et Washington. Pour le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov, le «niveau critique de cette relation exige un sommet entre nos deux pays car c'est le seul moyen […] d'empêcher une nouvelle dégradation de notre dialogue».
Iouri Ouchakov, conseiller pour les affaires étrangères du président russe, a exprimé pour sa part les attentes qu’il plaçait à l’issue de ce sommet : «Je vois cette rencontre avec un optimisme pratique mais faible. C'est une première rencontre dans des conditions difficiles.»
Ce sera la première rencontre des deux hommes depuis que Joe Biden a succédé à Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. Moscou impute à Washington la seule responsabilité de la dégradation de leurs relations.
Vladimir Poutine avait à ce sujet déclaré notamment en marge du Forum économique de Saint-Pétersbourg le 4 juin que les Etats-Unis voulaient entraver le développement de la Russie et qu'ils ne s'en cachaient pas. Le président russe avait cependant reconnu l'importance de rétablir un dialogue stable avec les Etats-Unis dans les domaines tels que «la sécurité, de la stabilité stratégique et de la réduction des armes dangereuses».
Je dirai clairement ce que je pense de la manière dont la rencontre s'est déroulée
De son côté, Joe Biden avait déclaré à l’issue du G7 qui s’est réuni en Angleterre du 11 au 13 juin qu’«il ne s'agit pas d'un concours pour savoir qui est le meilleur lors d'une conférence de presse pour essayer d'embarrasser l'autre, il s'agit d'indiquer de manière très claire quelles sont les conditions à remplir pour obtenir une meilleure relation avec la Russie. Nous ne cherchons pas le conflit» dans des propos repris par La Libre. Il a cependant prévenu : «N'ayez aucune doute sur le fait que je serai très direct concernant nos sujets de préoccupations et je dirai clairement ce que je pense de la manière dont la rencontre s'est déroulée.»
Le journaliste avait également demandé au président russe quelle était sa réaction à la qualification de «tueur» dont l’avait affublé Joe Biden en mars 2021 : «Au cours de mon mandat, je me suis habitué à des attaques sous tous les angles et de toutes parts sous toutes sortes de prétextes et de raisons, et de différents calibres et violence, et rien de toute cela ne me surprend», avait alors répondu Vladimir Poutine.
Le président de la Fédération de Russie avait cependant déclaré à plusieurs reprises sa volonté de coopérer avec Joe Biden, d’où sa réponse favorable à l’invitation de Joe Biden au sommet de Genève le 16 juin, afin de «bâtir une relation stable».
Au programme des discussions : la situation en Ukraine dont Joe Biden vient de doucher la volonté d’intégrer l’OTAN, le sort de l’opposant Alexeï Navalny, la lutte contre le Covid-19 ou encore les accusation de cyberattaques envers Moscou. Iouri Ouchakov a aussi envisagé la possibilité du retour des ambassadeurs russe et étasunien à leurs postes respectifs.
Une dégradation continue depuis l'ère Obama ?
La dégradation des rapports entre les deux superpuissances n’est toutefois pas récente. Lorsque Joe Biden était le vice-président de Barack Obama, mais aussi sous l’administration Trump, les relations russo-américaines étaient déjà jugées dans un état critique.
Un changement semblait toutefois se profiler lors de l’alternance entre Vladimir Poutine et Dmitry Medvedev, de mai 2008 à mai 2012. Ce dernier avait alors rencontré Barack Obama au sommet du G20 en 2009 à Londres où les deux hommes d’Etat semblaient nouer des relations cordiales en publiant une déclaration commune promettant un «nouveau départ» dans les relations russo-américaines. L’année suivante, Hilary Clinton, alors secrétaire d’Etat, et son homologue russe Sergueï Lavrov avaient symboliquement appuyé sur un bouton «réinitialisation».
Les Etats-Unis veulent une Russie forte
L’apogée de cette entente semblait atteinte l’été de la même année après la visite de Barack Obama à Moscou qui avait alors déclaré que : «Les Etats-Unis veulent une Russie forte, pacifique et prospère. Cette conviction est enracinée dans notre respect pour le peuple russe et dans une histoire commune qui dépasse la concurrence.»
C’est cependant Joe Biden, alors vice-président des Etats-Unis, qui avait refroidi l’évolution des rapports russo-américains en déclarant que la démographie et l’économie russes «en perte de vitesse» induisaient une souplesse de la Russie avec l’Occident en matière de sécurité. Les relations ont continué de se dégrader en 2010 lors de la découverte d’un réseau d’espions russes par le FBI aux Etats-Unis, engendrant l’expulsion d’une dizaine de personnes. Vladimir Poutine avait quant à lui dénoncé une ingérence étasunienne lors des législatives de 2011.
Le 14 décembre 2012, Barack Obama avait signé la loi Magnitski, qui prévoyait des sanctions financières et des interdictions de visa contre les fonctionnaires russes suspectés d'être impliqués dans des atteintes aux droits de l’Homme en Russie. C’est toutefois l’expulsion de diplomates russes de l’ambassade à Washington après les accusations d’ingérences russes dans l’élection présidentielle étasunienne de 2016 que les relations russo-américaines ont paru atteindre une phase critique dans ce qui fut surnommé le «Russiagate».
Détente et crispations sous l'ère Trump
Le 22 mars 2019, au bout de deux années d’enquête et près de 3 000 réquisitions et les auditions de plusieurs centaines de témoins, le rapport du procureur spécial Robert Mueller concluait qu’aucun élément ne permet d’étayer une collusion entre l'équipe de Donald Trump et la Russie lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2016. Vladimir Poutine s’était d’ailleurs félicité en avril 2019 des conclusions du rapport en soulignant que «Nous disions depuis le début que la commission Mueller ne trouverait rien, personne ne le savait mieux que nous».
Même si les soupçons pouvaient persister outre-Atlantique, c’est sous l’administration Trump que fut signé l'ordre d'expulsion de 60 diplomates russes accusés d'espionnage aux Etats-Unis, soit le plus massif de l'histoire entre les deux pays. Donald Trump cherchait cependant l’appui de la Russie sur plusieurs dossiers internationaux et avait même déclaré lors d’une entrevue à Fox News en avril 2021 qu’il «s’entendai[t] très bien avec [Vladimir Poutine]», exhortant la nécessité que maintenir de bonnes relations avec Moscou était dans l’intérêt des Etats-Unis afin d’éviter un rapprochement entre la Russie et la Chine qui se ferait au détriment de la première puissance mondiale. «La pire chose que vous puissiez faire est de pousser la Chine et la Russie à s'allier, et à se renforcer mutuellement», avait souligné Donald Trump.
Le mandat de Donald Trump s'est aussi caractérisé par le retrait des Etats-Unis de plusieurs traités internationaux, comme l'UNESCO, les accords de Paris, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et le traité Ciel ouvert en novembre 2020 en dénonçant le non-respect des stipulations conventionnelles par la Russie. Cette dernière sortira aussi du traité en mai 2021 après un accord de la Douma, sur proposition de Vladimir Poutine. Le retrait des Etats-Unis du traité INF leur a cependant permis de développer un nouveau missile de moyenne portée. Les accords START (Traité de réduction des armements stratégiques ont en revanche été renouvelés par son successeur, Joe Biden, en février 2021 sous l'appellation New Start.
Ces retraits mutuels avaient notamment conduit à l'abandon de plusieurs enjeux internationaux cruciaux, comme la sécurité. La politique souvent qualifiée d'isolationniste de Donald Trump et les tensions de plus en plus exacerbées avec la Russie sont un des facteurs de cet abandon progressif, d'où la volonté de Moscou de rétablir un dialogue sur ces problématiques avec Washington.
Joe Biden et Vladimir Poutine prendront la parole séparément à l’issue du sommet du 16 juin. Dmitri Peskov a en effet indiqué que le président étasunien préférait ce format, rappelant qu'il n'avait pas non plus participé à une conférence de presse commune lors du sommet du G7. Des sessions de travail sont aussi au programme, sans que Washington ou Moscou n'aient donné de précisions sur leur ordre du jour. Le président russe espère notamment voir des mécanismes de coopération se former à la suite de cette rencontre. «Je considère que ce serait le rétablissement de nos contacts personnels, le début d'un dialogue direct, la création d'un mécanisme d'interactions réellement efficace dans les domaines qui nous intéressent mutuellement», a-t-il notamment déclaré au micro de Rossia 1.
Reste à savoir si Joe Biden et Vladimir Poutine sont capables de retrouver l'entente et d'inverser la tendance qui s'est installée depuis la dernière décennie dans les relations russo-américaines. En attendant le monde attend avec beaucoup d'impatience la première rencontre des deux chefs de l'Etat à Genève.
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