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Conséquence de la censure ? Telegram a été l'application la plus téléchargée au monde en janvier

En janvier, l'application de messagerie cryptée s'est hissée devant ses concurrents comme Whatsapp et Messenger. Cible de critiques insistantes ces derniers temps, Telegram tire-t-elle profit de la politique menée par ses rivaux ?

La plateforme sécurisée de messagerie instantanée Telegram est devenue l'application la plus téléchargée dans le monde en janvier, hors jeux vidéos, selon un rapport de Sensor Tower, site spécialisé dans l'analyse du trafic. L'application devance respectivement TikTok, Signal, Facebook et Whatsapp.

Un succès dû en partie à la désaffection de nombreux internautes pour des plateformes telles que WhatsApp ou Twitter, accusées de censure ou d'un manque de protection des données personnelles. Face à ce succès, les détracteurs de Telegram l'accusent de laisser libre cours à la propagation de discours de haine, et ce malgré les mesures prises récemment par la plateforme contre des comptes ayant lancé des appels à la violence.

Selon Sensor Tower, 63 millions d'internautes ont ainsi téléchargé Telegram le mois dernier, soit près de 4 fois plus qu'en janvier 2020. Une performance qui porte le nombre d'utilisateurs actifs mensuels de Telegram à plus de 500 millions, contre 2 milliards pour WhatsApp, l'application de messagerie la plus utilisée au monde.

Le russe Pavel Dourov − qui a co-fondé Telegram en 2013 avec son frère Nikolaï après avoir lancé le réseau social VKontakte − a salué ce résultat dans un message publié sur son fil : «Au cours des sept dernières années et demie, nous avons constamment défendu la vie privée de nos utilisateurs et régulièrement amélioré la qualité et les fonctionnalités de nos applications». Telegram propose en effet plusieurs fonctionnalités axées sur la confidentialité, comme un cryptage de bout en bout des conversations, et des options de confidentialité telles qu'une auto-destruction des messages et la possibilité pour l'expéditeur de les supprimer chez tous les destinataires, ou encore un avertissement lorsqu'une capture d'écran a été réalisée. 

Une alternative à la censure et à l'exploitation abusives des données personnelles ?

Ce type de stratégie s'avère payant à l'heure où les polémiques portant sur les entraves à la liberté d'expression et l'utilisation abusive des données personnelles des utilisateurs touchent les GAFA.

Ainsi, le 7 janvier dernier, WhatsApp − messagerie cryptée rachetée par Facebook en 2014 − s'est récemment retrouvée sous le feu des critiques pour avoir demandé à ses usagers d'accepter de nouvelles conditions d'utilisation lui permettant de partager plus de données avec le réseau social de Mark Zuckerberg. Certains utilisateurs qui refusent ne peuvent plus accéder à leur compte depuis le 8 février, cette évolution n'ayant pour le moment été mise en œuvre que partiellement en Europe.

Ce même 7 janvier, Facebook annonçait de son côté suspendre les comptes Facebook et Instagram de l'ancien président américain Donald Trump pour une durée indéterminée, au lendemain des violences survenues au Capitole de Washington. L'entreprise californienne aurait également, selon Forbes, transmis au FBI des informations privées d'un de ses utilisateurs dans le cadre d'une enquête en lien avec l'intrusion de partisans de Donald Trump dans le bâtiment abritant le Congrès des Etats-Unis.

Et cette offensive n'allait pas s'arrêter là, donnant lieu à un mouvement également suivi par le réseau de micro-blogging Twitter qui déclarait le 8 janvier avoir définitivement suspendu le compte personnel de Donald Trump aux 88 millions d'abonnés, une décision qui avait suscité une intense polémique, notamment en France, et s'était traduite par une chute en bourse de la société dirigée par Jack Dorsey. Trois jours plus tard, Twitter annonçait avoir «suspendu définitivement» 70 000 comptes affiliés à la mouvance QAnon, et justifiait sa décision en accusant ces comptes d'avoir partagé des «contenus dangereux [...] à grande échelle» et d'être «essentiellement consacrés à la propagation de ces théories du complot sur tout le service». 

Certains comptes Twitter proches du public pro-Trump ont également fait état de la disparition soudaine de dizaines de milliers de leurs abonnés, sans que l'on sache s'il s'agissait d'une censure de Twitter ou d'une migration massive vers d'autres plateformes. De nombreux utilisateurs ont en effet trouvé refuge sur Telegram mais également sur d'autres alternatives, comme le réseau social Parler qui a été mis hors service le 11 janvier au lendemain de la décision d'Amazon de couper l'accès de l'entreprise à ses serveurs.

Autre domaine dans lequel les réseaux sociaux traditionnels optent pour une politique de modération agressive : la crise sanitaire. Dernier exemple en date, la société Facebook a ainsi annoncé qu'elle allait redoubler d'efforts pour «retirer les fausses affirmations sur Facebook et Instagram sur le Covid-19, sur les vaccins contre le Covid-19 et les vaccins en général pendant la pandémie».

Telegram sous la pression 

Rançon du succès, Telegram fait récemment d'attaques de ceux qui aimeraient voir la politique de modération restrictive choisie par les autres plateformes devenir la norme. 

Ainsi, le 18 janvier dernier, la Coalition for a Safer Web(«Coalition pour un Web plus sûr») − organisation à but non lucratif fondée par l'ancien ambassadeur américain au Maroc Marc Ginsberg − a entamé une action en justice contre Apple, exigeant que la firme de Cupertino supprime Telegram de son magasin d'application App Store. L'argument invoqué était l'incitation «à une violence extrême» avant la cérémonie d'investiture de Joe Biden qu'aurait permis Telegram en ne contrôlant pas les messages échangés par ses utilisateurs. L'organisation accusait en outre l'application de laisser prospérer l'antisémitisme, le suprémacisme blanc, et d'autres formes d'extrémismes. Marc Ginsberg a par ailleurs demandé à Apple 75 000 dollars de dommages et intérêts pour la «détresse émotionnelle» que lui aurait causée l'indulgence d'Apple envers Telegram. La Coalition for a safer web a annoncé avoir intenté une action en justice similaire contre Google. L'ONG espère ainsi réserver à Telegram le même sort que Parler qui a été retirée de Google Play Store puis d'App Store.

Telegram avait pourtant annoncé mi-janvier avoir suspendu des chaînes de discussions − auxquelles participaient des milliers de membres − qui enfreignaient ses conditions générales d'utilisations interdisant les appels à la violence. Cette quinzaine de chaînes était décrite par le site spécialisé Techcrunch comme faisant partie d'un«réseau organisé de comptes néonazis et suprémacistes blancs», partageant des documents tels que des manuels de fabrication de bombes, selon NBC News.

De la même façon que les entraves à liberté d'expression se répercutent partout dans le monde (qu'elles soient ou non liées aux omniprésents GAFA), le succès croissant de Telegram s'avère international. 24% des téléchargement de l'application en janvier proviennent ainsi d'Inde, pays où les applications chinoises WeChat et TikTok ont été interdites l'été dernier.

La messagerie pourrait donc bien tenir un filon d'avenir.