Référendum constitutionnel en Algérie : révolution ou diversion ?

Référendum constitutionnel en Algérie : révolution ou diversion ?© Ramzi Boudina Source: Reuters
Le bâtiment de l'Assemblée populaire nationale, chambre basse du Parlement algérien, photographié en septembre 2020 (image d'illustration).
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Les Algériens se prononceront le 1er novembre sur une révision de la Constitution. Si l'exécutif la présente comme une réponse au Hirak, la majorité de l'opposition nie toute légitimité à l’organisation de ce référendum et au contenu du texte.

A l’heure des revendications de changement en Algérie, l’avènement d’une nouvelle Constitution est présentée par le gouvernement comme la panacée. Le 1er novembre – date historique puisqu'elle correspond au déclenchement de la guerre l'Algérie en 1954 –, les Algériens sont appelés aux urnes. Ils décideront de l’adoption ou du rejet d’une réforme constitutionnelle qui, selon le président Abdelmadjid Tebboune, «répond aux revendications du Hirak populaire authentique béni». Malgré les promesses de mettre fin aux pratiques contestées du système politique mis en place sous Bouteflika, une partie de la société civile et de la classe politiques algérienne est vent debout contre cette réforme constitutionnelle. Elle pointe tantôt le manque de légitimité des politiques qui la portent, tantôt l’absence de consultation populaire dans la production d'un texte censé bâtir l’Algérie nouvelle.

Le processus de conception de la Constitution convient peu au Hirak, ce mouvement populaire né en février 2019 en réaction à l’annonce en 2019 du président Abdelaziz Bouteflika de sa candidature à un cinquième mandat malgré un état de santé fortement dégradé. Sur Twitter, le hashtag Notre constitution c'est votre départ est devenue celui du Hirak. Le collectif Moubadarat 22-2, composé de membres du mouvement, exprime dans son manifeste sa «volonté de rupture avec les institutions actuelles, dans leur composante, leur performance, leurs pratiques et leurs conséquences». Ghalem, membre actif du Hirak confiait à Orient XXl le 12 octobre : «Tebboune, président illégitime, marque son territoire et son passage à la présidence. La Constitution du Hirak reste à écrire, à travers une Assemblée constituante».

Pas d'Assemblée constituante, en effet. Les 225 articles du texte constitutionnel ont été élaborés par un panel d’experts désigné par la présidence. Le comité chargé de la révision constitutionnelle créé en janvier 2020 a, lui, été dirigé par Ahmed Laraba, qui avait mené une mission similaire en 2014 sous le gouvernement Ouyahia (ancien Premier ministre de Bouteflika aujourd’hui incarcéré).

Méfiance envers les députés qui ont validé le texte 

Une autre institution a participé à l'avancement du projet : le 12 septembre 2020, le Conseil de la nation (Chambre Haute) validait − quelques jours après l’Assemblée populaire nationale − le projet de Constitution. Problème : le Parlement n’a pas été dissous par Abdelmajid Tebboune à son arrivée au pouvoir.

La méfiance du Hirak est d’autant plus grande envers cette institution depuis le procès du député FLN Baha Eddine Tliba ouvert le 2 septembre 2020 à Alger. Poursuivi pour «blanchiment d’argent, dans le cadre d’une organisation criminelle», «trafic d’influence pour l’obtention d’indus avantages» dans l’affaire du «commerce» des candidatures au postes de députés, il avait − devant le tribunal − affirmé que ceux-ci se monnayaient contre 70 millions de dinars (environ 400 000 euros).

Tliba comparaissait avec les deux fils de l’ancien secrétaire général du FLN Djamal Ould Abbès, Skander et Wafi (ce dernier étant en fuite lors du procès), Kheladi Bouchenak, chargé de l’organisation des listes électorales des élections législatives de 2017, et un agent immobilier, Mohamed Habchi. Le parquet a requis des peines de 10 ans de prison ferme assortis d’une amende de huit millions de dinars contre Baha Eddine Tliba et Skander Ould Abbès, sept ans de prison ferme contre Kheladi Bouchenak et trois ans ferme contre Habchi, rapportait El Watan le 3 septembre.

C’est l’une des raisons pour lesquelles Moubadarat 22-2 dit refuser «que le processus de changement soit confié au pouvoir en place» et appelle «à refuser les pratiques pseudo-démocratiques qui empruntent les techniques et les mécanismes pour les vider de leur contenu et les transformer en instrument de reproduction d’un système de pouvoir illégitime avec de nouvelles figures».

Des garanties qui ne convainquent pas les figures du Hirak

Malgré la défiance, le gouvernement algérien a tenté de satisfaire certaines revendications du Hirak en limitant le nombre de mandats présidentiels. Le projet de réforme constitutionnelle prévoit que le président ne puisse plus prétendre à la plus haute fonction de l’Etat plus de deux fois. Un verrou supprimé en 2008 par la Constitution instaurée par Abdelaziz Bouteflika.

Les mandats parlementaires seront aussi limités à deux. Le ministre de la Justice et le Procureur général devront quitter le Conseil supérieur de la magistrature. Le président en garde la tête. Autant de mesures visant à mettre l'Algérie «à l'abri des dépassements autocratiques et hégémoniques qu'elle a connus par le passé», selon le Premier ministre Abdelaziz Djerad. Dans un entretien accordé à El Watan au mois de juin, Ahmed Laraba défendait le texte qu’il a contribué à élaborer : comme barrière aux dérives présidentialistes, il citait le «renforcement du contrôle constitutionnel, comme la Cour constitutionnelle» ainsi qu’une «extension du champ démocratique et des libertés», «la liberté de la presse et le rééquilibrage des pouvoirs».

Pour garantir cette démocratisation, la nouvelle version de la Constitution interdit aussi la limitation des droits fondamentaux et des libertés publiques, sauf pour des raisons liées à la protection de l’ordre public et d’autres droits et libertés, mais selon le mouvement Moubadarat 22-2, le gouvernement doit, avant de placer ces principes dans la Constitution, en finir avec «le recours aux arrestations, aux intimidations et à la surveillance policière à l’encontre des citoyens, des blogueurs, des journalistes et activistes».

Depuis maintenant plusieurs mois, les manifestants du Hirak demandent la libération d’activistes. Le 20 octobre, cinq étudiants, figures du mouvement populaire estudiantin, ont été arrêtés à Alger pour des raisons encore inconnues, et transférés au commissariat de Cavaignac, selon le comité national pour la libération des détenus. S’ils ont été relâchés, ces arrestations ne sont pas sans rappeler celle du poète Mohammed Tadjadit, arrêté le 14 novembre 2019, puis condamné en décembre de la même année à 18 mois de prison ferme et 100 000 dinars d’amende (environ 600 euros). Il avait été placé en liberté provisoire le 2 janvier, puis de nouveau arrêté le 23 août à Aïn Taya dans la banlieue d’Alger.

L’arrestation la plus médiatique reste celle du journaliste correspondant de RSF et TV5 Monde Khaled Drareni. Interpellé en mars, août et décembre 2019, il est finalement incarcéré le 29 mars dans le centre pénitentiaire de Koléa, près de Tipaza. Il est accusé d’atteinte à l'intégrité du territoire national notamment en raison de deux publications sur les réseaux sociaux, selon RSF. Il lui est reproché d’avoir écrit : «Ce système se renouvelle sans cesse et refuse le changement, lorsque nous appelons à la liberté de la presse, on nous répond par la corruption et l’argent, l’argent n’achète pas tout. Vive la liberté de la Presse». Il lui a aussi été reproché d'avoir «perçu une rémunération pour des services fournis à un médias étranger, TV5, sans présenter de preuve de son accréditation légale en tant que correspondant», toujours selon RSF. Le 15 septembre, il a été condamné à deux ans de prison ferme par la Cour d’appel d’Alger.

On ne peut pas réduire la crise qui secoue le pays à une simple révision de la Constitution

Nombre de partis politiques ont ajouté leur voix à celle des opposants à la réforme constitutionnelle. Dans le quotidien Liberté, le 25 octobre, Zoubida Assoul, présidente de l’Union  pour le changement et le progrès (UCP), faisait remarquer : «le Hirak qui est né le 22 février 2019 n’a jamais revendiqué l’amendement de la Constitution. En revanche, c’était une priorité durant la campagne électorale du candidat Abdelmadjid Tebboune. C’est donc une priorité du système, mais pas celle du Hirak». Elle ajoutait : «on ne peut pas réduire la crise qui secoue le pays à une simple révision de la Constitution». La femme politique note que «rétrospectivement, cela fait partie des pratiques du système. À chaque fois qu’il y a eu une crise, le système recourt au changement de la Constitution. À peine arrivé au pouvoir en 1999, Abdelaziz Bouteflika a commencé par dire que cette Constitution ne lui plaisait pas».

De son côté, l’opposant historique Saïd Sadi, ancien président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) pointe du doigt «l’hyperprésidentialisme», digne selon lui «des folklores constitutionnels des républiques bananières» et «la confusion des pouvoirs» qui «constitue la trame et l'esprit d'un texte qui n’aura qu'une finalité : paralyser davantage une administration incapable de curer les caniveaux à chaque automne».

Le Front des forces socialistes (FFS) ne cautionne pas non plus le scrutin du 1er novembre qui «constitue une énième violence constitutionnelle et un coup de force de trop contre la volonté populaire», écrit Youcef Aouchiche, premier secrétaire du FFS, dans un communiqué du parti.

Une réforme «réhabilitant l’équilibre entre les pouvoirs», selon le FLN

En revanche, le parti d’opposition Jil jadid (Nouvelle génération) soutient le projet de révision constitutionnelle. Auprès du Monde, son président Soufiane Djilali fait valoir qu'il y a «des ouvertures dans cette Constitution qui permettront l’éclosion de courants politiques en dehors des structures qui ont monopolisé la vie politique depuis 20 ans». «Soit on aide le système à évoluer de l’intérieur, soit on cherche l’affrontement direct pour le faire chuter, et là les dégâts seront terribles», ajoute-t-il.

Quant au Front de libération national (FLN), parti majoritaire au Parlement, son secrétaire général Abou El Fadhl Baâdji considère que ce projet est à même de «rétablir l’autorité de l’Etat et de ses institutions via la réhabilitation de l’équilibre entre les pouvoirs et l’inclusion d’articles qui consacrent définitivement l’action démocratique par une alternance au pouvoir», selon des propos rapportés par l'agence APS.

En tout état de cause, les nombreuses réserves évoquées pourraient engendrer un fort taux d’abstention ce 1er novembre, pouvant faire perdre en légitimité le texte censé faire faire peau neuve à l'Algérie.

O.M 

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