Au procès d'Assange, un journaliste et un lanceur d'alerte témoignent de la déontologie de WikiLeaks

Au procès d'Assange, un journaliste et un lanceur d'alerte témoignent de la déontologie de WikiLeaks© Tolga Akmen Source: AFP
Manifestation devant le tribunal d'Old Bailey dans le centre de Londres le 14 septembre 2020, où se tient l'audience d'extradition contre le fondateur de WikiLeaks Julian Assange (image d'illustration).
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Le procès de Julien Assange a été marqué, le 16 septembre, par les témoignages du journaliste allemand John Goetz et du lanceur d'alerte Daniel Ellsberg. Ils ont attesté de la déontologie de WikiLeaks et de l'intérêt public de ses révélations.

Deux témoignages déterminants pour la défense de Julian Assange ont été entendus, le 16 septembre, par le tribunal d'Old Bailey à Londres lors du procès en extradition du fondateur de WikiLeaks.

Le premier, celui de John Goetz – journaliste pour l'hebdomadaire allemand Der Spiegel en 2010, qui avait travaillé dans l'équipe chargée de traiter les câbles de WikiLeaks sur les guerres d'Afghanistan et d'Irak – et le second, celui de Daniel Ellsberg, l'homme qui fut à l'origine des Pentagon Papers, affaire qui avait mis à mal le storytelling de Washington sur la guerre du Vietnam (1955-1975).

Selon John Goetz, Assange a censuré 15 000 câbles pour protéger des vies humaines

Alors qu'il est principalement reproché à Julian Assange d'avoir mis les vies d'informateurs des Etats-Unis en Irak et en Afghanistan en danger, le journaliste allemand John Goetz a balayé tout doute sur la déontologie de WikiLeaks et de Julian Assange. Selon lui, ce dernier a veillé à ce que les identités des informateurs apparaissant dans les documents secrets révélés du gouvernement américain soient effacées avant publication.

James Lewis, avocat des Etats-Unis, a en effet expliqué durant ce procès qu'il demandait l'extradition d'Assange pour la publication des noms d'informateurs, et non pour avoir traité des documents divulgués, ce qui est la fonction même de tout journaliste, métier protégé par la liberté d'expression prévue dans le premier amendement des Etats-Unis. Cette accusation d'avoir mis des vies en danger est donc le cheval de bataille de l'accusation étatsunienne dans ce procès. Et elle a été démontée par John Goetz. Le journaliste d'investigation allemand a notamment déclaré que le département d'Etat américain avait été consulté dans une conférence téléphonique suggérant des expurgations, et WikiLeaks avait accepté de ne pas publier environ 15 000 documents pour, justement, protéger les vies humaines impliquées. «Des risques pouvaient peser sur ces personnes et c'était l'une des choses dont on parlait tout le temps», a assuré John Goetz au tribunal.

Assange était inquiet et insistait auprès des médias qui allaient publier les fuites de WikiLeaks afin qu'ils prennent les mesures nécessaires «pour que personne ne soit blessé», a-t-il encore précisé. Le journaliste allemand a ensuite décrit la frustration de Julian Assange lorsqu'un mot de passe permettant d'accéder au contenu complet et non expurgé a été publié dans un livre des journalistes du Guardian Luke Harding et David Leigh, en février 2011. Le fondateur de WikiLeaks avait, en effet, fermement dénoncé cette publication dans un communiqué. Il avait ensuite tenté en vain d'alerter le Département d'Etat sur la divulgation de ces informations. Une scène du documentaire Risk, visible sur Netflix, atteste de cette tentative infructueuse de Julian Assange de joindre Hilary Clinton afin de minimiser les risques encourus par des personnes vulnérables et d'apporter son aide.

Grâce à WikiLeaks, le public américain s'est confronté à la «réalité de notre guerre»

L'homme qui a divulgué les Pentagon Papers sur la guerre du Vietnam était le second témoin entendu pour la défense de Julian Assange.

J'étais très heureux que le public américain soit confronté à cette réalité de notre guerre.

Daniel Ellsberg, 89 ans, ancien analyste du Département d'Etat et du Pentagone – surnommé «l'homme le plus dangereux d'Amérique» par Henry Kissinger, responsable de la diplomatie américaine sous Nixon – avait été inculpé en 1971 pour vol, conspiration et espionnage avant que ces charges soient abandonnées en 1973, quand le cabinet de son psychiatre a été cambriolé par des agents de la CIA afin d'obtenir son dossier médical pour l'accabler. Daniel Ellsberg, considéré comme le premier lanceur d'alerte de l'histoire, a affirmé que WikiLeaks avait agi dans l'intérêt public et prévenu la juge britannique Vanessa Baraitser qu'Assange ne pourrait pas bénéficier d'un procès équitable s'il est extradé aux Etats Unis.

Les Etats-Unis veulent en effet juger Julian Assange, citoyen australien, pour avoir violé une loi étatsunienne sur l'espionnage (Espionage act, 1917) après la divulgation de câbles confidentiels par WikiLeaks en 2010-2011, obtenus par le truchement de lanceurs d'alertes dont Chelsea Manning. Daniel Ellsberg a déclaré à cet égard au tribunal que les révélations de WikiLeaks avaient montré aux Américains comment ils avaient été induits en erreur sur l'action américaine en Irak et en Afghanistan, tout comme l'avaient fait ses fuites sur la guerre du Vietnam.

Citant la vidéo militaire américaine Collateral Murder, publiée par WikiLeaks en 2010, montrant une attaque en 2007 depuis un hélicoptère Apache à Bagdad qui a tué une douzaine de civils, dont deux journalistes de Reuters, Daniel Ellsberg a déclaré : «J'étais parfaitement conscient que ce qu'on pouvait voir dans cette vidéo méritait le terme de meurtre, un crime de guerre [...] J'étais très heureux que le public américain soit confronté à cette réalité de notre guerre.»

En attente de preuves de l'implication de WikiLeaks dans la mise en danger d'informateurs

James Lewis, l'avocat représentant les autorités américaines, a assuré qu'Assange n'était pas poursuivi pour cette vidéo mais pour avoir divulgué un petit nombre de documents avec les noms non expurgés de sources ou d'informateurs de Washington. Le procureur étatsunien assure que des personnes ont subi des préjudices ou des menaces parce qu'elles avaient été nommées et que certaines avaient disparu tout en admettant n'avoir aucune preuve d'un lien direct entre ces supposées disparitions et les publications de WikiLeaks, rapporte Reuters. James Lewis n'en a pas moins attaqué Daniel Ellsberg en ces termes : «Comment pouvez-vous dire [...] qu'il n'y a aucune preuve que la publication de WikiLeaks par Julian Assange ait mis qui que ce soit en danger ? C'est tout simplement un non-sens.»

Le mépris pour les Moyen-Orientaux a été démontré au cours des 19 dernières années

Daniel Ellsberg, qui était lui-même accusé à son époque d'avoir enfreint la loi sur l'espionnage dans son affaire, a répondu qu'il n'y avait aucune preuve de préjudice physique ou de décès à cause des fuites de WikiLeaks. Par ailleurs, quand dans la matinée, John Goetz avait demandé à James Lewis s'il avait un exemple spécifique d'une personne rendue vulnérable par les publications de WikiLeaks, le procureur américain aurait répondu qu'il le fournirait «plus tard», selon un journaliste rendant compte de l'audience. Cité par le journaliste américain Kevin Gosztola, Daniel Ellsberg a également estimé que le gouvernement étatsunien était «extrêmement cynique en prétendant qu'il se souci[ait] de ces personnes». «Le mépris pour les Moyen-Orientaux a été démontré au cours des 19 dernières années», a-t-il ajouté.

Cette deuxième semaine de procès en extradition de Julian Assange a été fortement marquée par ces deux témoignages de John Goetz et de Daniel Ellsberg. Ce 17 septembre au matin, c'était au tour de John Sloboda, un des cofondateurs du projet Iraq Body Count qui décomptait le nombre réel de victimes durant la guerre américaine en Irak, de témoigner en faveur du journaliste. Il a affirmé devant la cour britannique que les Iraq War Logs fournis par Chelsea Manning à WikiLeaks ont permis de dévoiler 15 000 victimes civiles encore non comptabilisées dans la guerre étatsunienne contre l'Irak.

Meriem Laribi

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