Présidentielle américaine : Joe Biden peut-il battre Donald Trump ?
Confronté aux profondes divisions de son parti, à un passif peu flatteur, et alors que les questions sur sa santé se multiplient, la capacité de Joe Biden à battre Donald Trump interroge. Mais son salut pourrait venir de la crise du coronavirus.
Avec le retrait du sénateur du Vermont Bernie Sanders à l'investiture démocrate, les dés sont désormais jetés : Joe Biden, l'ancien vice-président de Barack Obama, affrontera en novembre prochain Donald Trump pour prendre en main la destinée des Etats-Unis. Et, à en croire les sondages, les portes de la Maison Blanche lui seraient d'ores-et-déjà grandes ouvertes.
Pourtant, il serait bien imprudent de considérer que les jeux sont faits. D'une part, parce que la fiabilité de ces données est loin d'être garantie, comme peut en témoigner la candidate malheureuse de 2016 Hillary Clinton, dont la victoire relevait de la certitude selon les enquêtes d'opinions. D'autre part, parce qu'à sept mois du scrutin – une éternité en termes de temps politique – la candidature de Joe Biden n'apparaît pas sans failles, loin s'en faut.
Un parti divisé
Si, après un départ timide lors des primaires dans l'Iowa et le Nevada, Joe Biden a fini par s'imposer comme le candidat incontournable du Parti démocrate, il lui faut désormais s'atteler à la délicate tâche de rassembler un camp miné par de profondes divisions. Bien qu'assez largement défait, Bernie Sanders et ses soutiens représentent en effet aujourd'hui une composante non négligeable du Parti démocrate. Or les positions très à gauche défendues par le sénateur de Vermont semblent pour le moins incompatibles avec celles du centriste Joe Biden.
A titre d'exemple, celui-ci s'est toujours opposé à l'une des propositions phare de Bernie Sanders, la réforme du système de santé américain, pour aller vers un modèle universel (Medicare for all). Difficile dès lors d'imaginer les électeurs de Bernie Sanders voter sans sourciller selon des lignes partisanes, pour un candidat dont l'idéologie n'a qu'un lointain rapport avec celle à laquelle ils souscrivent.
D'autant que pour nombre d'entre eux, la victoire d'un cacique du parti ne serait pas le résultat d'un duel mené dans les règles de l'art. Des atermoiements dans le comptage des votes dans l'Iowa aux ralliements des autres candidats à Joe Biden à des moments particulièrement opportuns, ou encore au retrait tardif d'Elizabeth Warren, tout aurait été fait selon eux pour mettre des bâtons dans les roues à leur champion, qui représente à leur yeux une menace à l'establishment démocrate. Ces événements ont rouvert la plaie mal cicatrisée de 2016, lorsqu'Hillary Clinton s'était imposée de façon pour le moins controversée contre leur candidat. S'estimant de nouveau floués par un parti qu'ils abhorrent de plus en plus ouvertement, certains jugent qu'une claque électorale – et quatre ans de présidence de Donald Trump supplémentaire – est désormais l'unique solution pour le réformer.
Un état de santé qui pose question
A cela s'ajoute la difficulté pour Joe Biden de rallier à sa cause les indépendants, faiseurs de rois des élections générales. Dans cette optique, le choix de présenter un candidat de consensus – dont il est difficile de discerner les lignes directrices – peut faire sens. Mais pour convaincre les indécis que le Parti démocrate propose autre chose qu'une simple opposition frontale à l'actuel locataire de la Maison Blanche, Joe Biden devrait faire preuve d'indéniables qualités d'éloquence.
Or les récentes sorties médiatiques de l'ancien vice-président laissent perplexe. A plusieurs reprises ces dernières semaines, Joe Biden à eu toutes les peines du monde à exposer ses idées de façon claire, voire simplement cohérente. Un exemple parmi d'autres, que l'équipe de campagne de Donald Trump ne manque pas de relayer, concerne ses propositions sur la façon de gérer la crise du coronavirus : «Nous ne pouvons pas laisser cela, nous n'avons jamais permis à une crise – de la guerre civile à la pandémie de 17, tout autour, 16 – nous n'avons jamais, jamais laissé notre démocratie être trafiquée, comme eux. Nous pouvons tous les deux avoir une démocratie et ... corriger la santé publique.»
Joe Biden: “We cannot let this, we’ve never allowed any crisis from the Civil War straight through to the pandemic of 17, all the way around, 16, we have never, never let our democracy sakes second fiddle, way they, we can both have a democracy and ... correct the public health.” pic.twitter.com/Ymz8JtQvjH
— Trump War Room - Text TRUMP to 88022 (@TrumpWarRoom) April 6, 2020
Outre ses propos confus dans de multiples interview, Joe Biden accumule les oublis et autres erreurs grossières en tout genre, affirmant par exemple qu'il se présentait au Sénat, ou encore confondant le coronavirus avec le H1N1. A tel point que sa santé mentale s'est imposée comme un sujet de discussion national.
Joe Rogan, qui présente depuis des années un des podcast les plus populaires aux Etats-Unis (et avait apporté son soutien à Bernie Sanders avant que celui-ci ne se retire), a résumé ainsi le problème dans une de ses émissions : «Vous devez être capable de dire ce qui ne va pas dans votre camp. C'est un des problème qu'à le Parti démocrate en ce moment avec Joe Biden. Vous ne pouvez pas l'ignorer, parce que tout le monde le voit. Et [Donald] Trump va le manger tout cru. [Joe Biden] parvient à peine à se souvenir de ce dont il parle pendant qu'il parle.»
Le fantôme de l'Ukraine
Le président américain a d'ailleurs déjà ouvert les hostilités sur le sujet. En réponse à un tweet du candidat démocrate, qui critiquait sa gestion de la crise du coronavirus, Donald Trump a immédiatement contre-attaqué : «Il n'écrit pas [ses tweets]. Il ne regarde probablement même pas [le briefing sur la crise] en ce moment. Et s'il regarde, il ne comprend pas ce qu'il regarde.»
Face au redoutable débatteur qu'est Donald Trump, Joe Biden aura pourtant besoin de toutes ses capacités cognitives pour pouvoir lui rendre la pareille. Il y a en effet fort à parier que le locataire de la Maison Blanche ne se privera pas de l'interroger, par exemple, sur les relations troubles entre la précédente administration, dont il faisait partie, et l'ancien président ukrainien Petro Porochenko. Rappelons à ce titre que de son propre aveu, Joe Biden a menacé Petro Porochenko, en mars 2016, de retirer un prêt d'un milliard de dollars à Kiev s'il ne licenciait pas immédiatement le procureur général Viktor Chokine. Celui-ci supervisait une vaste enquête de corruption sur la société de gaz naturel Burisma Holdings, qui employait le fils cadet de Joe Biden en tant que membre du conseil d'administration.
Donald Trump pourrait encore rebondir sur les récentes accusations de viol dont fait l'objet l'ancien vice-président. Si celles-ci ne sont étayées d'aucune preuve, elles renvoient les démocrates aux règles qu'ils ont eux-même édicté lors de la nomination à la cour Suprême du juge Brett Kavanaugh, à savoir qu'il revient à l'accusé de prouver son innocence...
Coronavirus, le salut de Joe Biden ?
En l'état toutefois, la crise du coronavirus vient rebattre les cartes. Le Parti démocrate ne jugeant pas opportun de véritablement s'attaquer aux actions contestables de Donald Trump à l'international, telle que l'exécution du général iranien Qassem Soleimani, le salut de Joe Biden pourrait en effet venir de l'actualité.
Et pour cause : la crise sanitaire fait exploser les chiffres du chômage et de la pauvreté aux Etats-Unis, menaçant un des piliers de la présidence de Donald Trump, qui est d'avoir redressé l'économie. Un angle d'attaque tombé du ciel pour le candidat démocrate, qui pourrait, qui plus est, profiter d'une éventuelle annulation des débats desquels il a peu de chance de sortir vainqueur, si la crise se poursuit. Enfin, cette crise dont les Etats-Unis sont en passe de devenir les premières victimes lui offre l'opportunité de critiquer la gestion qu'en fait Donald Trump, ce que lui et son parti commencent déjà à faire.
Reste encore à viser juste : dans un tweet très partagé, la député démocrate Tavia Galonski a annoncé vouloir poursuivre Donald Trump devant le tribunal de La Haye pour «crimes contre l'humanité». La raison ? L'insistance du président américain à vouloir permettre l'utilisation de l'hydroxychloroquine pour traiter les patients atteints de coronavirus.
Frédéric Aigouy