Europe de la défense : vers un futur avion de combat franco-allemand
Les députés allemands ont voté le décollage du futur avion de combat européen et donnent ainsi un nouvel élan à l'Europe de la défense. Mais pour l'ancien colonel de l'Armée de l'air Régis Chamagne, ce projet menace la souveraineté de la France.
Au terme de plusieurs mois de rivalités politico-industrielles entre l'Allemagne et la France, les membres de la commission du Budget du Bundestag se sont prononcés dans l'après-midi du 12 février en faveur du déblocage de 77 millions d'euros de crédits pour lancer la première grande étape du projet d'un avion de combat franco-allemand, auquel s'est joint l'Espagne. Les élus de la majorité – droite conservatrice et sociaux-démocrates – ont voté pour, de même que la droite radicale. Les écologistes et la gauche radicale ont pour leur part voté contre.
Il s'agit de financer des études en vue de la construction d'ici 2026 d'un démonstrateur de l'avion de combat européen de nouvelle génération (dit NGF pour New Generation Fighter), un avion «de cinquième ou sixième génération», selon l'ancien colonel de l'Armée de l'air Régis Chamagne, interrogé à ce sujet par RT France. Les montants en jeu sont certes limités par rapport à l'enveloppe globale du programme mais l'étape du 12 février était essentielle, un vote négatif aurait risqué de tout remettre en cause.
L'Allemagne va-t-elle piéger la France dans le domaine de la défense ?
Nombre d'élus allemands craignent depuis le début que les partenaires industriels français soient trop dominateurs dans le projet, et ont posé des conditions. Le vote positif ouvre en effet la voie à la notification des contrats aux industriels impliqués dans le projet, notamment Dassault, Thalès (deux entreprises françaises) ou encore Airbus (dont l'Etat français est l'un des principaux actionnaires).
Mais que l'inquiétude allemande n'est-elle pas qu'une posture ? C'est ce que pense l'ancien colonel Régis Chamagne. «C’est une façon de stimuler l’esprit cocardier de façon à nous dire que l’on a rien à craindre», affirme-t-il, interrogé par RT France. «Les Allemands ont exactement fait la même chose pour Airbus», ajoute l'ancien commandant en chef de la base de Mérignac : «L’Allemagne a fait la démonstration, en 20 ans, qu’elle avait pris le contrôle d’Airbus. Ils nous ont volé l’aérospatial en 20 ans. Ils ont notamment pris le contrôle de Defense and Space d’Airbus [spécialisé dans les appareils militaires et les satellites].»
Si on fait un projet franco-allemand, l’Allemagne va nous voler Dassault, comme elle nous a volé l’aérospatial, ou Matra
Régis Chamagne craint ainsi une nouvelle atteinte contre «la souveraineté de la France» : «Dassault c’est le dernier grand fleuron aéronautique et aérospatial de l’industrie française. Si on fait un projet franco-allemand, l’Allemagne va nous voler Dassault, comme elle nous a volé l’aérospatial, ou Matra [l'ancêtre d’EADS puis d’Airbus].»
Officiellement, les Allemands ont pour condition qu'un autre projet militaire franco-allemand d'envergure, le programme de char MGCS (Main Ground Combat System), dont ils seraient les chefs de file, progresse au même rythme que celui de l'avion du futur. Les deux projets doivent avancer «en parallèle», selon le projet de résolution obtenu par l'AFP. «Le programme de l'avion de chasse, piloté par les Français, progresse vite, alors que celui du char est à la traîne», décrypte auprès de l'AFP un parlementaire allemand sous couvert de l'anonymat. En cause notamment : les difficultés des industriels allemands du secteur de l'armement à se mettre d'accord entre eux sur la répartition du «gâteau».
Les députés allemands demandent aussi des garanties pour que les intérêts des entreprises allemandes du secteur technologies soient mieux pris en compte dans le développement du projet.
La France est dans un état de soumission à l’égard de l’Allemagne
Sauf que le projet d'avion franco-allemand désormais validé, Régis Chamagne craint que l'Allemagne puisse contrôler sur le long-terme la défense française : «La France est aujourd’hui dans un état de dominé, par l’euro, qui est en fait le mark CFA… La politique monétaire de la France est décidée par l’Allemagne à Francfort ; la politique générale de la France est décidée par Bruxelles, par la Commission européenne et donc par l’Allemagne qui est, aujourd’hui de fait, le pays dominant en Europe. La France est dans un état de soumission à l’égard de l’Allemagne.» «Faire une collaboration franco-allemande pour un futur avion de chasse c’est de fait donner son savoir-faire à l’Allemagne», appuie-t-il.
L'étape suivante de l'Europe de la défense : le partage de la dissuasion nucléaire ?
L'avion, qui doit entrer en action vers 2040, est la pièce maîtresse du programme SCAF (Système de Combat Aérien du Futur) associant en outre des drones et des missiles de croisière à venir.
Le projet avait déjà franchi une étape importante en décembre. Un accord avait en effet été trouvé entre les motoristes français Safran et allemand MTU sur la répartition industrielle des travaux de développement du moteur du futur avion. Les deux sociétés avaient notamment convenu de la création d'une société commune 50/50. Depuis la répartition des tâches entre Safran et MTU, plusieurs acteurs côté allemand, dont des membres du Bundestag, ont cherché à revenir en leur faveur sur cet accord.
Le sujet devrait être abordé le 14 février à Munich par Emmanuel Macron qui vient de proposer que les pays Européens, l'Allemagne notamment, soient associés à la force de dissuasion nucléaire française, en participant par exemple à des exercices. Régis Chamagne trouve cette proposition «idiote». «Quand on voit que Macron s’apprête à partager notre dissuasion nucléaire avec d’autres pays, cela n’a pas de sens», se scandalise-t-il, en martelant que depuis 1994, la dissuasion n'existe plus : «La dissuasion nucléaire repose sur le concept de "sanctuaire". La dissuasion n’existe plus en France parce qu’on a abandonné ce concept au profit des intérêts stratégiques de l’Etat. Ce qui ne veut rien dire. Une dissuasion ne peut fonctionner que si à un moment donné on peut dire stop et que la ligne jaune ne soit pas franchie. De plus, si on partage la dissuasion nucléaire… qui appuie sur le bouton ?»
La question sera peut-être débattue les 14 et 15 février entre Emmanuel Macron et des responsables allemands à Munich.
Propos recueillis par Bastien Gouly