Le choix d'Emmanuel Macron sur l’élargissement de l'UE fait grincer des dents en Europe
Défavorable à l'entrée de la Macédoine du Nord et de l’Albanie dans l'Union européenne, Emmanuel Macron s'est attiré les foudres de ses partenaires européens. Néanmoins, le sujet de l'élargissement devrait rapidement être mis de nouveau sur la table.
L’Union européenne, ou quand un clou chasse l’autre. A peine débarrassés, pour le moment, de la problématique du Brexit, après l’accord annoncé par le Premier ministre britannique et le président de la Commission européenne, les dirigeants européens font face à un nouveau casse-tête : l’élargissement de l’Union européenne (UE).
Les discussions se sont poursuivies tard dans la nuit du 17 au 18 octobre entre les dirigeants des 27 pays membres au sujet d’une possible adhésion de l’Albanie et de la Macédoine du Nord à l'UE. «Les débats ont été longs et difficiles», souligne une source diplomatique française auprès de l’AFP.
Sur ce dossier, Emmanuel Macron s’est attiré les foudres de certains de ses partenaires en bloquant, lors d’une réunion des ministres des Affaires européennes le 15 octobre à Luxembourg, l’ouverture des négociations d’adhésion avec les deux Etats. «C'est une lourde erreur historique», a regretté Jean-Claude Juncker, lors de la conférence de presse tenue lors du sommet européen le 18 octobre à Bruxelles.
Donald Tusk, président du Conseil européen, a jugé à l’issue des débats qu’il s’agissait d’une «erreur» de la part de la France que de s’opposer à ces pourparlers sur l’élargissement de l’UE car «une écrasante majorité des Etats membres soutient l’ouverture de ces négociations». Outre la France, le Danemark, l’Espagne et les Pays-Bas ont eu aussi refusé l’ouverture de discussions sur une possible adhésion de l’Albanie à l’UE. La France a en revanche été la seule à s’opposer à l’ouverture de négociations avec la Macédoine du Nord.
«Si l'UE veut être respectée, elle doit respecter ses engagements»
Il y avait pourtant une volonté forte de la part des institutions européenne d’entamer le processus d’élargissement. La future présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, avait salué avant le sommet «l’extraordinaire performance» réalisée par les deux pays ces dernières années, insistant sur la nécessité de «leur envoyer un signal fort».
Faute de signal positif, plusieurs dirigeants européens ont fait part, le 18 octobre au matin, de leur déception à l’égard du choix français. «Ne pas ouvrir les portes de l’UE serait une erreur étant donné que la Macédoine du Nord et l’Albanie ont fait ce que l’on attendait d’eux et c’est maintenant à l’UE de tenir parole. Beaucoup de choses sont dites à propos des valeurs européennes et il est donc important pour l’Europe de garder sa crédibilité dans cette affaire», a fait savoir la représentation polonaise au sein de l’UE sur Twitter.
Not opening the door to the #EU would be a mistake as both #NorthMacedonia & #Albania have done what was expected of them at this stage & it is now up to #EUCO to keep its word.
— Poland in the EU (@PLPermRepEU) October 18, 2019
Much is said about the European values and thus it is important for 🇪🇺 to keep its credibility here. pic.twitter.com/DfNvAxwzFt
Les partisans d’un élargissement de l’UE soutiennent que refuser l’adhésion de ces pays pourraient les pousser à se rapprocher de la Turquie, de la Chine et de la Russie, tous trois déjà très présents dans les Balkans. Zoran Zaev, le Premier ministre nord-macédonien avait argué que ses citoyens n’accepteraient pas toujours d’être éconduits, alors que le pays avait répondu aux exigences bruxelloises, notamment en changeant de nom afin de mettre un terme à la querelle avec son voisin grec.
«Tout le monde admet que la Macédoine du Nord a fait beaucoup : elle a changé le nom du pays, elle a changé sa constitution et a tout fait pour être invitée», a réagi le président lituanien Gitanas Nauseda. «Si l’UE veut être respectée, elle doit respecter ses engagements», a renchéri Jean-Claude Juncker.
L’Albanie : (vice) championne de l’asile en France
S’exprimant devant la presse lors du conseil des ministres franco-allemand, le 16 octobre, à Toulouse, Emmanuel Macron avait rappelé que la «région des Balkans occidentaux est totalement stratégique pour l'Europe» et qu’il fallait donc «l’arrimer» au Vieux Continent. Néanmoins, le président français avait précisé qu’il restait «des choses à faire avant d’ouvrir les négociations». Il a confirmé son propos ce 18 octobre lors d'une conférence de presse à la sortie du sommet européen : «Avant tout élargissement, sachons nous réformer.»
Car si Paris ne s’oppose pas sur le principe à un élargissement de l’UE, la secrétaire d’Etat chargée des Affaires européennes, Amélie de Montchalin, avait-elle appelé, dès sa sortie de la réunion des ministres des Affaires européennes, à «réformer» la procédure d’adhésion considérée comme «inefficace» et «frustrante». «Malheureusement, peu osent le dire publiquement», regrette une source diplomatique reprise par l’AFP.
Certains diplomates européens accusent le président français d’adopter ce positionnement pour des raisons de politique interne. En effet, la crainte d’un afflux d’immigrés en cas d’une plus grande ouverture des frontières n’est guère une perspective réjouissante pour les Français. Une réalité soulevée à demi-mots par le président de la République. «Comment voulez-vous que j’explique à mes concitoyens que le deuxième pays qui demande le plus l’asile [politique] en France, ce sont des gens qui viennent de l’Albanie», s’était-il demandé le 16 octobre. Selon les chiffre de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), 7 173 demandes d’asile en provenance d’Albanie ont été enregistrées en France 2018, plaçant ce pays au deuxième rang en la matière, derrière l’Afghanistan (9 577 demandes).
En Albanie également, le journal Tema a reproché, le 18 octobre, à Emmanuel Macron de vouloir «gagner en popularité en étant le président qui n’a pas permis l’élargissement et a fait des Albanais le symbole des migrants face aux xénophobes de Marine Le Pen».
Toujours est-il que le débat est loin d’être clos comme l’a confirmé le président du Conseil européen : «Nous reviendrons sur la question avant le sommet pour les Balkans occidentaux à Zagreb en mai 2020.» Le dossier devrait à nouveau être mis sur la table lors du prochain sommet UE-Balkans à Zagreb en Croatie prévu pour le printemps. L’ancienne république yougoslave, qui prendra la présidence de l’UE début 2020 pour six mois, a déjà annoncé vouloir faire de l’élargissement une de ses priorités.