Au Yémen, l'alliance stratégique entre Saoudiens et Emiratis montre ses failles
Les combats qui ont accompagné la prise d'Aden, dans le sud du Yémen, révèlent des dissonances entres alliés saoudiens et émiratis. Ils semblent vouloir se retirer mais les pions qu'ils ont placés risquent de complexifier encore la crise yéménite.
La prise de la ville yéménite d'Aden par des séparatistes soutenus par les Emirats arabes unis au détriment du gouvernement appuyé par Riyad (et dont le président, Abdrabbo Mansour Hadi, vit en exil en Arabie saoudite), témoigne des failles dans la relation entre alliés saoudiens et émiratis.
Riyad et Abou Dhabi ont cherché à faire preuve d'unité face à la crise, mais les combats meurtriers de la semaine dernière entre leurs protégés à Aden, minent le front commun dans la guerre contre les rebelles chiites Houthis, accusés par Washington d'être appuyés par l'Iran. Selon les observateurs, les Emirats arabes unis (EAU) s'intéresseraient principalement au sud du Yémen qu'ils souhaiteraient contrôler tandis que l'Arabie saoudite voudrait maintenir son contrôle sur le nord du pays, à sa frontière.
La prise le 10 août par des séparatistes du palais présidentiel à Aden porte en particulier un nouveau coup à l'Arabie saoudite, qui mène depuis 2015 une intervention armée au Yémen, sans réussir à défaire les Houthis.
Cette bataille d'Aden a opposé des unités loyales au président Abd Rabbo Mansour Hadi, soutenu à bout de bras par Riyad, à la force appelée «Cordon de sécurité», formée par Abou Dhabi. Tous sont pourtant théoriquement alliés contre les rebelles Houthis, qui contrôlent la capitale Sanaa, au nord.
Objectifs divergents
Les divisions dans le sud du Yémen résultent en partie d'objectifs stratégiques divergents entre Saoudiens et Emiratis. Les Emirats considèrent depuis longtemps le sud comme une base vitale pour étendre leur influence en mer Rouge et dans la Corne de l'Afrique. Ils ont financé et formé divers groupes qui leur sont aujourd'hui favorables. «Ce qu'on voit aujourd'hui, c'est un changement de la politique émiratie», a estimé sur le plateau de RT France Imad Hamrouni, géopolitologue, le 12 août. Selon lui, les Emirats arabes unis «essayent de se retirer de ce conflit». Pour lui, ils veulent contrôler Aden, notamment par crainte des Frères musulmans qui opèrent un rapprochement avec les loyalistes du président Hadi. L'analyste ne pense néanmoins pas que cela signe la fin de la coalition entre l'Arabie saoudite et les EAU. «C'est un changement de plan de guerre [...] un plan B» qui consiste à se désengager du conflit mais en le laissant sur transformer «en guerre civile», selon Imad Hamrouni.
Leur grand voisin saoudien, monarchie sunnite wahhabite, considère de son côté les Houthis comme une menace existentielle à sa frontière sud, comparant ces rebelles yéménites au Hezbollah libanais, tous deux d'idéologie chiite.
Mohammed ben Zayed, l'homme fort d'Abou Dhabi, dont le pays est un membre important de la coalition intervenant au Yémen dominée par Riyad, s'est rendu le 12 août en Arabie saoudite, près de La Mecque, pour s'entretenir avec les dirigeants saoudiens. Les deux pays ont appelé les parties en conflit à Aden au «dialogue» et à «la raison», selon un communiqué émirati. Ce texte affirme en outre que l'Arabie saoudite est «un pilier essentiel à la sécurité et à la stabilité régionales».
Le Yémen est devenu, au fil des ans, un champ de bataille par procuration entre les puissances régionales. Tandis que la coalition menée par l'Arabie saoudite est régulièrement pointée du doigt par les organisations internationales pour le grand nombre de morts civiles et les violations des droits de l'homme qu'elle occasionne, les Houthis ont récemment intensifié leurs attaques de drones et de missiles sur des villes saoudiennes. Dans ce contexte, l'annonce en juillet par les Emirats d'une réduction de leurs troupes au Yémen a constitué un premier revers pour Riyad, malgré les assurances d'Abou Dhabi qu'il ne s'agissait pas d'un retrait complet.