Comme en 2014, le Rassemblement national (RN) est arrivé en tête du scrutin européen le 26 mai, avec 23,31% des voix selon les dernières estimations. Si le nombre de députés (24 pour la législature 2014-2019) dans l'hémicycle européen du parti présidé par Marine Le Pen ne devrait pas beaucoup évoluer, cette victoire s'inscrit dans la vague nationaliste qui bouleverse la donne politique depuis des mois dans les démocraties occidentales.
Marginal il y a encore quelques années sur le Vieux Continent, l'euroscepticisme s'est depuis fait une place de choix au Parlement européen, une évolution que ce scrutin confirme. En position de force en France, les eurosceptiques ont également écrasé les débats en Italie. Sous la houlette de Matteo Salvini, la Ligue a fait une percée historique dans le pays, confirmant le succès des élections législatives de mars 2018.
Avec 32,42 % des voix en Italie selon les dernières estimations, le parti du ministre de l'Intérieur italien va devenir l'un des plus puissants de l'hémicycle, et être, en terme de députés, le principal opposant à la CDU allemande sur la scène européenne. En nouant une alliance avec la Ligue et dix autres partis, dont l'AfD allemande (10,8%) et le FPO autrichien, le RN a posé des bases solides à «l'alternance» à l'Union européenne qu'il souhaite mettre en place, pour pousser le bloc vers les positions souverainistes et identitaires qu'il défend.
Les eurosceptiques en ordre dispersé
Si le message envoyé à Bruxelles par les électeurs italiens et français – exprimant la voix de deux des membres fondateurs et deux des principales économies de l'UE – est sans équivoque, le rapport de force ne s'en trouve pour autant pas encore renversé.
Certes, pour la première fois depuis 20 ans, les deux principaux groupes, à savoir le Parti populaire européen (PPE) et l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D) ne disposeront pas de la majorité à eux deux. Mais le grand gagnant de cet état de fait serait, selon toute vraisemblance, l’Alliance des libéraux et démocrates (ALDE), le groupe politique européen que LREM rejoindrait. Et sur lequel le PPE et le S&D devront s'appuyer dans la constitution de leurs propositions législatives.
Je n’ai rien à voir avec Marine Le Pen
Surtout, les eurosceptiques restent à l'heure actuelle en ordre dispersé sur le Vieux Continent. L'écrasante victoire du parti de Viktor Orbán en Hongrie, le Fidesz (52%), et les très bons résultats du parti conservateur et eurosceptique polonais Droit et justice (PiS), arrivé en tête avec 42%, ne devraient ainsi pas profiter à l'alliance RN-Ligue. «Je n’ai rien à voir avec Marine Le Pen», avait rappelé le Premier ministre hongrois avant les élections, déclinant également l'invitation de Matteo Salvini au grand raout des eurosceptiques à Milan, mi-mai. Le dirigeant hongrois ne souhaite pas rompre avec les conservateurs du PPE, malgré la suspension du Fidesz. Quant aux Polonais du PiS, ils préfèrent poursuivre leur route dans un groupe concurrent au sein du Parlement, les Conservateurs et réformistes européens (CRE).
Autre écueil, Marine Le Pen et Matteo Salvini ne profiteront pas non plus du probable succès du Brexit Party au Royaume-Uni (31,6% selon les premières estimations publiées par la BBC). Les nombreux élus portés au Parlement par la formation dirigée par Nigel Farage ne devraient y rester que quelques semaines. Le temps de mener le Royaume-Uni hors de l'Union européenne.
Comment peser sur les décisions de l'UE ?
Dès lors, l'enjeu pour la présidente du RN et le dirigeant de la Ligue va être de créer les conditions d’une coopération entre eurosceptiques de tous bords pour disposer d'une réelle influence sur les législations du Parlement. Pour y parvenir, Matteo Salvini pourra s'inspirer de la coalition qu'il a réussi à mettre en place en Italie avec le Mouvement 5 étoiles (M5S), dont les élus européens siégeaient jusqu'à présent au sein d'un groupe concurrent, Europe de la liberté et de la démocratie directe (ELDD). D'autant que le M5S a également réalisé une performance notable ce 26 mai, avec entre 16,94 %, toujours selon des estimations de l'agence Reuters ce 26 mai.
Il n'est en outre pas impossible d'imaginer que l'alliance RN-Ligue n'exclue pas de se rapprocher des conservateurs du PPE, au cas par cas, lors des négociations sur certaines propositions législatives. Le changement de position drastique du RN sur des dossiers clés tels que la sortie de l'UE et l'abandon de l'euro – qui ne sont plus à son programme – et son recentrage à droite sur la scène nationale, laissent entrevoir la possibilité d'un rapprochement entre conservateurs et nationalistes sur certaines questions, sur le modèle de ce qu'a réussi l'Autriche depuis le début des années 2000. La voie à suivre pour avoir du poids dans les décisions de l'Union européenne ?
Lire aussi : Parlement européen : pour faire face aux «extrêmes», Macron veut une large coalition