Episode de choléra en Algérie : «Notre système de santé est sérieusement malade» (ENTRETIEN)
Pour Lakhdar Amokrane, médecin à l’établissement public de santé de proximité de Bab el Oued (Alger), la pollution de l'environnement et le manque de moyens des structures de santé sont à l’origine de la réapparition du choléra en Algérie.
RT France : La dernière apparition du choléra en Algérie remonte à 1996. Comment expliquez-vous sa récente résurgence ?
Lakhdar Amokrane : Même si c’était inattendu, à partir du moment où il y a une absence de mesures d’hygiène dans un milieu donné, cela expose un pays comme le nôtre à un haut risque de propagation de ce type de maladies, notamment celles à transmission hydrique comme la dysenterie, la typhoïde ou encore le choléra. D'autant plus que la période estivale est propice à la prolifération de ces maladies infectieuses.
RT France : Les autorités sanitaires ont été critiquées pour leur manque de réactivité. Le ministère algérien de la Santé a-t-il, selon vous, été défaillant dans la gestion du phénomène ?
Lakhdar Amokrane : Les autorités sanitaires sont chargées de rappeler, à chaque fois qu’un cas suspect se présente, les principales mesures à mettre en place pour circonscrire rapidement le foyer de contamination.
Leur rôle est en outre d’apporter toutes les informations utiles pour déterminer la source de la contamination. A ce niveau, je pense qu’une faille a été constatée au regard de la lenteur de la réaction du ministère de la Santé par rapport à la propagation de l’épidémie. En parallèle, il y a eu un manque de communication qui a permis aux rumeurs de se substituer aux informations officielles.
RT France : Qui porte la responsabilité première de cette défaillance ?
Lakhdar Amokrane : Dans le cadre du programme de lutte contre les maladies diarrhéique, les autorités sanitaires sont chargées de surveiller par exemple tous les cas de diarrhées – l'un des symptômes que présente un patient contaminé par le choléra – et de prendre les mesures adéquates pour ne pas se retrouver en déphasage avec la conduite à tenir face à de tels épisodes.
Est-ce qu’il y a une défaillance locale ? Je pense que les bureaux communaux hospitaliers (centres de santé locaux) sont oubliés par les pouvoirs publics et ne disposent pas des moyens adéquats pour faire leur travail de manière efficiente.
Par ailleurs, il faut savoir qu’il y a de nombreuses communes où le traitement des eaux usées n’est pas assuré correctement.
La banalisation de la situation par les autorités et les médias publics entretient la rumeur et la peur
Le problème qui s’est posé dans la wilaya (département) de Bouira, foyer initial de la contamination, c'est la durée trop longue du diagnostic. Les prélèvements des selles des malades hospitalisés ont été transférés à l’institut Pasteur à Alger – situé à une centaine de kilomètres du foyer de contamination – alors qu’il y a urgence pour trouver la source du problème. Il y a donc un manque de moyens.
Je ne vois pas pourquoi, il n’y aurait pas demain un laboratoire dans chaque wilaya pour prévenir ce type de maladie, d’autant plus que l’Algérie est un pays à risque.
RT France : Le nombre de personnes contaminées a sensiblement augmenté depuis la détection des premiers cas suspects le 7 août dernier. Peut-on s’attendre à une propagation de la maladie dans le pays ?
Lakhdar Amokrane : Je préfère rester optimiste mais tant qu’on n'a pas de certitudes sur la source initiale de la contamination, il faut rester prudent. Ce qui est dommageable, c'est que la banalisation de la situation par les autorités et les médias publics entretient la rumeur et la peur.
C’est le rôle des autorités sanitaires de reprendre la situation en main
Il y a eu un manque de confiance de la population envers les autorités. C’est le rôle des autorités sanitaires de reprendre la situation en main. Bien que le ministre de la Santé, Mokhtar Hasbellaoui, ait affirmé que dans trois ou quatre jours on en parlerait plus, face à la réalité et en l’absence de données officielles, la situation reste inquiétante.
RT France : Le secteur de la santé en Algérie est considéré par une large partie de la population et la presse comme le parent pauvre des politiques publiques. Qu'en pensez-vous ?
Lakhdar Amokrane : C’est un véritable problème de fond. Il faudrait concevoir un système de santé humain en mesure de prendre en charge correctement les citoyens algériens. La nouvelle loi sanitaire adoptée par le Parlement il y a quelques mois n’a pas été largement débattue avec les acteurs de la santé. Elle ne répond pas à toutes les questions des professionnels du secteur, en témoigne la récente grève des médecins résidents.
Les défaillances observées dans le système de santé algérien sont liées à une mauvaise gestion et à l’absence d’une mise à niveau des moyens technologiques des structures de santé. Il n’est pas normal qu’il n’y ait aujourd'hui en Algérie que 13 centres hospitalo-universitaire (CHU). Notre système de santé est sérieusement malade.
Personnellement, je souhaiterais la tenue d’états généraux de la santé durant lesquels les autorités sanitaires, les professionnels de la santé, les syndicats et les associations de malades se réuniraient afin de concevoir un meilleur système permettant aux Algériens de se soigner dans les meilleures conditions possibles et en finir ainsi avec les transferts de malades à l’étranger.
Si nous arrivons à profiter pleinement des compétences scientifiques et médicales que nous avons ici et ailleurs, je pense que nous parviendrons à un meilleur système de santé pour un grand pays comme l’Algérie.
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