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Recueil de migrants en mer : la France peut-elle vraiment faire la leçon à l'Italie ?

Face au gouvernement italien qui a refusé d'accueillir un bateau de migrants, redirigé vers l'Espagne, Emmanuel Macron ne prend pas de pincettes. Pourtant, l'Italie estime ne pas avoir de leçon de morale à recevoir. En particulier de la France.

Ce n'est désormais plus un secret pour personne : Emmanuel Macron ne goûte guère le programme migratoire du gouvernement italien, peu en phase avec la position affichée par l'Union européenne et son système de quotas d'accueil. Et cela s'est particulièrement vu lors de la crise de l'Aquarius, du nom de ce bateau transportant plus de 600 migrants recueillis en mer par des ONG, que l'Italie a refusé d'accueillir le 10 juin.

Emmanuel Macron a alors dénoncé «la part de cynisme et d'irresponsabilité du gouvernement italien», une remarque qui a fortement déplu à Rome qui ne s'est pas privé de le faire savoir, allant jusqu'à réfléchir à l'annulation d'une rencontre entre le chef du gouvernement Giuseppe Conte et le président français.

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La France mal placée pour donner des leçons de morale ?

«L’Italie ne peut accepter de leçons hypocrites de pays qui ont toujours préféré détourner la tête lorsqu'il s’agit d’immigration», a lancé Giuseppe Conte le 12 juin à l'égard de Paris.

Et Luigi di Maio, dirigeant du M5S et l'un des deux vice-présidents du Conseil des ministres italiens, de rappeler à Paris quelques chiffres. «Le pays le plus en tort par rapport à nous, c'est la France, qui n'a pris jusqu'à présent que 640 migrants quand elle s'était engagée pour 9 610 personnes», a-t-il fait remarquer. L'autre vice-président, et ministre de l'intérieur, Matteo Salvini, a directement interpellé Emmanuel Macron. «Au président français je dis : "Emmanuel, si tu as le cœur aussi gros que tu le dis, demain nous te donnerons les 9 000 migrants que tu t'étais engagé à prendre."»

Et pourtant, ce n'est pas Paris, mais bien l'Espagne qui a finalement proposé de recueillir les 629 migrants secourus au large de la Libye. «En cas de détresse c'[est] la côte la plus proche qui assume la responsabilité de l'accueil», s'est justifié le porte-parole du gouvernement Benjamin Grievaux, évoquant le droit maritime. 

Avant l'affaire de l'Aquarius, en août 2017, l'Italie, alors gouvernée par le pro-Union européenne Matteo Renzi, avait fait saisir le bateau d'une ONG allemande d'aide aux réfugiés, accusée de favoriser l’immigration illégale. Elle ne s'était pourtant pas attirée de telles foudres de Paris, ni de Bruxelles. La France se montrait alors quelque peu plus policée et courtoise.

Indélicatesses

Mais depuis les législatives de 2018, l'exécutif français adopte ainsi un ton plus ferme, face à des dirigeants moins enclins à arrondir les angles, d'autant que la France a multiplié les indélicatesses à l'encontre de son voisin transalpin. Que ce soit sur des questions économiques, ou sur le plan diplomatique, en écartant l'Italie, ancienne puissance coloniale, de la résolution de la crise en Libye.

S'ajoutant à cela, la désinvolture française en matière de sécurité et d'immigration a également heurté les dirigeants italiens, tout comme l'opinion publique de ce pays. Le 29 mars dernier, des douaniers français effectuaient un contrôle dans un local mis à disposition d'une ONG d'aide aux migrants à Bardonecchia, en Italie, déclenchant l'ire de Rome. Considérant l'initiative comme un acte grave, le ministère italien des Affaires étrangères avait alors convoqué l'ambassadeur français. Une députée du parti Fratelli d'Italia, Augusta Montaruli, résumait ainsi son ressenti : «Nous ne sommes pas les toilettes de Macron [...] Il s'agit d'un manque de respect inouï envers l'Italie.»

L'Italie délaissée par Bruxelles ?

Si Rome peut sembler particulièrement à cran sur le sujet de la crise migratoire, c'est que, comme la Grèce et d'autre pays du sud, elle absorbe la plus grande partie du flux migratoire traversant la Méditerranée. Et que le pays se sent laissé pour compte par Bruxelles.

En 2016, le président italien Sergio Mattarella résumait ce sentiment, implorant l'Union européenne de ne pas laisser les Italiens seuls face à la crise migratoire. «L’Italie et l’Europe doivent la reconnaissance [aux habitants de Lampedusa pour] les vies sauvées, pour l’accueil offert à ceux qui fuient la faim et la guerre», avait-il plaidé. Les nouvelles autorités, qui estiment que l'Italie a pris sa part dans la crise migratoire, auraient peut-être ajouté la France à cette liste.

D'autant que la politique extérieure de Paris (entre autres pays) n'est pas étrangère à la situation migratoire au large des côtes italiennes. En 2011, l'intervention en Libye de plusieurs pays de l'OTAN, à la tête desquels la France, se soldait en effet par la chute, et la mort du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. Depuis lors, le pays a sombré dans le chaos, des cas d'esclavages de migrants y étant même enregistrés.

La guerre a contraint des centaines de milliers de Libyens à fuir leur pays en 2011. Et la vague migratoire s'est poursuivie dans les années suivantes, avec notamment pour point de chute l’île italienne de Lampedusa. Une situation qui alarmait en 2014... le ministre de la Défense français Jean-Yves Le Drian, qui s'inquiétait du risque que des combattants de Daesh se mêlent aux réfugiés pour rejoindre les côtes italiennes. 

Alexandre Keller

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