Les forces kurdes vont-elles rendre des milliers de djihadistes à l’Etat islamique ?
En Syrie, les forces kurdes détiennent des milliers de combattants islamistes. Un journaliste allemand qui a parlé à certains d'entre eux affirme que les milices, ne voulant plus assumer les frais de détention, s’apprêteraient à les rendre à Daesh.
Les milliers de djihadistes détenus au Kurdistan syrien (Rojava) vont-ils être rendus à l'Etat islamique ? C'est ce que suggère sur son compte Twitter le 5 juin le journaliste Björn Stritzel du quotidien allemand Bild qui a rencontré des combattants de Daesh originaires de son pays dans le Nord de la Syrie.
Les combattants kurdes du Rojava, les Unités de protection du peuple (YPG), ont capturé des milliers de djihadistes au cours de la guerre en Syrie et particulièrement lors des dernières offensives à Raqqa ou à Deir Ez-Zor en octobre et novembre 2017. Björn Stritzel a recueilli leurs confessions en l'absence de leurs gardiens ou de surveillance. Les témoignages de ces djihadistes d'origine allemande qui ne se connaissent pas concordent : ils craignaient d’être les «prochains à être reconduits» à l’Etat islamique qui contrôle encore certaines régions du pays, selon un tweet du journaliste.
3. German ISIS members in Northern Syria are afraid that they will be the next ones to be sent back. Unlike in those public interviews were armed guards control and listen to every word, I spoke with them in confidence without guards.
— Björn Stritzel (@bjoernstritzel) 5 juin 2018
Selon le journaliste, ils lui auraient soufflé que des djihadistes d’origine marocaine, russe, turque, tunisienne leur auraient été déjà rendus. Pour le moment, il ne s’agirait que de femmes de combattants et de leurs enfants, a précisé le quotidien allemand après la parution de l’enquête, mais au cœur des centres de détention kurde la rumeur d'échanges planerait.
Björn Stritzel a en outre communiqué un document des services de sécurité intérieure belges, le VSSE, qui abonderait dans son sens. Dans ce document envoyé à la police fédérale, au procureur fédéral, à la direction générale des affaires consulaires et avisé par le parquet fédéral le 25 avril, les services affirment que selon leur enquête sur place, des femmes et des enfants ont été transportés dans des zone contrôlées par Daesh. Ils redoutent qu'une douzaine de familles belges détenues dans les camps d'Al Roj et d'Al Hol subissent le même sort.
4. Even though their stories were consistent and the German ISIS members didn't know each other, I was skeptical when I heard their stories. However, after I got a document from Belgium intel agency VSSE which corroborates their reports, it seems that they told the truth. pic.twitter.com/CerqvjKX3A
— Björn Stritzel (@bjoernstritzel) 5 juin 2018
Par ailleurs, le journaliste dit avoir contacté le ministère des Affaires étrangères allemand qui a confirmé le renvoi de certains prisonniers djihadistes dans les territoires contrôlés par l'Etat islamique. RMC avait aussi dévoilé le 31 mai, après consultation d'un rapport émis par une organisation internationale, qu'une quinzaine de familles représentant près de 104 femmes et enfants russes, indonésiennes et marocaines avaient été remises à Daesh en échange de prisonniers kurdes.
Les djihadistes étrangers oubliés par leurs pays d'origine
Quelques mois après la fin des derniers combats pour débarrasser la Syrie du joug de l’Etat islamique, les puissances internationales ont renâclé pour rapatrier et juger sur leur sol leurs ressortissants mais ne semblent pas avoir dédommagé les Kurdes qui assurent leurs frais de détention. Seuls les Russes et les Indonésiens ont entrepris une démarche volontariste pour le retour de certains de leurs combattants. La plupart des pays d’origine des djihadistes n’étaient pas désireux de les juger sur leur sol et ne s’opposaient pas à ce qu’ils soient traduits devant la justice kurde syrienne qui pourtant n'est pas reconnue. Mais juger ces combattants-là n'est pas une priorité pour les Kurdes qui souhaitaient avant tout régler le sort de leurs propres ressortissants. En 2017, seuls 700 combattants ont été jugés, mais aucun étranger ne figurait parmi eux. Pire encore, les femmes de djihadistes ne peuvent pas y être jugées à cause d'un vide juridique. Actuellement, une centaine de djihadistes d'origine française seraient encore entre les mains des YPG, dont deux tiers de femmes.
Les djihadistes étrangers constituent aussi une épée de Damoclès susceptible de s’abattre au gré du rapport entre les Kurdes et l'Occident. Lors de l'offensive turque à Afrin, les puissances internationales qui soutenaient officiellement ou officieusement les Kurdes syriens durant les années de guerre en Syrie se sont détournées. L'accord passé entre la Turquie et les Etats-Unis à Minbej, ayant contraint les YPG à quitter la zone, confirme que les anciens soutiens n'entrent plus dans le jeu géostratégique au Rojava.
Quels bénéfices auraient donc aujourd'hui les Kurdes à continuer de payer la détention des djihadistes étrangers ? Comme l’a expliqué le 13 avril au micro d'Europe 1, Mizkeen Ahmad, une conseillère politique du Rojava : «L’Europe ne nous a pas aidés à Afrin, pourquoi on continuerait à s’occuper de vos prisonniers de Daesh ? On en a capturé des milliers et personne ne nous a soutenus. Dont acte.» «On peut libérer tous ces membres de Daesh. On va les relâcher hors de nos frontières… Dans quels pays ils iront, et où ils commettront une attaque ? Peu importe, il faut prendre cette décision», avait-elle menacé.
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