On pouvait s'attendre à une posture alliant ouverture «et en même temps» fermeté, comme à Versailles un an plus tôt. Mais il n'en fut rien. Si en mai 2017, juste après son élection, Emmanuel Macron avait prévenu qu'il aurait «un dialogue exigeant avec la Russie», un an plus tard, le ton a quelque peu changé.
A Saint-Pétersbourg, Emmanuel Macron a fait montre d'une rare énergie pour démontrer à son homologue Vladimir Poutine que la France – toujours associée dans sa bouche à l'Union européenne – était un «partenaire fiable» pour la Russie.
«La France et l'Union européenne y sont prêtes, elles ont cette volonté», a-t-il ainsi assuré ce 25 mai, prenant la parole en séance plénière de la 22e édition annuelle du Forum économique de Saint-Pétersbourg (SPIEF).
Une affirmation surprenante tant les désaccords entre les deux pays étaient nombreux jusque-là. Accusations graves d'ingérence russe supposée dans l'élection présidentielle française de 2017, divergences de vue sur le dossier syrien, sanctions économiques prises contre la Russie par l'Union européenne (dont la France) conformément à l'impulsion donnée par les Etats-Unis à partir de 2014, frappes occidentales et françaises en Syrie... Le président de la République avait fort à faire pour démontrer l'existence d'intérêts communs, dans un forum à vocation économique. Et il s'y est employé.
Je sais que vous appréciez les valeurs de la voie de la souplesse
S'exprimant d'ailleurs à chacune de ses interventions bien plus longuement que Vladimir Poutine, Emmanuel Macron a ainsi fait, depuis son arrivée à Saint-Pétersbourg le 24 mai, assaut de références tout à la fois historiques et littéraires, citant abondamment les auteurs russes Tolstoï, Soljenitsyne et Dostoïevski. Cherchant ainsi à tisser un lien personnel avec son homologue russe, Emmanuel Macron a même convoqué le judo, sport de combat de prédilection de Vladimir Poutine. «Nous connaissons tous votre goût, monsieur le président, cher Vladimir, pour le judo et je sais que vous appréciez les valeurs de la voie de la souplesse», a-t-il déclaré, faisant même esquisser un sourire au président russe.
Emmanuel Macron en quête d'une relation privilégiée avec la Russie
Mais Emmanuel Macron ne s'est pas contenté de symboles. Le président a repris des thématiques chères à Vladimir Poutine, parmi lesquelles celle d'un monde multipolaire : une géopolitique qui ne serait plus dominée par un gendarme du monde, les Etats-Unis, mais qui associerait plusieurs puissances œuvrant de concert. Lors du sommet des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) en septembre 2017, le président russe avait ainsi appelé de ses vœux l'émergence d'un «monde multipolaire juste» et de «conditions de développement équivalentes pour tous».
Souveraineté, coopération et multilatéralisme fort
Ce 25 mai, ce sont des mots que Vladimir Poutine aurait pu prononcer qu'Emmanuel Macron a employés, martelant son attachement au «multilatéralisme» et à la nécessité de restaurer «la confiance». «Je veux que nous avancions dans les prochaines années pour essayer de rebâtir cette confiance indispensable autour de ce triptyque : souveraineté, coopération et multilatéralisme fort», a ainsi affirmé le dirigeant français ce même jour.
S'inscrivant dans le cadre de la supranationalité de l'Union européenne, la conception qu'a Emmanuel Macron de la souveraineté, boudée d'ailleurs par l'Allemagne, diffère certes quelque peu de celle de son homologue russe. Mais là aussi, en prononçant ce mot, Emmanuel Macron a donné des gages à Vladimir Poutine, notamment avec en arrière-plan les menaces de sanctions américaines qui pèsent désormais sur les entreprises européennes après la sortie des Etats-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien le 8 mai dernier.
Face à l'unilatéralisme américain, la France entre deux rives
L'initiative unilatérale de Donald Trump a en effet ouvert un fossé entre les Etats-Unis et les Européens, déjà échaudés par les exigences de Washington, comme, entre autres, celles concernant le projet russo-européen de gazoduc Nord Stream 2 . «Nous devons agir», avait ainsi lancé le président de la Commission européenne le 17 mai dernier, dénonçant l'ingérence et les prétentions du droit américain à s'étendre – «l'extraterritorialité» – au reste du monde.
En visite à Washington, Emmanuel Macron avait échoué à faire changer d'avis Donald Trump sur le dossier iranien. Et ce malgré les nombreux témoignages tactiles entre les deux hommes, marqueurs d'une rencontre lors de laquelle le chef d'Etat français avait paru, au sens propre comme au sens figuré, se faire mener par la main par Donald Trump.
Plus que jamais en opposition avec Donald Trump, intérêts économiques nationaux et européens obligent, Emmanuel Macron a donc, lors de cette première visite en Russie, profondément amendé sa position à l'égard de la Russie. Mais pour construire «la confiance» qu'il a martelée au cours de cette deuxième journée à Saint-Pétersbourg, les mots devront sans doute être suivis d'actes : Vladimir Poutine est connu pour préférer le réalisme à l'idéalisme dans le domaine des relations internationales.
Alexandre Keller
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