Maroc : manifestations après le décès de deux hommes dans une mine de charbon désaffectée (IMAGES)
Le décès de deux frères dans une mine désaffectée où ils tentaient de récolter du charbon pour survivre agite la ville désœuvrée de Jerada, qui s’est rassemblée pour célébrer la mémoire des victimes et dénoncer l’abandon des pouvoirs publics.
Deux frères sont morts dans un éboulement de la mine désaffectée de Jerada. Ces deux décès cristallisent la colère des habitants de cette région enclavée du Nord-est du Maroc, qui ont défilé par milliers le 25 décembre en leur mémoire. Les deux hommes ont péri en tentant de récolter du charbon clandestinement, alors que la mine n'est plus exploitée depuis la fin des années 1990, plongeant la région dans la misère.
Deux frères mineurs morts dans une mine « désaffectée » (non conforme) à #Jerada. Inhumes cet après-midi, ils furent accompagnés par une foule en colère. Encore une irresponsabilité fatale !! Paix à leur âme. (Ph. activiste local prise sur @OmarRADI) pic.twitter.com/kMCgxpAbj9
— Talal CHAKIR (@Chakirtalal) December 26, 2017
Depuis le 24 décembre, la ville s’est arrêtée. Des milliers d’habitants se sont rassemblés pour exprimer leur détresse et leur colère. Refusant l’aide des pouvoirs publics pour enterrer les deux frères, ils ont traversé l’artère principale de la ville en formant un cordon. Rassemblés pour participer au deuil, les citoyens de Jerada ont aussi protesté contre l’abandon de la ville par les pouvoirs publics. Ce défilé a même été appelé localement «le samedi de la colère».
On a vu aujourd'hui les mêmes slogans de Hirak du Rif, ont été entonnés à Jerada.
— Fouad Bouziani🔸 (@fouad_bouziani) December 24, 2017
Au Maroc, les tragédies et les inégalités provoquent au fur et à mesure les tensions sociales. pic.twitter.com/Yl9f1GLX8u
En contraste avec le calme de la foule, quelques slogans ont fusé, qui rappellent la colère des premières manifestations du printemps arabe. Le long du cortège ont été entendus le nom de Mohamed Bouazizi, le vendeur tunisien dont le suicide fin 2010 avait déclenché une révolution dans son pays, ou celui de Nasser Zefzafi, leader du Hirak, mouvement social du nord du Maroc.
Les manifestants ont aussi clamé que les mineurs étaient des martyrs et ont demandé la visite du préfet, des autorités en général, et des ministres de l'Intérieur et des Mines en particulier. Selon le site media24.com, les habitants ont gagné les abords du siège de la province de Jerada, gardé par les forces de l’ordre qui avaient été également mobilisées en masse aux entrées de la ville. D'après la même source, les autorités ont été suspectées de vouloir organiser une inhumation discrète dans la nuit du 24 au 25 décembre, pour éviter une mobilisation des habitants. Cette volonté de passer ces décès sous silence a encore davantage mis le feu aux poudres.
La ville est frappée par la pauvreté et le manque de perspectives économiques, contraignant les habitants à descendre illégalement dans les mines. Tous attendent un plan de développement prévu à la suite d'un accord passé en 2001 qui scellait la fermeture de la mine – mais il est resté lettre morte. Said Zeroual, un responsable local de l'Association marocaine des droits de l'homme (AMDH), a évoqué à l'AFP «une grève générale» et a témoigné des «conditions de vie difficiles» des citoyens.
Le climat éruptif avait déjà été attisé la semaine précédente après l’annonce de la surfacturation de l’eau et de l’électricité. Des heurts impliquant quelques jeunes avaient donné lieu à l’arrestation de quatre personnes et relancé la contestation sociale. Dans cette vidéo, on peut voir les habitants réclamer justice auprès des autorités.
Les deux frères, de 23 et 27 ans, pères d’enfants en bas âge, étaient descendus le 23 décembre dans la mine. Un éboulement les avait entraînés dans le fond de la cuvette. Le troisième homme, qui les aidait à prélever le combustible, a pu prévenir les secours. Après 36 heures de recherches, les deux hommes ont été retrouvés ensevelis dans la boue noire et glacée de la cuvette de Jerada.
«Chaque année, deux à trois hommes meurent en silence dans les mêmes conditions. Faute d’alternatives économiques, des jeunes souvent diplômés sont contraints d'exploiter des mines clandestines, parfois jusqu’à 100 mètres de profondeur, en vue de creuser le charbon et de le vendre à certaines personnes à Jerada ayant des permis de commercialisation du produit», a expliqué un acteur associatif de la ville sur le site yabiladi.com. Ces riches marchands qui réalisent de gros profits en exploitant une main d’œuvre locale illégale qui récolte le charbon au péril de sa vie, font aujourd'hui l'objet de la colère des citoyens.
Située à une soixantaine de kilomètres de la ville d'Oujda, capitale de la région de l'Oriental, Jerada a connu une période florissante à partir des années 1920, en vertu de la qualité de son charbon. Mais la ville a dû en arrêter l’extraction, qui n'était plus compétitive, en 1998. L’humiliation des petites gens est de mise dans la région, qui comptait 9 000 ouvriers au moment de la fermeture de la mine en 1998. A l'issue de l'arrêt de l’activité minière, le nombre d’habitants est passé de 60 000 à 43 000 aujourd’hui.
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