Paradise papers : simple «activité commerciale habituelle et légale» ?
Avant de publier leurs conclusions, les journalistes de l'ICIJ ont dû éplucher des millions de documents fuités. Les révélations semblent pourtant ne refléter que la cynique réalité du monde des affaires.
Plusieurs figures russes du monde des affaires et de la politique ont réfuté le caractère extraordinaire des révélations, le 5 octobre 2017, du Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) sur les circuits planétaires d'optimisation fiscale, connus sous l'appellation de «Paradise Papers».
Outre la reine d'Angleterre et, entre autres, le Premier ministre canadien Justin Trudeau, certaines de ces informations concernent en effet des personnalités ou des compagnies publiques russes. «[Les fuites ont pour but de] provoquer l'émotion avec des formulations confuses», a réagi, d'après l'agence RIA Novosti, Konstantin Kosatchev, chef de la commission des Affaires étrangères de l'équivalent du Sénat français en Russie, le Conseil de la Fédération. «[Un] texte fantastique, relevant de la fantasmagorie.... Quand les choses se seront décantées, [on s'apercevra que] ce qui est décrit ici relève de l'activité commerciale habituelle et légale», a-t-il encore assuré.
#ParadisePapers : Elisabeth II et des proches de Trump et Poutine visés par l'enquête#Paradisfiscauxhttps://t.co/LKxSyWzWIipic.twitter.com/wxuyt1ujfV
— RT France (@RTenfrancais) 6 novembre 2017
L'exploitation par l'ICIJ des 13,5 millions de documents fuités du cabinet d'avocats Appleby ne témoigne pour l'heure que des relations toujours très complexes qui caractérisent le commerce et les investissements internationaux. Ainsi, l'ICIJ révèle que la banque russe VTB, à laquelle on ne saurait a priori reprocher que d'être l'objet de sanctions américaines, aurait investi des fonds dans le réseau social Twitter, avant lesdites sanctions qui ont débuté en 2014... Des relations d'affaires cordiales qui paraissent assez cocasses rétrospectivement, alors que Twitter a privé les médias russes de campagnes publicitaires le 26 octobre, sous la pression des accusations persistantes d'une ingérence russe supposée lors de la campagne présidentielle de 2016.
0,74% et 0,004% du contenu : #Twitter et #Facebook révèlent l'étendue de la supposée «ingérence russe»
— RT France (@RTenfrancais) 31 octobre 2017
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Circuits d'investissement croisés légaux ou illégaux ?
Toujours d'après le consortium de journalistes, le géant énergétique Gazprom aurait également financé, par l'intermédiaire d'une compagnie offshore, un instrument de placement qui possédait des parts de Facebook. Ces deux opérations d'investissement, apparemment légales avant le début du train de sanctions économiques infligées à la Russie, seraient en outre liées à un homme d'affaires russe, le milliardaire Iouri Milner. Un investissement qui semble cohérent pour cet homme de 57 ans, proche dans les années 1990 de l'oligarque et désormais opposant à Vladimir Poutine Mikhail Khodorkovski, et qui a investi dans les sociétés internet dès 1999.
Le mouvement public de #Khodorkovski, «Russie ouverte», mène plusieurs manifestations en #Russiehttps://t.co/L7UrFImP6dpic.twitter.com/yOGoIEJHRL
— RT France (@RTenfrancais) 29 avril 2017
Si VTB, qui est une banque et prête donc de l'argent, a fourni à Iouri Milner une partie des fonds nécessaire à son investissement, rien ne démontre, comme l'écrit pourtant L'Express, que ces opérations sont «révélatrices de l'intérêt du gouvernement russe dans les réseaux sociaux».
Ces «révélations» figurent d'ailleurs déjà sur le site du magazine spécialisé Forbes, qui rappelle que Iouri Milner a vendu ses participations dans les réseaux sociaux américains dès 2013 pour investir ensuite dans les plateformes Spotify et Airbnb, mais aussi dans le géant chinois du commerce en ligne Alibaba... Sans doute, si l'on suivait le même raisonnement, un intérêt du «gouvernement russe» pour le commerce en ligne chinois ?
Interprétation politiquement à charge
«[Ces opérations] sont pratiquement présentées comme un complot contre les fondations de la démocratie occidentale», a ainsi ironisé Iouri Millner ce même 6 novembre. «Il s'agit d'affaires, de business. Cela n'a rien à voir avec la politique», a déclaré pour sa part le responsable adjoint de la commission des Affaires internationales de la Douma, Alexeï Tchepa, cité par RIA Novosti, invité à commenter les révélations.
Dans le collimateur des journalistes de l'ICIJ se trouve également le géant de la pétrochimie russe Sibur. Selon le New York Times, parmi les propriétaires de Sibur figurent Guennadi Timtchenko, un oligarque proche du président russe sanctionné par le Trésor américain après le rattachement de la Crimée à la Russie en 2014, et Kirill Chamalov, mari de la fille cadette de Vladimir Poutine, Ekaterina. Réagissant au supposé scoop, Sibur a a pour sa part affirmé être étonné de l'«interprétation politiquement à charge» dans certains médias d'une activité commerciale pourtant ordinaire.
Alexandre Keller