Opération séduction ? L'Arabie saoudite assure vouloir promouvoir «un islam modéré, ouvert au monde»
Depuis plusieurs mois, Riyad multiplie les annonces visant à moderniser son image internationale. Véritable volonté de réformer la société ou simple opération de dédiabolisation ? Le chemin semble en tout cas encore long...
«Nous n'allons pas passer 30 années de plus de notre vie à nous accommoder d'idées extrémistes, nous allons les détruire maintenant», a décrété, tout sourire, le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane devant des investisseurs étrangers réunis au Davos saoudien, à Riyad, le 24 octobre. Le jeune prince de 32 ans a annoncé l’entrée de son royaume dans une nouvelle ère, le retour à un islam «modéré, ouvert au monde». Opération séduction ?
Nous n’allons pas perdre les 30 prochaines années à gérer des idées extrémistes
Lors de cette conférence économique à Riyad, il a tenté de séduire les 2 500 délégués, dont de nombreux investisseurs étrangers, en déclarant sous les applaudissements : «L’Arabie saoudite n’était pas comme ça avant 1979 […] Nous voulons juste revenir à ce que nous avions, un islam modéré ouvert au monde, ouvert à toutes les religions. 70% de la population en Arabie saoudite a moins de 30 ans. Et franchement, nous n’allons pas perdre les 30 prochaines années à gérer des idées extrémistes. On va les détruire aujourd'hui. On veut vivre une belle vie qui traduise notre religion modérée et nos bonnes manières pour co-exister et vivre avec le monde.»
Prince Mohammad bin Salman Al Saud: We want to go back to moderate Islam that is open to the world, we will destroy extremist ideas #FII2017pic.twitter.com/Y6OBpNlguK
— FOX Business (@FoxBusiness) 24 octobre 2017
Des propos qui s'inscrivent en contradiction avec le wahhabisme ultraconservateur prévalant dans le pays depuis 1979.
La profession de foi «modérée» du prince s'inscrit dans la foulée de mesures adoptées récemment par l'Arabie saoudite, semblant indiquer la volonté du pays de réformer son image, particulièrement assombrie par de multiples violations des droits de l'homme. Ainsi, a le 24 juillet Amnesty International dénonçait en termes vifs une décision de justice saoudienne aux terme d'un «procès de masse grossièrement inéquitable» qui devait conduire 14 hommes à la décapitation, pour avoir pris part à des manifestations entre 2011 et 2012.
Opération dédiabolisation ?
Le 5 juin, juste avant l’arrivée du prince au pouvoir, Riyad avait rompu avec fracas ses relations diplomatiques avec le Qatar, l'accusant de soutenir «des organisations terroristes et des groupes sectaires cherchant à déstabiliser la région, parmi eux les Frères musulmans, Daesh et Al-Qaïda». Et pourtant, maints documents et témoignages accusent le royaume wahhabite d'être l’une des principales sources de financement d’Al-Qaïda. Zacarias Moussaoui, impliqué dans la préparation des attentats du 11 septembre 2001, avait lui-même déclaré que son organisation terroriste «recevait des dons de la part de membres de la famille royale saoudienne», selon le magazine Marianne.
Une manière peut-être pour l'Arabie saoudite de détourner l'attention de ces accusations gênantes, et ce alors que l'alliance avec Washington apparaît plus forte que jamais. L'héritier du royaume Saoud est en effet allé rendre visite à Donald Trump dès mars 2017, et a fait en sorte de l’accueillir avec tous les honneurs pour son premier voyage officiel à Riyad fin mai.
Dès sa nomination en tant que nouveau prince héritier de la famille al-Saoud, le 21 juin 2017, Mohammed ben Salmane, fils du roi, s'est posé en modernisateur. Le 26 septembre, il donnait l’autorisation aux femmes de conduire, par une décision souveraine qui entrera en vigueur en juin 2018. Quoi de mieux pour passer sous silence les critiques des associations de défense des droits de l'Homme et les médias, qui rappelaient régulièrement que l'Arabie saoudite était le seul pays au monde dans lequel les femmes n'étaient pas autorisées à conduire ?
«Et les lapidations ?» : Twitter sceptique après le décret saoudien autorisant les femmes à conduire
— RT France (@RTenfrancais) 27 septembre 2017
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Et pourtant...
«J'ai pris quelques décisions très claires, nous allons éradiquer maintenant le reste des extrémistes», a encore déclaré le prince Salmane le 24 octobre.
Si la femme pourra demain conduire, elle vit toujours sous la tutelle d’un homme, le «Mahram», un tuteur qui peut être un père, un frère ou un mari. Son autorisation est requise pour tous les actes de la vie quotidienne : sortir, travailler, se marier. 18% des femmes travaillent, mais elles ne peuvent ouvrir un compte en banque. La mixité est ainsi interdite dans les restaurants et les transports en commun et certains lieux publics comme les parcs ou les plages ne leur sont ouverts qu'à certaines heures. Les femmes doivent porter une abaya noire qui leur couvre l'intégralité du corps et doivent bien entendu cacher leurs cheveux. Elles peuvent toutefois voter depuis 2011.
Le rapport mondial sur l'inégalité entre les sexes publié par le Forum économique mondial en 2012 place l'Arabie saoudite à la 131e place sur 135. Le royaume était l'un des huit pays à ne pas signer la Déclaration universelle des droits de l'Homme lors de son adoption en 1948 et il est aujourd'hui le seul à s'opposer à ce texte.
La peine de mort est toujours de mise pour des délits allant du viol au meurtre en passant par l'adultère (puni de lapidation), mais également la sodomie. En 2015, plus de 150 personnes ont ainsi été exécutées.
Par les annonces et autres mesures symboliques faites ces derniers mois, l'Arabie saoudite cherche-t-elle simplement à redorer son blason, ou au contraire à réformer sa société en profondeur ? L'avenir le dira.
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