Frappes en Russie : des pistes d'escalade sont de plus en plus ouvertement évoquées en Occident
Aux États-Unis, la pression s’accentue sur l’administration Biden afin qu’elle donne son feu vert à l’élargissement des frappes ukrainiennes en Russie à l’aide des armes américaines. En Europe, faisant écho aux demandes de Kiev, Varsovie étudierait la possibilité d’abattre depuis son territoire des missiles russes volant au-dessus de l’Ukraine.
Les États-Unis vont-ils bientôt autoriser les Ukrainiens à tirer des missiles américains en Russie ? Un «débat vigoureux» fait rage à ce sujet au sein du département d’État, a rapporté le 22 mai le New York Times (NYT).
Le quotidien a rappelé que, jusqu’à présent, la Maison Blanche avait tracé une ligne rouge aux forces de Kiev par crainte d’un embrasement du conflit, l'enjoignant de ne pas tirer de telles armes à l’intérieur des frontières russes internationalement reconnues. «Mais le consensus autour de cette politique s’effiloche», a poursuivi le NYT.
Ce débat intervient alors que l'Ukraine subit la pression des forces russes en maints endroits du front et une campagne de frappes de représailles visant ses installations énergétiques, à la suite d'attaque de drones ukrainiens sur les raffineries de pétrole en Russie.
Une douzaine d’élus américains, emmenés par le président de la commission du renseignement Mike Turner, ont enjoint dans une lettre le patron du Pentagone, Austin Llyod, à autoriser Kiev à «frapper des cibles stratégiques sur le territoire russe dans certaines circonstances». Une demande également formulée le 22 mai par le républicain du Texas Michael McCaul, lors d'une audition au Congrès du chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken.
.@RepMcCaul on Ukraine: "Congress did not put restrictions on the use of these weapons. It's Jake Sullivan and your administration that has put the restrictions on these weapons. I talk to them...they cannot achieve victory with these restrictions that you...have place on them." pic.twitter.com/JPPOgVPXj6
— CSPAN (@cspan) May 22, 2024
Une carte du très néoconservateur Institut pour l'étude de la guerre (ISW) à l’appui, Michael McCaul a montré les zones que les forces ukrainiennes pourraient frapper en Russie à l’aide de missiles GMLRS et ATACMS, mais aussi celles présentées comme un «sanctuaire», d’où les Ukrainiens pourraient «attaquer les Russes» sans crainte de riposte. «Allez-vous changer cette politique pour que l’Ukraine puisse se battre sans avoir une main attachée dans le dos ?», a-t-il lancé à Antony Blinken.
À Washington, le camp de la guerre a le vent en poupe
«L'Ukraine devra prendre et prendra ses propres décisions», lui a répondu le diplomate. «Et je veux m'assurer qu'elle dispose des équipements dont elle a besoin», a-t-il poursuivi. «Le Congrès leur procure les équipements [...] Le Congrès n'a pas mis de restrictions sur l'usage de ces armes, c'est Jake Sullivan [conseiller à la sécurité nationale de Joe Biden] et votre administration» qui l’a fait, a interrompu l'élu républicain.
Mais la position de l'administration Biden ne semble plus si catégorique non plus. Lors d’une visite à Kiev le 15 mai, Antony Blinken avait laissé entendre que l’Ukraine pourrait étendre ses frappes. «Nous n’avons pas encouragé ou favorisé les frappes hors d’Ukraine, mais en fin de compte, c’est à l’Ukraine de prendre ses décisions sur la manière dont elle mène cette guerre», avait-il déclaré.
«Je publie pour Michael McCaul l'adresse de "l'arrière-pays russe" sur lequel il faut travailler en premier», a de son côté ironisé ce 23 mai la porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova sur Telegram, indiquant l'adresse de l'ambassade des États-Unis à Moscou.
Autre signe d'une bellicisation des esprits à Washington : les propos, dans une interview à la chaîne ABC le 19 mai, de l’ancienne secrétaire d'État adjointe Victoria Nuland, laquelle avait déclaré qu’il était «temps d’aider davantage les Ukrainiens à frapper» en Russie. Une diplomate qui «a toujours fait partie d’un camp beaucoup plus belliciste» au sein de l’administration américaine et dont «le point de vue était minoritaire», selon le NYT, mais qui «au fil du temps» aurait «remporté de plus en plus de débats» autour de la fourniture à Kiev d’armements sophistiqués. «Et chaque fois que Joe Biden a cédé, les pires craintes qu’il avait concernant une escalade ne se sont pas concrétisées», note le quotidien américain.
À Varsovie, la question se pose d'abattre les missiles russes près des frontières polonaises
Parallèlement à ce débat américain, en Europe, Varsovie étudierait la possibilité d'abattre des missiles russes passant près de ses frontières. «Cette question est examinée d'un point de vue juridique et technique, mais aucune décision n’a été prise à ce sujet», a déclaré le 22 mai le porte-parole du ministère polonais des Affaires étrangères, Pawel Wronsky, auprès du média ukrainien Ukrinform.
Le 21 mai, lors d'une conférence de presse aux côtés de son homologue allemande Annalena Baerbock, le chef de la diplomatie ukrainienne Dmytro Kouleba a estimé qu'il n'y avait «aucun argument légal, sécuritaire ou moral qui empêcherait nos partenaires d'abattre les missiles russes au-dessus du territoire de l'Ukraine à partir de leur territoire».
Dans une interview publiée la veille, accordée à l’agence Reuters, le président ukrainien Volodymyr Zelensky avait suggéré que les forces de l’OTAN stationnées dans les pays voisins de l’Ukraine abattent les missiles russes évoluant dans le ciel ukrainien.
Moscou menace Londres
De son côté, Moscou a déjà mis en garde l'Occident contre l’élargissement des attaques sur le sol russe. Suite aux déclarations du chef de la diplomatie britannique David Cameron, qui avait déclaré début mai depuis Kiev que les Ukrainiens avaient «le droit» de frapper en Russie avec des armes britanniques, Moscou avait indiqué que l’armée russe se réservait le droit de frapper «n'importe quelle installation et équipement militaire britannique sur le territoire ukrainien et au-delà».