«Moins d'un euro par repas», «défaillances» de l'Etat : le scandale Orpea disséqué à l'Assemblée

Le livre de Victor Castanet© Bertrand Guay/AFP
Le livre de Victor Castanet a révélé la maltraitance des personnes âgées dans les Ephad du groupe Orpea (image d'illustration).
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Auditionné par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale le 9 février, l’auteur du livre Les Fossoyeurs a détaillé les mauvaises pratiques à l'œuvre au sein d'Orpea et dénoncé la défaillance des pouvoirs publics dans les contrôles.

«Émoi, écœurement, indignation et colère» : tels ont été les sentiments ressentis par les membres de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale à la lecture de l'enquête de Victor Castanet sur la maltraitance des personnes âgées dans les Ehpad gérés par le groupe Orpea, d'après sa présidente Fadila Khattabi. L'instance a auditionné le journaliste le 9 février, celui-ci livrant un récit glaçant des pratiques qui ont eu cours dans ces établissements, «étayé par de nombreux témoignages», tout en reprochant aux pouvoirs publics des contrôles insuffisants, parlant même de «défaillances».

Rationnement à tous les étages

Au sein du groupe Orpea, «tout a été organisé pour aller vers une course au profit sans limites et sans contre-pouvoir», a résumé Victor Castanet, «par le fait de rationner, d'optimiser les coûts, de remplir au maximum les établissements et de tenir le personnel». Cette stratégie d'économies tous azimuts s'est traduite par un véritable «rationnement», selon le journaliste, à commencer par la nourriture. Ainsi, «dans 80 % des résidences Orpea de France, le budget pour un repas est de moins d'un euro par résident», a-t-il souligné, indiquant que «les cuisiniers doivent rationner et peser chaque aliment». Avec pour résultat une dénutrition des résidents que les cuisiniers ont tenté de pallier en utilisant «une poudre hyperprotéinée», quitte à gâcher le goût des aliments.

Le rationnement a aussi été appliquée aux couches, au risque de provoquer des escarres, portant ainsi directement atteinte à «la dignité des personnes âgées», selon Victor Castanet, qui a précisé que certains directeurs d'établissements ont payé eux-mêmes l'acquisition de protections supplémentaires. Un système «particulièrement terrible» car ceux qui le mettent en place «ne voient pas les conséquences concrètes sur le terrain» d'une politique uniquement basé sur «les chiffres ; pas les êtres humains». Autre conséquence de cette pression constante pour atteindre les objectifs de rentabilité, «il est arrivé qu'on fasse rentrer des gens qui n'avaient rien à faire dans des Ehpad, notamment des profils psychiatriques», afin d'obtenir des taux de remplissage très élevés, a détaillé le journaliste.

Défaillance caractérisée des pouvoirs publics 

L'Etat et ses organismes de contrôle n'ont pas été épargnés par Victor Castanet. Plus précisément, les conseils départementaux et les agence régionales de santé (ARS), qui se partagent le contrôle des Ehpad, ont été mis en cause. Tous «ont failli », a-t-il dénoncé, plus particulièrement les ARS, fautes de moyens et d'inspecteurs en nombre suffisant, mais aussi faute de volonté politique. «Les ARS prévenaient les établissements» en amont des inspections, a-t-il expliqué, ce qui laissait le temps au groupe de prendre des mesures. «Le jour du contrôle, il arrivait que trois pensionnaires surnuméraires soient amenés dans un autre établissement», a-t-il détaillé. Ces pratiques ont conduit les dirigeants du groupe à développer un sentiment de toute puissance, conscients de «leur supériorité sur le public».

Sans oublier la «porosité très forte entre le public et le privé» dans le secteur des Ehpad, a alerté Victor Castanet, révélant que «certains anciens inspecteurs travaillent aujourd'hui pour Orpea, et connaissent les mécanismes de contrôle». Il a ainsi cité le cas d'une ancienne haute fonctionnaire de l’ARS Ile-de-France, recrutée peu après sa démission par Clinea, la branche du groupe spécialisée dans les soins de suite et la psychiatrie, touchée par le scandale par ricochet.

Auditionnée le 9 février également, la directrice de l'ARS Ile-de-France, Amélie Verdier, a affirmé vouloir «tirer les leçons» du livre et vouloir renforcer «le poids des contrôles inopinés», alors que seuls 14 des 57 Ehpad géré par Orpea dans la région ont été inspectés depuis 2011. Quant à l'Ehpad controversé des Bords de Seine (Neuilly-sur-Seine), pointé du doigt dans le livre, elle a indiqué qu'il avait fait l'objet d'un «contrôle inopiné en 2018», et que le contenu du rapport d'inspection sera «rapidement rendu public». Elle a également communiqué les montants de l'argent public versé à Orpea par l'agence, soit 102 millions d'euros en 2021. 

«S'il n'y a pas de commission d'enquête parlementaire, vous n'obtiendrez pas de réponses», a estimé Victor Castanet en conclusion de son audition. Cette option n'a, pour le moment, pas été prévue par les députés, à quelques semaines de la fin de la session parlementaire. Selon l'auteur de l'enquête, le groupe serait en train de «faire le ménage» afin de limiter la portée des révélations, en supprimant des documents gênants et en congédiant certains salariés. Ceux-ci «s'inquiètent, qu'une fois de plus, le privé démontre sa supériorité sur le public», a averti Victor Castanet, alors que deux enquêtes, l'une financière, l'autre administrative, ont été diligentées par la ministre chargée de l'Autonomie, Brigitte Bourguignon, qui a dénoncé le «cynisme» des dirigeants du groupe.

Les révélations du journaliste ont fait chuter le cours du groupe Orpea en Bourse, qui a dévissé de plus de 60% depuis le début de l'année. Ses responsables n'ont cependant «rien appris, ou presque», selon la présidente, aux membres de la commission lorsqu'ils ont été entendus le 2 février : le PDG Philippe Charrier avait alors répété que les faits reprochés n'étaient que des «allégations» et ne concernaient qu'un «tout petit nombre»des 28 000 résidents et des 230 Ehpad gérés par le groupe en France. Mécontents, certains députés avaient dénoncé une «mascarade». «Déçue» par l'indigence de leurs réponses, Fadila Khattabi avait même fini par interrompre les dirigeants afin d'abréger l'audition. Un autre poids lourd du secteur des Ephad, Korian, devrait être prochainement la cible d'une procédure collective lancée par l'avocate Sarah Saldmann qui a annoncé avoir reçu de nombreux témoignages sur des pratiques similaires à celles d'Orpea.

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