Châlons-en-Champagne : une arme blanche «projetée» dans la prison, des surveillants menacés
FO-Justice alerte sur le niveau de violence en détention et en particulier à la maison d'arrêt de Châlons-en-Champagne où un «contrat [aurait] été mis sur la tête de deux» surveillants par des détenus. Un couteau a été trouvé dans la prison.
Dans un communiqué publié le 2 novembre, le syndicat FO-Justice alerte sur la situation sécuritaire dégradée au sein de la maison d'arrêt de Châlons-en-Champagne (Marne) : au cours du week-end précédent, un surveillant a été pris à partie et menacé par deux détenus.
Selon le communiqué l'un des deux détenus aurait mimé un égorgement et déclaré au surveillant qu'il pourrait aisément lui faire la même chose. Le lendemain, lors d'une fouille, un couteau de poche doté d'un lame de huit centimètres a ensuite été trouvé. L'arme était vraisemblablement entrée dans l'enceinte du bâtiment par une «projection», ainsi que l'a expliqué à RT France le délégué régional Champagne-Ardenne FO-Justice, Julien Sohier. La projection est le moyen par lequel un complice extérieur à l'établissement, jette des objets par-dessus les murs d'une prison à destination des détenus.
Si ce premier couteau a été trouvé à temps, le communiqué évoque «des sources concordantes» selon lesquelles un «contrat» avait été placé «sur la tête» de deux surveillants et des rumeurs courent dans la prison sur la présence d'autres armes au sein de l'établissement.
Les «projections» et les violences : deux phénomènes en hausse
Le syndicaliste FO-Justice interrogé par RT France, qui est surveillant à Châlons-en-Champagne, souligne que le phénomène des projections est de plus en plus courant dans cette maison d'arrêt. Il explique également que le niveau de violence est en accroissement constant. Il rappelle qu'à Pau (Pyrénées-Atlantiques), un détenu a récemment tenté de crever l'œil d'un surveillant avec un stylo affûté.
Il déplore de surcroît que pour des raisons de manque d'effectif, le seul mirador de cette prison ait été fermé il y a une dizaine d'années. Julien Sohier estime qu'il y a eu «un avant et un après» à la suite de cette décision de la direction de l'administration pénitentiaire. Le syndicaliste constate ainsi les lacunes sécuritaires de la prison : «Autour de notre établissement, c'est la voie publique, le tissu urbain. Une caméra ne peut pas faire ce que faisait un mirador à l'époque. Le surveillant affecté au mirador était dédié à cette tâche, alors que le surveillant dans une salle de visionnage doit avoir l'œil sur quarante caméras. De plus, la caméra porte moins loin sur la voie publique que le surveillant dans un mirador. Cette décision de fermer un mirador n'était pas catastrophique dans un établissement qui en avait quatre, mais dans notre maison d'arrêt, l'impact n'est pas le même, puisque nous n'en avions qu'un seul.»
A présent, FO-Justice à Châlons-en-Champagne exige le transfert immédiat des détenus impliqués dans ces menaces.
Julien Sohier aimerait également que les moyens soient mis en œuvre pour contrer le phénomène des projections.
Aux Baumettes, les projections sont quotidiennes et les états généraux de la Justice ne rassurent pas
Interrogé par RT France, un surveillant du centre pénitentiaire de Marseille (Bouches-du- Rhône), plus connu sous le nom des Baumettes, a pour sa part estimé que 80% des objets entrés illégalement dans la prison passaient par projection : «C'est tous les jours chez nous. Même avec nos miradors et nos agents de sécurité, ils y arrivent toujours. Ils jettent ça depuis la voie publique en général. L'autre jour, alors que j'étais dans le bus, j'en ai vu un arrêter sa voiture devant un mur d'enceinte, descendre et jeter le paquet par-dessus le mur et repartir, sans se soucier du tout de ceux qui auraient pu le voir faire. Ils savent très bien envoyer ça dans l'espace des promenades. Il y a une augmentation graduelle de ce phénomène depuis une quinzaine d'années.»
En matière d'armes blanches clandestines, l'agent affirme avoir vu passer un peu de tout, notamment une lame de scie, un couteau en céramique indétectable aux portiques de sécurité et un couteau Opinel avec une lame de 20 centimètres : «Cela aurait pu faire des dégâts, mais on les a trouvées avant grâce à nos équipes spécialisées [les équipes locales de sécurité pénitentiaire, ELSP, qui ont remplacé les ELAC].»
Ces équipes qui ont remplacé les équipes locales d'appui et de contrôle [ELAC] en 2021 sont spécifiquement chargées de récupérer les objets étrangers sur les espaces de promenades et lors des fouilles de cellules. Elles sécurisent également les abords des établissements.
Contrairement à Julien Sohier de FO-Justice, le surveillant marseillais est plutôt rétif à l'introduction du pistolet à impulsion électrique (communément appelé par la marque Taser) en prison : «Nous sommes quotidiennement entourés de 40 ou 50 prisonniers par moments, je ne pense pas que l'arme soit bénéfique dans ce contexte, au contraire. Que le chef en porte un, pourquoi pas ? Cela pourrait nous aider pour maîtriser des détenus extrêmement récalcitrants par moment. Mais pas pour tous les surveillants.»
Nous voudrions ne plus être l'éternelle dernière roue du carrosse de ce ministère dans tous les domaines
Malgré l'«ambiance Club Med» des Baumettes, ironise le surveillant anonyme, «il y a de la violence entre détenus et parfois envers des collègues». «Ici, on parle beaucoup avec les détenus. D'ailleurs les jeunes recrues parlent malheureusement moins. Certains ont même des profils qui font plus penser à des détenus de droit commun qu'à des collègues, honnêtement», regrette-t-il.
Ces propos font écho à ceux publiés par RT France le 4 novembre : le ministère de la Justice peine à recruter dans cette filière qui attire peu, et le niveau des recrues laisse parfois à désirer selon différentes sources syndicales.
Dans le cadre des états généraux de la Justice lancés le 18 octobre qui doivent durer cinq mois, le surveillant nous explique qu'il a rempli le questionnaire en ligne destiné à faire remonter le quotidien de la base vers le ministère. «Les questions sont totalement déconnectées de notre travail de terrain, ça me faisait rire pendant que je le remplissais. C'est très loin du réel, trop théorique. Qu'est-ce qui peut bien aboutir après un questionnaire pareil ? Et il aurait fallu faire ça en début de quinquennat, pas maintenant... C'est juste une opération de communication», déclare le syndicaliste dépité avant d'ajouter fataliste : «De toute façon, les surveillants n'ont jamais été la priorité des gardes des Sceaux, on le sait très bien. Nous préférerions un ministère ou un secrétariat d'Etat spécialement dédié à l'administration pénitentiaire. Nous voudrions ne plus être l'éternelle dernière roue du carrosse de ce ministère dans tous les domaines, que ce soit le budget, le recrutement ou les moyens individuels.»
Antoine Boitel