Sondages en série, campagnes ciblées : le budget communication de l'exécutif a explosé sous Macron
Une enquête de L'Obs a révélé que les dépenses du gouvernement en matière d'enquêtes d'opinion avaient doublé depuis 2017. L'exécutif a également passé des contrats mirobolants avec des entreprises de communication et de veille sur les réseaux.
Le gouvernement ne lésine pas sur l'argent public pour convaincre du bien-fondé de son action : le nombre de sondages d'opinion commandés depuis 2020 par l'exécutif battrait des records dans l'histoire de la Ve République, selon une longue enquête publiée par L'Obs le 4 juin, qui remarque également le coût des campagnes de communication sous Emmanuel Macron.
Sondages de l'Elysée : des sommes qui donnent le tournis @EmericGsst
— RT France (@RTenfrancais) June 6, 2021
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Depuis l'affaire des sondages de l'Elysée sous Nicolas Sarkozy, le budget consacré à ces enquêtes dépend de Matignon, à travers le Service d’information du gouvernement (SIG). Celui-ci a vu son ardoise exploser en 2020, à 28 millions d'euros sur l'année, au lieu des 14 millions normalement alloués. La somme n'englobe pas que des sondages. Huit millions d’euros ont par exemple été affrétés à la mise en place du numéro vert «pour répondre aux interrogations des Français sur le coronavirus».
Mais, alors que la pandémie progressait dans le pays, l'exécutif souhaitait mesurer en quasi-temps réel le degré d'adhésion des Français aux mesures de restrictions sanitaires : «A situation exceptionnelle, moyens tout aussi exceptionnels», a ainsi justifié Matignon auprès de l'hebdomadaire. Un dispositif inédit en effet, puisque en moins de trois mois – du 5 mars au 28 mai 2020 –, 33 études quantitatives ou qualitatives et 12 «questions hebdomadaires d’actualité» posées à des panels de sondés ont été commandées par le gouvernement, pour un coût d'un million d'euros. Pour donner un autre d'idée, de début mars à fin avril, un sondage était commandé toutes les 40 heures.
La députée LR Marie-Christine Dalloz, rapporteur spécial de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, a interpellé l'exécutif au sujet de ce qu'elle a qualifié de «dérive», le 27 mai 2021. Mais pour le ministre chargé des Relations avec le Parlement Marc Fesneau, «ces sondages ont permis la mise en place d’outils nécessaires pour répondre aux préoccupations de nos concitoyens».
Un budget qui a doublé sous Macron
En réalité, cette appétence pour la mesure frénétique de l'opinion publique ne date pas de la crise du Covid. L'Obs révèle ainsi qu'à plusieurs périodes critiques du quinquennat Macron – réforme de la SNCF, crise des Gilets jaunes, réforme des retraites –, des sondages ont été commandés en série. Pour un coût annuel qui n'a cessé de croître depuis 2017. Cette année-là, où s'opère la transition à l'Elysée entre François Hollande et Emmanuel Macron, le SIG dépense 1,4 million d'euros pour des enquêtes d'opinion. En 2018, 1,9 million d'euros. Et pour les six premiers mois de 2020 (les chiffres ne sont plus disponibles après juin), déjà 1,6 million d'euros à la moitié de l'année.
Plusieurs présidents d'instituts de sondages qui travaillent avec le SIG ont d'ailleurs souligné auprès de L'Obs que sous la précédente mandature présidentielle, «il a été fait un usage limité des enquêtes d’opinion», mais que depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron, «nous avons le sentiment que c’est bien reparti».
Autre méthode employée par l'exécutif pour prendre la température de l'humeur de ses administrés : la veille sur les réseaux sociaux. Le SIG a conclu en mars 2021 un contrat avec la société Visibrain pour «analyser la conversation sociale publique, à partir d’un corpus de tweets». Montant de l'accord : 2,8 millions d'euros. Il s'agissait d'un renouvellement de partenariat. Mais le précédent contrat, en janvier 2017 sous Hollande, avait coûté 590 000 euros aux pouvoirs publics.
Le SIG justifie cette hausse par la place toujours plus importante des réseaux dans les débats publics, qui va de pair avec leur croissance. Surveiller plus largement coûte donc plus cher. Pour quelle utilité ? «L'agenda médiatique est aussi dicté par le bas, par les réseaux sociaux, par des mouvements d'opinion qui peuvent intervenir par internet, par des déclarations de personnes qui sont beaucoup moins institutionnelles», a expliqué sur RT France l'analyste politique Emeric Guisset. «Un bad buzz peut faire basculer une réforme dans la journée. Après l’exploitation est toujours compliquée. Savoir ce que l’on fait de ces informations est flou. Une fois qu’on a dit qu’il y avait des influenceurs sur un sujet, qu’ils se répondaient entre eux...», a néanmoins nuancé dans Libération un conseiller ministériel qui semble douter de la pertinence de ces dépenses.
Dans l'intérêt général ou [...] au détriment du contribuable ?
Enfin, car il ne s'agit effectivement pas de se contenter de connaître l'avis des Français, mais aussi de l'orienter, le SIG a passé un contrat en décembre 2018 avec le groupe de communication Dentsu Aegis Network : 300 millions d'euros sur quatre ans en échange de conseils en «stratégie média», de mises en place de «partenariats» et d'achats d'«espaces» publicitaires. L'accord inclut des «campagnes d’intérêt général», mais aussi de «l’information gouvernementale». Une expression qui, selon L'Obs, signifie la promotion de la politique d'Emmanuel Macron et du gouvernement.
«Est-ce que finalement ces contrats passés auprès de certaines sociétés sont faits dans l'intérêt général ou est-ce qu'ils sont faits au détriment du contribuable, pour servir les intérêts d'Emmanuel Macron et faire de la communication sur ses intérêts propres ?», a ainsi résumé sur RT France Emeric Guisset.