Villejuif : le retrait du LBD signe-t-il aussi une «instrumentalisation politique» de la sécurité ?
Sitôt lâché dans l'arène publique, le sujet du désarmement des moyens de force intermédiaire de la police municipale de Villejuif a enflammé les débats. Mais un syndicaliste prévient : l'instrumentalisation politique sécuritaire peut être dangereuse.
Comment équiper la police municipale ? Quel message envoie un équipement ou un autre ? Ce sont les délicates questions auxquelles s'est frottée la nouvelle équipe de la mairie communiste de Villejuif (Val-de-Marne) sous la houlette du maire Pierre Garzon avec la publication de plusieurs articles dans la presse nationale mettant en avant la nouvelle stratégie sécuritaire de la ville : retirer le LBD, la brigade canine et le pistolet à impulsion électrique à la police municipale et favoriser le dialogue avec la création de plusieurs équipes en ce sens.
Dans le journal Le Parisien le 16 mai, le maire se justifie en expliquant que ces équipements «coûtent très cher, sans pour autant participer au sentiment de sécurité» et que selon lui, ils «génèrent même un sentiment d'insécurité, de crainte».
Villejuif préfère donc une police municipale «de proximité» avec une brigade chargée du «cadre de vie», de la lutte contre les incivilités et une équipe de médiation qui gérera les conflits mineurs.
Pierre Garzon souligne par ailleurs qu'à son sens, la mission de la brigade canine «doit revenir à la police nationale» et précise que ses agents habilités continueront à porter leurs armes à feu «dans le cadre de leur défense et du plan Vigipirate».
Et pour cause : les polices municipales sont de plus en plus appelées à intervenir en première intention sur des attaques terroristes et Villejuif a déjà été visée par un complot islamiste en 2015. Le djihadiste Sid Ahmed Ghlam a été condamné à la prison à perpétuité en novembre 2020 pour avoir assassiné Aurélie Châtelain alors qu'il préparait l'attaque d'une église dans cette ville en avril 2015.
Ces polémiques et les surenchères de part et d'autres n'aident personne
En tout état de cause, la pression est forte pour cette équipe municipale qui a récupéré la ville à un maire étiqueté divers-droite lors de l'élection de 2020.
Au delà de Villejuif, le sujet sécuritaire s'installe comme une grande dominante dans le débat politique en vue de l'élection présidentielle de 2022. A ce titre, la loi relative à la sécurité globale portée par le gouvernement a justement contribué à accentuer le rôle des polices municipales dans le fameux «continuum de sécurité» popularisé par le marcheur et ancien policier, Jean-Michel Fauvergue.
Le maire PCF de Villejuif a-t-il voulu prendre le contrepied de ce soudain éveil du gouvernement à la sécurité intérieure ? Jointe par téléphone par RT France, l'équipe municipale de Villejuif n'était malheureusement pas disponible pour communiquer à cet égard, nous n'en saurons donc pas plus pour le moment.
En revanche, le responsable syndical CRS de VIGI-MI, Laurent Nguyen, policier en tenue avec des visées sur la police municipale d'une grande agglomération, a bien voulu répondre à nos questions. Habilité «parmi les premiers CRS» à porter le lanceur de balles de défense LBD-40 de Brügger&Thomet il y a une dizaine d'années, le fonctionnaire se souvient : «Quand on porte le LBD et le casque, l'effet est très fort. Il ne faut pas négliger ce facteur-là. Cette arme, on ne doit pas la confier à quelqu'un dont ça va modifier lourdement l'attitude. En portant le lanceur de telle ou telle façon, on n'envoie pas le même message non plus. Le policier est conscient du regard des gens autour, ça ne sert à rien de le nier.»
L'instrumentalisation est dangereuse, c'est même dégueulasse parce que les délinquants en face peuvent en profiter pour provoquer les agents
Et il ajoute au téléphone : «J'ai aussi passé l'habilitation pour le fusil d'assaut HK de la police, il y a un sentiment de puissance et une grande responsabilité qui va avec cette arme. De même, le fonctionnaire qui porte la radio va passer plus facilement pour le chef. Même si on ne court pas après ces sensations, un flic bien équipé, une tenue bien saillante, ça a un impact qu'on ne peut pas négliger. Les collègues savent tous ça et très peu d'agents y sont insensibles.»
Laurent Nguyen reconnaît toutefois : «A Villejuif, je ne connais pas le terrain, alors je ne sais pas si l'enjeu derrière cette décision est uniquement politique et surtout, je ne peux pas parler à la place des agents de la police municipale. Mais en tant que policier, je remarque que l'armement des agents municipaux est devenu un sujet d'instrumentalisation politique. D'ailleurs, on voit très bien que l'affaire de Villejuif a tout de suite été récupérée par les tenants du tout-sécuritaire dans les médias.»
Le syndicaliste prévient également : «Cette déviance politique est une catastrophe d'une part pour la sécurité et d'autre part pour les collègues qui sont exposés en première ligne. Certes, ces sujets sont devenus primordiaux, mais pour les policiers, cette instrumentalisation est dangereuse, c'est même dégueulasse parce que les délinquants en face peuvent aussi en profiter pour provoquer les agents, les prendre à partie alors qu'ils sont déjà dans un métier difficile. Ces polémiques et les surenchères de part et d'autres n'aident personne et chaque commune est différente avec ses propres problématiques.»
Le CRS militant conclut : «Alors si la décision de la ville est sécuritaire, je la salue, mais s'il s'agit seulement d'une décision politique, je souligne simplement que le sujet du LBD mérite beaucoup mieux qu'une instrumentalisation. Ce n'est pas quelque chose d'anodin et en bout de ligne, dans la rue, ce sont les agents. Parfois, on demande peut-être trop à certaines polices municipales aussi. Le boulot de baqueux ou de CRS doit plutôt revenir à la police nationale. Et de toute façon, les policiers ne peuvent pas guérir la société non plus, ce n'est pas leur rôle.»
Antoine Boitel