Rambouillet : le cri du cœur des policiers administratifs sera-t-il entendu ?
Jean Castex a rendu hommage à Stéphanie Monfermé lors d'une cérémonie où la légion d'honneur lui a été décernée à titre posthume, mais la question de l'inégalité de traitement des agents administratifs de la police stagne depuis longtemps.
Après l'attaque revendiquée par Daesh à Magnanville en juin 2016 dans laquelle un policier et un policière administrative (Jessica Schneider) avaient été tués, l'attaque sanglante de la préfecture de police de Paris en octobre 2019 dans laquelle plusieurs policiers dont un administratif (Brice Le Mescam) avaient été assassinés par l'un des leurs qui s'était radicalisé, puis enfin l'attaque islamiste de Rambouillet dans laquelle la policière administrative Stéphanie Monfermé a perdu la vie, la maison police ne peut plus fermer les yeux : les agents administratifs, techniques et scientifiques constituent par assimilation autant des cibles pour les terroristes que les autres policiers.
Et pourtant, ces personnels ne bénéficient pas des mêmes avantages que leurs collègues dits «d'active». Ils n'ont pas de bonification de retraite, ils ont le même statut qu'un bibliothécaire par exemple et surtout ils ne touchent pas de prime de risque. Ils ne sont pas non plus armés (toutefois à en croire le premier syndicat du secteur, ils ne le demandent pas) et ne bénéficient par ailleurs d'aucune formation à l'autodéfense.
Tout au plus les policiers scientifiques sont-ils équipés d'un gilet pare-balles siglé «police» lors de leurs interventions sur le terrain. Même la carte police fait l'objet d'un débat : accordée, puis retirée, avant de leur être rendue en 2011 sous une forme différente de celle de leurs collègues, sans la mention police, mais avec une simple mention du ministère de l'Intérieur.
Hasard du calendrier, la mention police devait revenir prochainement sur la carte, mais l'imprimerie nationale aurait pris du retard à cause de l'épidémie de Covid, confie une source policière à RT France.
Les petites mains en ont ras-le-bol
Cette fois, la coupe est pleine pour certains de ces agents et leurs représentants des corps intermédiaires qui ont décidé de porter plus haut leurs revendications anciennes... mais le relais médiatique fonctionnera-t-il ?
Le 26 avril déjà, FranceInfo avait accordé la parole à Georges Knecht, secrétaire général du Snipat, le syndicat de ces personnels, qui déclarait : «Notre combat est le même depuis des années : on essaie de mettre en lumière la situation de ces personnels de l'ombre, qu'on appelle communément les personnels de soutien. Les personnels administratifs, techniques, scientifiques, sont des gens qui n'ont pas de statut, qui n'ont souvent pas de reconnaissance, qui sont dans l'ombre de la police, mais sans eux la police ne fonctionne pas.»
Jean Castex a en tout état de cause compris l'enjeu opérationnel pour les missions de police et l'enjeu statutaire pour ces personnels, puisqu'il leur a rendu un hommage appuyé lors de la cérémonie en mémoire de Stéphanie Monfermé ce 30 avril à Rambouillet.
Interrogé au téléphone par RT France le 26 avril, Georges Knecht, du Snipat, a souligné le caractère inéluctable de l'attaque pour Stéphanie Monfermé et insisté sur le fait que, selon lui, rien n'aurait pu être évité même si la policière administrative avait porté une arme ou avait été formé à l'autodéfense.
Je suis particulièrement sidéré de l'attitude de certains services au sein du ministère qui ont tout fait pour que nos agents n'obtiennent jamais de primes de risque
Nous évoquions encore le sujet de la sécurité le 14 avril avec la DRH et je les ai envoyés balader tellement leurs propositions n'étaient pas à la hauteur des attentes
Le secrétaire général du Snipat était pourtant amer et en colère : «Cette fois, personne ne peut regarder ailleurs, il n'y a qu'une administrative qui a été tuée et pas de collègue d'active, comme les autres fois. Franchement, je suis écœuré que certains syndicats fassent leur beurre de cette nouvelle affaire [depuis cet entretien, il nous a été indiqué par une autre source du syndicat qu'Alliance et Unsa-Police avaient été exemplaires avec le Snipat au cours de cette semaine d'hommages à Stéphanie Monfermé... contrairement à une troisième famille syndicale de premier plan]. Mais quand j'ai eu le ministre au téléphone le lendemain de l'attaque, je lui ai dit tout ce que j'avais à dire.»
Surtout, Georges Knecht déplore le manque de considération pour ces filières essentielles qu'il défend : «Je suis particulièrement sidéré de l'attitude de certains services au sein du ministère, notamment le secrétariat général et la DRH, qui ont tout fait pour que nos agents n'obtiennent jamais de primes de risque. Cela fait des années que nous disons que nous sommes exposés et ils répondent systématiquement "mais non, mais non"... Nous ne disons pas qu'on aurait pu éviter quoi que ce soit, mais les policiers pourraient au moins être tous logés à la même enseigne, avec des primes de risque équivalentes et les mêmes statuts. Le pire, c'est que nous évoquions encore ces sujets de la sécurité le 14 avril avec la direction des ressources humaines et je les ai envoyés balader tellement leurs propositions n'étaient pas à la hauteur des attentes. Ils ne voulaient surtout rien nous donner de plus que ce qu'ont obtenu les homologues des préfectures.»
Et de rappeler : «Lorsque nous avons été reçus à l'Elysée en octobre [avec les autres syndicats de police], je l'avais déjà dit au président : ce sont les petites mains, les personnels administratifs, techniques et scientifiques qui permettent des résultats en police, ils font tout !»
Au cœur du problème : le rattachement de ces personnels à la direction des ressources humaines du ministère de l'Intérieur depuis 2011. Ce service gérait prioritairement le personnel affecté aux préfectures et pas les policiers qui travaillent au sein des commissariats, d'où le changement de carte, notamment. Le Snipat demande actuellement que ces personnels soient rendus à la direction générale de la police nationale.
Un agent en colère écrit à la porte-parole de la police
Et le secrétaire général du Snipat n'est que le porte-voix d'un grand nombre de ses collègues. Dans un courrier très vif adressé par un agent administratif de la police à la porte-parole de la police nationale après l'attaque de Rambouillet et auquel RT France a eu accès on peut notamment lire : «Madame, en votre qualité de porte-parole de la police nationale vous vous êtes exprimée sur BFM concernant la mort atroce en service d'une fonctionnaire administrative. Je suis demandé si vous ne viviez pas sur une autre planète [...] Vous avez indiqué : les personnels administratifs, on les distingue des personnels actifs, mais ils font partie intégrante de la police nationale. Je souhaiterais donc connaître, dans ces conditions, pourquoi courant 2011/2012, TOUS les personnels administratifs de la police nationale ont été destinataires de nouveaux arrêtés modifiants selon leurs corps l'appellation de la police nationale par "l'Intérieur et l'Outre-Mer" ? Par ailleurs dans la foulée leurs cartes professionnelles siglées POLICE et comportant une bande tricolore ont été changées par un vulgaire bout de papier plastifié d'une grande laideur ne faisant pas mention d'une quelconque appartenance à cette prétendue grande famille policière.»
Et de déplorer : «Une nouvelle fois, après ce troisième assassinat d'une administrative affectée dans un service de police, les délinquants ne voyant pas la différence (contrairement à l'administration) de statut du fonctionnaire qu'ils vont agresser ou tuer, les syndicats policiers [d'active], grands professionnels de la récupération le temps du deuil, vont très certainement demander une nouvelle fois quelques menus avantages ou une amélioration des acquis sociaux pour les actifs y compris ceux planqués dans les bureaux qui continuent à percevoir une prime de risque et une bonification de cinq ans pour départ à la retraite injustifiées, contrairement aux personnels sédentaires que sont les administratifs.»
Les témoignages excédés abondent
Contactée par téléphone, la secrétaire zonale adjointe du Snipat pour le Nord et policière scientifique, Soazig Henrio a expliqué à RT France pourquoi les agents administratifs, techniques et scientifiques ont les mêmes problèmes que leurs collègues : «Moi, par exemple, j'ai dû ordonner à mes gosses de ne dire à personne que maman bossait au commissariat, sauf au prof et aux vrais amis. Ils ne devaient le dire qu'à des gens sûrs. A ce moment-là, c'est qu'il y a un vrai problème. Et la police nationale, elle, ne reconnaît pas la spécificité et la dangerosité de nos métiers. Nous sommes déjà à trois morts en cinq ans. Moi j'aime mon métier, je n'en ai pas honte, mais nous devons penser à la sécurité de nos enfants et à la nôtre.»
Un autre écrit encore dans un message dont nous avons eu connaissance : «Quand va-t-on arrêter de mépriser les personnels administratifs et les prendre pour des larbins ? Combien faudra-t-il de morts chez les administratifs pour qu'ils soient respectés dans les commissariats ? Un drapeau tricolore, peut-être une légion d'honneur sur le cercueil, un discours de compassion bidon d'une ministre [...] et on ferme le ban de l'oubli, écœurant !»
Une autre encore déplore de devoir expliquer à un jeune gardien qui trie les files d'attente à l'accueil d'un centre de formation de la police nationale qu'elle est bien policière malgré sa carte différente, mais en vain, le jeune policier planton l'écarte. Et d'ajouter : «Je travaille au commissariat de XXX depuis maintenant 10 ans, je vous confirme que les gardés à vue et les personnes présentes à l'accueil ne font pas la différence entre un personnel passif (c'est de cette façon que je me présente) et un personnel actif. Il en est de même pour les policiers techniques et scientifiques qui eux, en plus, se déplacent sur le terrain.»
Une autre administrative se lamente également après avoir constaté que sa direction départementale n'avait pas jugé nécessaire d'inscrire comme prioritaires les personnels administratifs, techniques et scientifiques (PATS) pour être vaccinés contre le Covid... à la différence de leurs collègues d'active : «C'est bien connu les PATS ne peuvent pas choper le Covid. Notre hiérarchie a peut-être fait médecine ? J'ai dû faire une intervention syndicale pour qu'il puisse y avoir un rectificatif. C est normal ? Je ne pense pas.»
L'administrative ajoute : «Pour ma part je peux me regarder dans le miroir tous les jours car je travaille environ 10 heures par jour sans jamais noter une heure. [...] Je suis fière malgré tout d'appartenir à la police nationale. Je vais travailler chaque jour avec la même envie, la même assiduité et avec l'envie d'assumer mon rôle de soutien auprès de mes collègues actifs.»
A en croire Georges Knecht, du Snipat, les personnels administratifs, techniques et scientifiques outrés ne manquent pas ces derniers jours de s'exprimer auprès de leurs syndicats de référence. Pourtant une source policière nous fait savoir que les dossiers portés depuis des années dans ce domaine pourraient avancer prochainement avec le soutien de la haute hiérarchie de la police nationale, notamment en ce qui concerne la possibilité pour les agents d'accueil d'obtenir une formation à l'autodéfense et peut-être la prime de risque. La carte de police serait déjà dans les tuyaux mais la demande de rendre les PATS à la direction générale de la police nationale sera-t-elle entendue ?
Il est à gager que le gouvernement saura tenir compte de ce ras-le-bol général dans un secteur qui n'est pas interdit de droit de grève, ni de manifestation, contrairement aux collègues «d'active»...
Antoine Boitel