Dans une note secret défense, le gouvernement s'oppose à la transparence sur les ventes d'armes
Tandis que les ventes d'armement français à des pays comme l'Arabie saoudite ou l'Egypte font l'objet de critiques, l'idée d'un contrôle de ces exportations par le Parlement fait son chemin. Mais la piste ne semble pas ravir l'exécutif...
Le média d'investigation (qui est aussi une ONG) Disclose publie dans un article du 7 décembre les extraits d’une note classée secret défense du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), un service directement rattaché à Matignon. Le document, intitulé «Analyse des 35 propositions du rapport de la mission d’information sur les exportations d’armement Maire-Tabarot» exprime et explique l’opposition du gouvernement à la création d’une commission parlementaire chargée «du contrôle des exportations d’armement».
Une volonté de contrôle qui inquiète l'exécutif
Alors que des polémiques ont éclaté dernièrement autour des ventes d'armes à l'Arabie saoudite, ou plus récemment à l'Egypte, cette proposition figure dans un rapport parlementaire du 18 novembre mené par les députés Jacques Maire (LREM) et Michèle Tabarot (LR), qui expose des manières d’inclure le parlement dans les processus de contrôles des ventes d’armement. Les élus prônent la création d'une commission parlementaire, organe qui «n’interviendrait pas dans le processus d’autorisation des exportations mais contrôlerait, a posteriori, les grands choix de la politique d’exportation de la France».
Un contrôle qui n'enchanterait guère l'exécutif, comme le montre la note du SGDSN transmise au cabinet de la présidence, à celui du Premier ministre Jean Castex, au ministère des Armées, ainsi qu’aux ministères des Affaires étrangères et de l’Economie le 17 novembre, veille de la publication du rapport Maire-Tabarot.
«Sous couvert d’un objectif d’une plus grande transparence et d’un meilleur dialogue entre les pouvoirs exécutif et législatif, l’objectif semble bien de contraindre la politique du gouvernement en matière d’exportation en renforçant le contrôle parlementaire», s'inquiète le SGDSN, appelant à apporter la plus grande attention à cette suggestion de «contrôle a posteriori» de la politique d'exportation d'armements.
Redoutant qu'une trop grande incursion du Parlement puisse «entraîner des effets d’éviction de l’industrie française dans certains pays», la note souligne, toujours selon les extraits relayés par Disclose, qu'une éventuelle commission parlementaire ne devrait «en aucun cas» disposer de suivis précis des transferts d’armement. Il reviendrait au gouvernement de remettre chaque année un rapport au pouvoir législatif, sans indiquer les bénéficiaires ou l’usage prévu des armes.
Argument présenté dans la note du SGDSN : «Cette implication de parlementaires pourrait mener à une fragilisation du principe du secret de la défense nationale […] ainsi que du secret des affaires et du secret lié aux relations diplomatiques avec nos partenaires stratégiques». Ce qui exposerait au risque que les «clients» soient «soumis à une politisation accrue des décisions» nuisible aux affaires et impliquant une «fragilisation de notre crédibilité et de notre capacité à établir des partenariats stratégiques sur le long terme, et donc de notre capacité à exporter».
Adopter une «position ouverte»... mais s'opposer au contrôle
Le SGDSN avance par ailleurs que les élus étant quoi qu’il en soit soumis au «secret défense», il serait inutile qu'ils se penchent de trop près sur le dossier. «Les parlementaires impliqués dans le contrôle des exportations […] ne pourraient pas répondre aux demandes de transparence [et devraient donc être] de facto solidaires des décisions prises».
La note du SGDSN recommande tout de même d’«adopter une position ouverte» sur les propositions de «renforcement de l’information du Parlement»... tout en s'assurant que les «principaux responsables» de l'Assemblée nationale s'opposeront bel et bien à la création d’une délégation parlementaire.
Egypte, Arabie saoudite... des ventes d'armes critiquées
A l'image de ce dialogue à distance entre parlement et exécutif, la question des ventes d'armes de la France et des pays de destination fait régulièrement débat, certains mettant en avant une industrie précieuse et des débouchés commerciaux, les autres s'inquiétant d'une participation à des atteintes aux droits de l'Homme.
Le débat a d'ailleurs ressurgi à l'occasion de la réception par Emmanuel Macron le 7 décembre à Paris de son homologue égyptien Abdel Fattah al-Sissi. «Je ne conditionnerai pas notre coopération en matière de défense, comme en matière économique, à ces désaccords [en matière de droits de l'Homme]», a ainsi affirmé le président français en conférence de presse, se disant néanmoins en faveur d'une «ouverture démocratique» et d'«une société civile active» en Egypte.
Alors que des ONG comme la Fédération internationale des droits humains (FIDH) appellent Paris à mettre un terme aux ventes d'armes et de matériel de surveillance à l'Egypte pour ne pas être «complice de la répression», Emmanuel Macron a jugé «plus efficace d'avoir une politique de dialogue exigeant plutôt qu'une politique de boycott qui viendrait à réduire l'efficacité d'un de nos partenaires dans la lutte contre le terrorisme et pour la stabilité régionale».
Or d'autres éléments vont à l'encontre de cette version officielle de la France, selon laquelle ses armes seraient utilisées principalement dans le cadre de la lutte anti-terroriste. Ainsi, le 15 avril, Disclose, conjointement avec la cellule d'investigation de Radio France, révélait que la coalition armée menée par l'Arabie saoudite aurait fait usage d'armement français pour faire feu au Yémen, «y compris sur des zones civiles».