Présidentielle 2022 : Xavier Bertrand peut-il être un caillou dans la chaussure d'Emmanuel Macron ?
Candidat déclaré à la présidentielle, Xavier Bertrand est crédité de 16% des intentions de vote. Peut-il créer la surprise ? Par son positionnement, l'hypothèse qu'il compromette l'accès d'Emmanuel Macron au second tour est en tout cas plausible.
Parmi les potentielles surprises lors de la présidentielle de 2022, le nom de Xavier Bertrand est régulièrement cité depuis plusieurs mois. Après le renoncement de François Baroin, il a senti un boulevard se créer devant lui. En août dernier, il a ainsi exprimé pour Corse Matin son ambition de se présenter à la présidentielle. Premier politique de la scène nationale à dévoiler aussi rapidement – et de manière répétée – une visée présidentielle, l'actuel président des Hauts-de-France met en branle ses réseaux à droite et au centre-droit depuis plusieurs semaines, cultivant ses contacts, agitant sa famille politique. Dès lors, depuis son départ des Républicains (LR) en 2017, Xavier Bertrand a-t-il soigneusement préparé son retour sur la scène nationale ?
D'aucuns peuvent cependant juger son couloir politique obstrué par la mainmise d'Emmanuel Macron sur le centre de l'échiquier politique. Les sondages lui sont pourtant plutôt flatteurs. Une étude du 4 octobre réalisée par l'Ifop pour le JDD confirme une tendance des dernières enquêtes : l'ancien ministre sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy dépasse la barre des 15%, avec 16% des intentions de vote. Si Emmanuel Macron apparaît stable avec 25 à 26%, nul doute que Xavier Bertrand peut grappiller l'électorat de centre-droit de l'actuel président. En ce sens, le directeur général adjoint de l'Ifop, Frédéric Dabi, précise lors d'une interview pour Le Point : «[Dans] des segments qui votent plus que la moyenne, qui ne sont pas dans une logique d'abstention comme les personnes âgées, les cadres et professions libérales, Xavier Bertrand est devant, voire à quasi-égalité avec Emmanuel Macron.»
Xavier Bertrand, tombeur d'Emmanuel Macron dès le premier tour ? «Tout à fait possible»
Expert en stratégie et communication, Gilles Casanova explique pour RT France qu'Emmanuel Macron, «ayant perdu sa base de gauche pour le premier tour» de la présidentielle, peut se retrouver menacé par Xavier Bertrand qui «occupe l'espace à droite» convoité par le président. Selon Gilles Casanova, si l'accession au second tour de l'ancien secrétaire général de l'UMP «paraît difficile», le fait qu'il soit «tombeur d'Emmanuel Macron» dès le premier, «ça c'est tout à fait possible».
Xavier Bertrand ne ciblerait-il d'ailleurs pas le même électorat qu'Emmanuel Macron ? Il est en tout cas à l'offensive depuis trois ans contre le créateur d'En marche. Le sarkozyste n'hésitant pas au demeurant à confesser publiquement avoir refusé le poste de Premier ministre en mai 2017. Un refus qui paraît même indiquer qu'Edouard Philippe, alors inconnu du grand public, n'était qu'un second choix pour Emmanuel Macron.
Je ne suis pas prêt à oublier mes valeurs et mes idées pour un poste, même pour Matignon. #RTLMatin
— Xavier Bertrand (@xavierbertrand) June 1, 2017
Figure de la droite modérée, libéral, pro-Union européenne, tout en se présentant comme un gaulliste social, Xavier Bertrand cochait en tout cas plusieurs cases intéressantes pour Emmanuel Macron. Une sorte de «en même temps».
Mais cela reste un point faible pour Gilles Casanova : «Le "en même temps", les gens en sont revenus. Le "en même temps" ne va pas passer deux fois.» Pour ainsi dire, Xavier Bertrand doit trouver autre chose pour se démarquer. Le communicant estime en effet que la présidentielle se joue sur «l'émotion» et l'un des points faibles de l'ex-conseiller général de l'Aisne serait, en somme, qu'il n'a pas encore «trouvé le mot qui faisait rêver et qui fait rêver le parti des médias».
D'après l'analyse de Gilles Casanova, «la présidentielle doit vendre du rêve», et le prétendant à l'Elysée fait pour l'instant davantage penser au «président normal» qu'incarnait François Hollande : «Or, François Hollande n'a pas été élu [en 2012] sur ses talents mais a été élu parce qu'il a organisé un référendum contre Nicolas Sarkozy et qu'au dernier moment, il l'a emporté d'un cheveu.» Gilles Casanova argumente en se fiant aux prises de positions de l'élu de l'Aisne sur des sujets émotionnels, comme l'Europe ou les questions sociétales. «Il ne dit rien qui passe la rampe», observe-t-il. «L'élection présidentielle ne se joue pas sur la raison mais sur l'émotion», martèle l'ancien conseiller de Jean-Pierre Chevènement. «Si Xavier Bertrand s'associe avec un groupe d'intellectuels qui lui trouve un vrai propos en phase avec la France d'aujourd'hui, cela peut tout changer», signale-t-il tout de même.
Un ancien partisan de l'austérité, devenu proche du peuple et... anti-austérité ?
Il est certain que Xavier Bertrand entretient une sorte de «clair-obscur» programmatique. Un think tank qu'il a créé, La manufacture, devrait au fil des mois éclaircir son positionnement. Pour l'heure, on connaît peu de choses sur les futures mesures et réformes envisagées pour l'après 2022. En attendant le logiciel précis, il a déjà lancé des pistes. Il s'est par exemple dit favorable à un mandat présidentiel unique de six ans non renouvelable, avec des députés à leur tour élus pour six ans. Il propose aussi d'augmenter progressivement l'âge légal de départ à la retraite (pour atteindre 65 ans à partir de 2034) afin de dégager quelques milliards d'euros pour l'Etat.
Sur l'islamisme et l'immigration, sa position semble ferme, demandant le renvoi de 851 étrangers radicalisés en situation irrégulière en France, tout en menaçant l'arrêt des aides au développement pour les pays d'origine. Il égratigne au passage le projet de loi sur le séparatisme proposé par le locataire de l'Elysée : «[Emmanuel Macron] n'est pas à l'aise sur les sujets régaliens : sécurité, justice, défense ou respect de la laïcité. Il parle de séparatisme parce qu'il a des problèmes à évoquer le communautarisme et l'islamisme.» Dans cette veine, Xavier Bertrand veut «créer de nouvelles sanctions judiciaires pour celles et ceux qui s'en prennent au principe de laïcité et aux valeurs de la République», comme les parents d'élèves ou ceux qui ne respectent pas l'égalité hommes-femmes. Il envisage également de consulter les Français par référendum afin de consacrer le principe de la laïcité «au même niveau que l'égalité, la liberté, la fraternité» dans la Constitution.
Xavier Bertrand s'appuie sur son activité d'élu de terrain, qui fait tant défaut au chef de l'Etat
Dans le domaine économique et social, Xavier Bertrand s'appuie sur son activité d'élu de terrain, qui fait tant défaut au chef de l'Etat. Avec le retour du confinement, il annonce la gratuité des transports aux soignants dans sa région ou prend position pour la réouverture des librairies.
La Région soutient les soignants ! Les TER et cars interurbains sont désormais gratuits en @hautsdefrance pour tous ceux qui travaillent pour notre #santé. Nous leur mettons également à disposition gratuitement des voitures pour qu’ils puissent se rendre sur leur lieu de travail. pic.twitter.com/jfHR7O2fAk
— Xavier Bertrand (@xavierbertrand) November 5, 2020
Dans la continuité, il défend son bilan de président de région, fonction qu'il occupe depuis 2016 : «J'ai fait du travail la priorité : juste avant la crise, le chômage baissait deux fois plus vite que la moyenne nationale. Sur notre mandat, le seul service Proch'emploi aura directement permis le retour à l'activité de près de 20 000 personnes.»
La période Covid et la situation sociale dans sa circonscription lui ont donné de nouvelles occasions de se forger une image d'homme politique proche du peuple. Se voulant «le représentant d'une droite sociale, populaire, capable de rassembler», il est notamment aux avant-postes lors de l'annonce, mi-septembre, de la volonté de Bridgestone de fermer, courant 2021, son usine de Béthune comptant près de 860 salariés. Se rendant sur place le 16 septembre, Xavier Bertrand a même pris des accents syndicalistes. «Une fermeture complète de ce site est un assassinat prémédité», lance-t-il lors d'un point presse, poursuivant qu'il faut «tout faire pour forcer Bridgestone à envisager un autre plan industriel». Outré que des industriels acceptent les aides de l'Etat tout en licenciant, il s'est du reste dit prêt à «un bras de fer», en défendant les salariés : «Les gens ne sont pas des kleenex.»
L'ancien député axonais se serait-il «gauchisé» avec le temps et les mandats locaux ? En pleine première vague épidémique Covid-19, Xavier Bertrand avait même surpris les commentateurs en s'éloignant des logiques idéologiques de sa famille politique. L'exemple en est donné avec son intervention sur BFM TV, le 12 avril : «Si à la sortie de cette crise, la réponse est l’austérité, [ceux qui nous gouvernent] n’ont rien compris du tout. L'austérité et les logiques comptables, c'est quand même ce qui nous a mis dans cette situation-là, notamment pour les enjeux de santé et de production de biens de santé.»
Une prise de position d'autant plus surprenante qu'elle semble aux antipodes de l'image qu'il a pu autrefois donner, en particulier lors de ses passages ministériels. Lui qui a notamment défendu avec vigueur en 2012 la règle d'or budgétaire – autre nom de l'austérité.
J'ai voté le traité européen car la règle d'or est avant tout une règle de bon sens.
— Xavier Bertrand (@xavierbertrand) October 9, 2012
A la tête de la Santé en 2005, n'a-t-il pas également contribué au démantèlement de l'hôpital public et à la baisse du nombre de lits ? Si lui s'en défend, d'aucuns voyaient déjà là une forme d'austérité dans le domaine la santé.
En 2010, ministre du Travail et de la Santé, il appuie la création des Agences régionales de santé (ARS), si critiquées aujourd'hui avec la crise sanitaire. Effectivement, les ARS sont souvent vues comme des institutions bureaucratiques qui donnent la priorité aux objectifs économiques. Il convient de noter que Xavier Bertrand a fait une sorte de mea culpa devant les professionnels de la santé, le 27 septembre 2019, jugeant que ces ARS, «ça n'a pas marché et ça ne marche pas». Il étrille le même jour la réforme santé de 2009 (menée par Roselyne Bachelot) dont sont justement issues les ARS, avec la prédominance du «tout administratif». Une réforme qu'il ne remettra toutefois pas en cause en tant que ministre...
Parmi ses autres faits d'armes en tant que ministre, dans la droite ligne de l'austérité : la réforme de l'Assurance maladie en 2004, visant à ramener à l'équilibre le budget de la Sécurité sociale ; sa décision d'acter le déremboursement et un remboursement moindre de certains médicaments ; son projet en 2007 visant à mettre fin aux régimes spéciaux de retraite et à augmenter la durée de cotisation... En outre, après la crise de 2008, son soutien à la politique de rigueur est sans faille, acceptant uniquement de discuter avec les syndicats du plan d'économies liées aux dépenses de la Santé.
Après la fin de ses activités gouvernementales en 2012, Xavier Bertrand maintient ces positions. Pas surprenant donc qu'en 2016, celui-ci choisisse de soutenir François Fillon dont le programme économique suggère une austérité sans fard.
Xavier Bertrand devra vraisemblablement assumer une orientation entre la fibre sociale et la logique austère comme choisir entre les coupes budgétaires au sein de la santé (qu'il a soutenues) et l'investissement dans ce secteur (qu'il demande désormais). Par son action au sein de la région, le Xavier Bertrand austère semble s'effacer médiatiquement.
«Il est apprécié dans sa région et à Saint-Quentin qui est à la fois une ville populaire et qui a une petite élite bourgeoise», confirme Gilles Casanova, qui pense, par ailleurs, que Xavier Bertrand progresse parce qu'il «n'est pas un politicien du sérail, ni un modèle classique de l'étudiant de Sciences Po, qui devient assistant parlementaire puis parlementaire». «C'est un assureur, c'est-à-dire quelqu'un qui a un métier, qui connaît les vrais gens, et sait leur parler», prévient l'expert en communication.
Xavier Bertrand, recours pour Les Républicains ?
Est-ce pour cela que certains membres des Républicains lui tendent la main ? Au sein du parti, certains l'envisagent peut-être comme la seule option pour relever la tête après la débâcle de 2017 et des européennes de 2019. L'espoir de miser sur la carte conservatrice avec François-Xavier Bellamy a en effet fait pschitt en 2019. Si le sénateur Bruno Retailleau espère ressortir cette carte, au sein même de LR, deux figures-clés n'excluent pas une candidature Bertrand pour la droite, vraisemblablement perçue comme moins clivante et plus consensuelle. C'est le cas du président des Républicains Christian Jacob, qui considère sur Europe 1 que l'ancien maire de Saint-Quentin «n'est pas si éloigné que ça» de son ancien parti. De même, le chef de file des députés LR Damien Abad assure sur France 5 que Xavier Betrand «n'a pas quitté sa famille politique dans le sens où il appartient toujours au même courant politique».
Et si Xavier Bertrand mise sur le terrain pour asseoir sa légitimité, il suscite malgré tout des méfiances dans son ancien camp. «Il a choisi le concret, mais ça ne donne pas une vision», tempère auprès du Parisien le député LR et gaulliste Julien Aubert. Pour ce même quotidien, un des proches de Xavier Bertrand avertit qu'il «va devoir clarifier où il place le curseur sur le souverainisme et l'identité» et qu'«affiner sa vision intellectuelle fait partie de ses défis».
Pendant ce temps, Xavier Bertrand semble poursuivre le travail sur sa fibre sociale. Selon le JDD, il s'entretiendrait régulièrement avec «des personnalités de gauche» comme l'ancien secrétaire général de Force ouvrière Jean-Claude Mailly, Jean-Pierre Chevènement ou... Arnaud Montebourg, lui-même probablement dans les starting blocks pour 2022. La présidentielle marquera peut-être la consécration des politiques hors partis.
Bastien Gouly