Procès de Charlie Hebdo : les premiers témoignages des rescapés entre hommages et effroi
- Avec AFP
Ils avaient assisté à la tuerie de Charlie Hebdo : la Cour d'assises spéciale de Paris a entendu, le 8 septembre, les premiers témoignages des rescapés, parties civiles au procès des attentats islamistes de janvier 2015.
Les auditions des témoins de l'attaque dans les locaux du journal satirique Charlie Hebdo ont commencé le 8 septembre à la Cour d'assises spéciale de Paris. Après celles des parties civiles en lien avec la première victime des attentats, Frédéric Boisseau, les auditions ont continué avec celle de la dessinatrice de Charlie Hebdo, Corinne Rey, dite «Coco».
Jérémy Ganz, proche de l'agent de maintenance Frédéric Boisseau, a rendu devant la Cour d'assises spéciale de Paris un long hommage à ce «père de famille» tué alors qu'il n'avait «rien demandé à personne».
On a parlé des heures et des heures des pauvres dessinateurs et c’est normal. Mais jamais de Frédo. C’est un être humain
«J’en ai énormément voulu aux médias. [...] Au début, Frédo n’a pas été cité. On travaille dans la maintenance, pas de problème. Il n’y a pas de sot métier. On a parlé des heures et des heures des pauvres dessinateurs et c’est normal. Mais jamais de Frédo. C’est un être humain», s'insurge l'agent de maintenant dans des propos retranscris sur Twitter par le journaliste de Mediapart, Matthieu Suc.
« J’en ai énormément voulu aux médias. (...) Au début, Frédo n’a pas été cité. On travaille dans la maintenance, pas de problème. Il n’y a pas de sot métier. On a parlé des heures et des heures des pauvres dessinateurs et c’est normal. Mais jamais de Frédo. C’est un être humain.
— Matthieu Suc (@MatthieuSuc) September 8, 2020
Employé de la société Sodexo, Frédéric Boisseau, 42 ans, se trouvait dans le hall de l'immeuble où le journal satirique avait son siège quand les frères Chérif et Saïd Kouachi ont débarqué, hurlant et surarmés, le 7 janvier 2015. Incapable de répondre à la question «c'est où Charlie ?», il a été abattu dans la loge du gardien. Il est décédé dans les bras de son collègue, Jérémy Ganz, pendant que la tuerie se poursuivait dans les locaux de la rédaction. Interrogé sur le déroulé de la scène, Jérémy Ganz a raconté d'une voix calme le «coup de feu», «l'odeur de poudre» et la violence de l'attaque, avec de nombreux détails sinistres.
«Il y avait une flaque de sang qui commençait à prendre une place phénoménale [...] J'étais en état de choc, mes mains étaient pleines de sang. Je n'arrivais pas à déverrouiller le téléphone», a relaté le trentenaire comme le rapporte l'AFP. C'est finalement dans les toilettes de la loge, où il avait trouvé refuge avec lui, que Frédéric Boisseau est décédé. «J'ai pris Frédo dans mes bras, bizarre comme réaction mais voilà, je l'ai pris dans mes bras et je l'ai serré fort», a raconté Jérémy Ganz. Au même moment, les coups de feu se multiplient à Charlie Hebdo, par «petites rafales». «Ensuite, je me souviens qu'il y a eu un silence total, total mais angoissant», relate le témoin.
«J'ai pensé mourir exécutée»
Autre moment fort des auditions du 8 septembre : le témoignage de la dessinatrice Coco, présente sur les lieux au moment de la tuerie. Ce 7 janvier 2015, elle avait quitté la conférence de rédaction hebdomadaire pour descendre «fumer une cigarette» quand les «deux terroristes [...] ont surgi du couloir en appelant Coco, Coco», a-t-elle raconté devant la cour d'assises spéciale de Paris. Braquée par Chérif et Saïd Kouachi, «deux hommes forts, armés jusqu'aux dents» qui lui disaient «on veut Charlie Hebdo, on veut Charb», elle les conduit jusqu'à l'entrée de la rédaction, se trompant d'abord d'étage.
«J'ai pensé mourir exécutée ici», a déclaré Coco, la voix brisée d'émotion à la barre. «J'étais dévastée, j'ai eu une pensée fulgurante pour ma petite fille, j'étais comme dépossédée de moi, j'arrivais plus à rien. J'ai avancé vers le code et je l'ai tapé», a expliqué la dessinatrice, qui travaille toujours à Charlie Hebdo.
«Je sentais que les terroristes approchaient de leur but, je sentais une excitation à côté de moi. On m'a poussée à l'intérieur de la rédaction, j'ai avancé comme un automate», a-t-elle poursuivi. Elle s'était ensuite réfugiée sous un bureau, d'où elle «entendait ce qui se passait, entendait les tirs». «Après les tirs, il y a eu un silence, un silence de mort», a raconté Corinne Rey avant d'ajouter : «Je me suis sentie impuissante. C'est l'impuissance qui est le plus dur à porter dans ce qui s'est passé. Et je me suis sentie coupable. Mais les seuls coupables, ce sont les terroristes islamistes. Les frères Kouachi et ceux qui les ont aidés.»
L'attaque dans les locaux de Charlie Hebdo a fait dix victimes, dont les caricaturistes Charb, Cabu et Wolinski. Les auditions des rescapés, moment fort de ce procès historique, doivent se poursuivre le 9 septembre. Quatorze personnes sont poursuivies devant la Cour d'assises pour leur soutien logistique aux auteurs des attentats contre Charlie Hebdo, une policière de Montrouge et le magasin Hyper Cacher. Trois d'entre elles sont jugées par défaut.