Le gouvernement lâche-t-il sa police ? Policiers de terrain et organisations syndicales en colère

Le gouvernement lâche-t-il sa police ? Policiers de terrain et organisations syndicales en colère© Ludovic MARIN Source: AFP
enquête
Christophe Castaner lors d'une visite à Evry sur le thème des relations entre police et citoyenneté le 9 juin (image d'illustration).
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Après les différentes annonces du gouvernement et surtout du ministre de l'Intérieur concernant les questions du racisme et de la violence au sein des forces de sécurité intérieure, certains policiers s'estiment lâchés par le gouvernement.

Après des mois de contestation sociale par les Gilets jaunes, puis une relève du mouvement social par les syndicats et les manifestants opposés à la réforme des retraites, le gouvernement français a-t-il finalement cédé à la pression en abandonnant ses policiers et ses gendarmes accusés par une frange de la population de racisme et de violence ? Selon certains policiers et responsables syndicaux interrogés par RT France, il s'agit à présent d'un sentiment partagé dans la police nationale : Christophe Castaner aurait lâché ses flics. «Nous sommes carrément lâchés et livrés en pâture», nous a même assuré un agent de la police nationale.

«Soupçon avéré» : l'expression qui ne passe pas

Après plusieurs manifestations de soutien à la famille Traoré et les accusations de racisme et de violences dont des policiers et gendarmes se seraient rendus coupables, les dernières déclarations du patron de Beauvau ont été manifestement mal vécues par une grande partie des policiers : le terme de «soupçon avéré» concernant les expressions racistes employées par certains fonctionnaires a particulièrement fait tiquer les policiers.

Ceux que RT France a pu interroger ces derniers jours ont aussi fait remonter le sentiment d'une méconnaissance de Christophe Castaner vis-à-vis de sa fonction, du droit et du monde policier.

Par ailleurs, les policiers reprochent au ministre de l'Intérieur la position qu'il a prise à propos des manifestations interdites pour raisons sanitaires, mais tolérées consécutivement à la mort de George Floyd aux Etats-Unis.

Le secrétaire général du syndicat Alternative police, Denis Jacob, a ainsi répondu à la question que lui posait RT France au téléphone, «le gouvernement a-t-il lâché ses policiers ?» : «Si ce n'est pas le cas... cela y ressemble fortement !»

Nous sommes carrément livrés en pâture

Et le policier militant de préciser : «On ne peut pas passer d'un extrême à l'autre. Il ne faut pas nier le racisme et les violences policières, évidemment, mais les mesures qui sont prises actuellement ressemblent à une généralisation et les policiers sont très en colère, c'est la goutte d'eau pour nous et la révolte n'est pas loin ! Nous nous trouvons dans le même schéma qu'en 2016 [lorsque des policiers ont manifesté dans la rue pour exprimer leur colère]. A présent, cela peut prendre plusieurs formes, mais je crois que les policiers vont avoir à cœur de démontrer que si l'institution ne tourne plus, la lutte contre la délinquance va s'arrêter.»

Des rapports de police lacunaires pour dénoncer les conditions de travail

Dont acte ! Certains policiers facétieux ont déjà commencé à rendre des rapports faisant état d'une «conjoncture actuelle nationale» selon laquelle il vaudrait mieux laisser un individu continuer à les «insulter copieusement lors du contrôle» plutôt que de l'interpeller pour outrage. Avant de conclure le rapport par une provocation amusée à l'administration : «Remettons l'individu en circulation sur son vélo, le saluons poliment et lui souhaitons une bonne fin de journée. Pas d'interpellation afin d'éviter toute éventuelle émeute ou accusation future de racisme.»

Même retour d'un ancien policier qui continue de prendre des nouvelles de ses collègues et qui a confié à RT France : «Les gars dans certains commissariats ne veulent plus interpeller de personnes noires, c'est aussi simple que ça. Ils ne veulent pas servir de fusibles. Ils ne se sentent pas du tout soutenus par ce gouvernement.»

Dans une autre vidéo qui circule dans le milieu policier et que RT France a pu visionner, on voit un policier affecté en brigade anticriminalité en Ile-de-France filmé à l'intérieur d'un véhicule qui fait son rapport à la radio et annonce, pendant que le générique des Bisounours retentit dans l'habitacle : «Contrairement aux allégations choquantes de votre requérante, nous n'avons vu aucun individu avec une barre de fer dans un lieu où tout n'est que paix et amour. Nous avons fait attention à rouler très gentiment à cet endroit afin de ne pas effrayer ces petits êtres de ce monde magique, fin de transmission», rapporte le policier. Ce rapport humoristique a bientôt été diffusé sur les réseaux sociaux.

Une évolution des techniques... mais vers quoi ?

Au-delà du sujet des violences policières et du supposé racisme au sein de l'institution, celui de la technique même d'interpellation a directement été remis en cause par le ministre de l'Intérieur dans son allocution à la presse, le 8 juin. Il a notamment annoncé la fin de la clef d'étranglement et, presque dans la foulée, une information non confirmée a fuité dans les médias : le pistolet à impulsion électrique pourrait effectuer son retour dans la dotation du policier et du gendarme... Une annonce que Christophe Castaner aurait apparemment voulu garder pour les organisations syndicales les 11 et 12 juin.

Or Emmanuel Macron a de nouveau pris la parole à ce sujet ce 10 juin et a fustigé, selon des propos rapportés par Sibeth Ndiaye, «le racisme et la discrimination, ce fléau qui est une trahison de l'universalisme républicain», tout en cherchant, selon cette même source citée par l'AFP, à défendre les forces de l'ordre «dont l'écrasante majorité ne saurait être salie.» Surtout, la porte-parole a souligné que c'était bien le président de la République qui avait «appelé à la modernisation des techniques d'interpellation et d'intervention alors que nous connaissons un contexte de tensions fortes.»

On nous retire une technique de self-défense pour nous redonner des Tasers qui ont été étiquetés comme dangereux... Nous n'y comprenons rien. Ils vont interdire le judo aussi ?

Une déclaration qui pourrait confirmer ce que craignaient certains policiers interrogés par RT France : la pression médiatique aurait poussé à une décision sur les techniques d'interpellation et cela «sans consultation préalable» avec les organisations syndicales, tel que le résume par exemple Christophe Canon, délégué zonal Hauts-de-France CRS pour l'Unsa Police. Et de déplorer : «Le sentiment que nous avons en tant que policiers, c'est que Beauvau travaille à l'envers. Le ministre fait des annonces qu'on découvre dans la presse.»

Contacté par RT France, un responsable du syndicat de police technique et scientifique, lâche, laconique : «On ne comprend pas les déclarations du ministre de l'Intérieur qui semble, d'une part, manquer de culture policière et, d'autre part, sortir des déclarations pour faire plaisir à la population sur l'instant dans l'émotion.»

En l'occurrence, certains policiers et gendarmes ont peut-être été surpris de découvrir dans les colonnes du journal Le Parisien, notamment que le fameux «Taser» de la société américaine Axon pourrait potentiellement revenir sur le devant de la scène tandis que la prise de cou allait disparaître... Selon les appels d'offres et la politique d'achat qui suivront éventuellement au niveau du ministère.

Un policier interrogé a ainsi expliqué sa position vis-à-vis de cette valse hésitation : «On nous retire une technique de self-défense pour nous redonner des Tasers qui ont été étiquetés comme dangereux... Nous n'y comprenons rien. Ils vont interdire le judo aussi ? Parce qu'en théorie, c'est tout aussi dangereux. Il s'agit seulement d'une technique d'"amener au sol" et qui n'est pas censée durer longtemps. Mais quand un récalcitrant refuse le contrôle, nous n'avons pas le choix, il faut l'amener au sol pour le menotter bien souvent.»

Ce même fonctionnaire préférant préserver son anonymat estime que Christophe Castaner fait preuve de «clientélisme» en vue des élections municipales...

Une autre policière juge même, pour sa part, que «c'est la prochaine campagne présidentielle qui se prépare» pour le président sortant. Cette dernière ajoute : «Christophe Castaner réagit à l'émotion, ce n'est pas une décision intelligente, on va dans le mur et on appuie sur l'accélérateur. Il ne connaît pas ses dossiers et devrait quitter ce poste. Retirer des moyens d'agir aux flics, c'est comme faire un gratin sans patates et les remplacer par des fraises...» Et de résumer : «Le ministre devrait se faire conseiller par de vrais policiers, ça ne lui ferait pas de mal.»

L'autre fonctionnaire anonyme, lui, s'inquiète aussi du matériel : «Encore faut-il que les pistolets à impulsion électrique soient de bonne qualité. Il ne faut pas qu'ils soient sous-dimensionnés, avec un effet nul, ni que la charge ne tienne pas... Ni qu'on ne puisse l'utiliser qu'une seule fois sans le recharger !»

Castaner doit-il partir ?

Interrogé par RT France, Jean-Pierre Colombies, ancien commandant de police et porte-parole de l'association de policiers en colère UPNI, a déploré : «Je l'ai dit à de nombreuses reprises dans la presse et sur les plateaux de télévision depuis des mois, nous paierons un jour cette opposition qui a été orchestrée entre policiers et citoyens.»

L'ancien policier syndicaliste ajoute un grain de sel iconoclaste à son propos : «Castaner ne lâche même pas les flics, c'est une pièce de théâtre syndical. Mais je retiens surtout que ce ministre parle de "soupçon avéré" et propose de réformer les organes d'inspection. Au-delà du caractère antinomique du terme, je rappelle qu'il existe déjà une procédure administrative en cas de constat d'un comportement non conforme. Il suffirait d'appliquer le code de déontologie des années 1980. A l'époque de Mitterrand, on nous le donnait à notre arrivée dans la police nationale et nous devions l'avoir sur nous en permanence, en théorie. Il y avait même une carte plastifiée qu'on gardait dans la poche.»

Le ministre devrait se faire conseiller par de vrais policiers, ça ne lui ferait pas de mal

Et de déplorer, au nom de ses collègues encore en service : «Castaner stigmatise et jette le doute sur l'institution police et il parle de symboles chez Bourdin après avoir lui-même contribué à cette extrême tension sociale... S'il veut décrisper la situation, qu'il démissionne ! Le vrai geste qu'attendent les gens, c'est ça. Sur l'affaire Traoré, ce n'est pas la peine de nous jouer les bourgeois de Calais qui viennent faire amende honorable avec la corde au cou. On ne joue pas l'apaisement après avoir mis le feu à la citoyenneté pendant toute la crise des Gilets jaunes.»

Le sentiment du malaise est partagé par le premier policier anonyme interrogé ci-dessus : «Le ministre est en train de donner raison à la vermine, alors que le problème vient bien des personnes qui résistent à une interpellation au départ, il ne faudrait pas l'oublier ! C'est l'opinion d'une frange très limitée de la population qui l'a emporté sur la raison, en réalité, et c'est ça qui nous dérange en tant que policiers. Ceux qui font de la merde doivent être écartés, aucun souci, mais il faut d'abord que la simple présence policière ne soit plus vécue comme une défiance dans certaines zones. On donne actuellement raison à des gens qui ne croient pas à la simple notion de mission de police. Et nous nous sentons abandonnés.»

Les différents policiers de terrain, porte-parole associatif et responsables syndicaux interrogés ont tous déploré les dernières déclarations de Christophe Castaner, certains appelant jusqu'à sa démission. Le ministre saura-t-il raccommoder ses rapports avec les partenaires sociaux lors des rencontres prévues les 11 et 12 juin à Beauvau ? Parallèlement à cette nouvelle discussion musclée, une petite musique sur un air de remaniement s'est faite entendre au cours des dernières semaines et a culminé avec la publication par l'hebdomadaire Marianne des conseils du chef de groupe majoritaire de l'Assemblée nationale, Gilles Le Gendre à Emmanuel Macron. Dans ce courrier qui lui est attribué, le fidèle marcheur suggérait au président de la République de remplacer Christophe Castaner par Jean-Yves Le Drian lors du prochain mercato ministériel. Christophe Castaner, selon ce scénario éventé aurait été destiné au ministère des Armées, de l'hôtel de Beauvau à l'hôtel de Brienne, en somme. Mais comme le soulignait un policier au téléphone : «In fine, on n'en saura rien avant, c'est toujours le PR [président de la République] qui décide de tout, on le voit bien.»

Antoine Boitel

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