Municipales : La République en marche piégée par le tohu-bohu de ses alliances
LREM a soutenu des candidats PS ou LR, est partie seule ou a même parfois renié son appui du premier tour. En manque d'implantation locale, sa stratégie a surtout été du bricolage, brouillant par là même la cohérence idéologique du parti.
La République en marche (LREM) est-elle le caméléon ou la girouette des élections municipales du 15 mars et 28 juin ? A regarder sa stratégie politique, le parti macronien a fait honneur à la pensée complexe de son leader. Faute d'ancrage politique fort au niveau local, LREM a en effet mélangé tout type de stratégie. En somme, cela peut s'apparenter à une continuité par rapport à la campagne 2017 avec une forme de mépris pour l'ancien monde et le clivage gauche/droite. L'ironie est que cette quête de partenaires politiques de tous bords s'est quelquefois faite sous la bénédiction des partis de... l'ancien monde, bienheureux ainsi de ne pas avoir un adversaire de plus dans certaines villes.
J'assume totalement de travailler avec des personnalités progressistes
Pour justifier le choix de s'allier tantôt avec le Parti socialiste, tantôt avec Les Républicains (LR), tantôt avec le MoDem, le délégué général de LREM et député, Stanislas Guerini, a déclaré sur LCI le 7 juin : «Nous avons fait un tiers d'alliances avec des personnalités venues de la gauche, deux tiers avec des personnalités venues de la droite [...] J'assume totalement de travailler avec des personnalités progressistes [...] Nous faisons les choses en cohérence.»
Concernant les LR, le patron du parti LREM dit d'ailleurs refuser toute opposition ou alliance systématique avec cette droite, fracturée, selon lui, «entre une droite libérale, européenne» – qui serait de fait macron-compatible – «et une droite plutôt souverainiste, [...], qui a parfois la nostalgie de la Manif pour tous».
Ainsi, à Lyon, si La République en marche a investi l'un des premiers marcheurs, le maire sortant Gérard Collomb, pour le premier tour des élections métropolitaines, lorsque celui-ci s'est ensuite allié avec Les Républicains pour battre Europe Ecologie Les Verts au second, LREM a décidé de retirer l'investiture aux équipes du baron lyonnais. «Cette alliance-là, faite dans le bureau de Laurent Wauquiez, je ne l'approuvais pas [...] Je pense qu'il faut de la clarté [...] Avec cette droite-là, y compris au niveau local, il est difficile de travailler parce que sinon, nous perdrions nos valeurs, notre cohérence politique», explique Stanislas Guerini à ce sujet.
Unions politiques : LREM, entre promesse vertueuse et infidélité dans l'acte
Cette clarté et cohérence sont néanmoins difficiles à saisir. Car à regarder de plus près, LREM a été infidèle, en privilégiant des unions ou des soutiens à des maires qui appartiennent à des sensibilités qu'ils semblent honnir dans leurs propres discours. A Sartrouville (Yvelines) par exemple, La République en marche a apporté son appui au maire LR sortant Pierre Fond, en poste depuis 1995, soutien de François Fillon en 2017 et... pourfendeur public du mariage pour tous.
Les exemples sont en fait nombreux, même si certains de ces candidats de droite ont depuis renié leurs anciennes positions : est-ce par opportunisme politique pour s'attirer les faveurs de LREM ? Les macronistes n'ont eu effectivement aucun problème à investir des LR ou ex-LR, proches de la Manif pour tous, à l'instar d'Aurélie Taquillain à Courbevoie (Hauts-de-Seine) qui a manifesté en 2014 et fustigé la candidature d'Emmanuel Macron en 2017. Egalement soutien de la Manif pour tous, le maire sortant et favori des échéances à Toulouse (Haute-Garonne), Jean-Luc Moudenc, a été soutenu par LREM... tout comme Yvan Lachaud à Nîmes (Gard) qui présente l'originalité de venir à la fois du centrisme et d'avoir été opposé à l'institution du mariage pour les couples de même sexe.
Si lui assure ne rien avoir demandé à LREM, le maire de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), Patrick Ollier, a tout autant reçu l'appui officiel du parti de la majorité présidentielle alors qu'il a voté contre le mariage pour tous en 2013, et a lui-même manifesté, au côté de... Laurent Wauquiez.
Manif pour tous : pour defendre les droits de l enfant pic.twitter.com/mBe29EIvpG
— Patrick OLLIER (@patrick_ollier) May 26, 2013
Patrick Ollier a en outre soutenu le président de la Région Auvergne Rhône-Alpes en 2017, lors de l'élection pour la présidence LR. Stanislas Guerini semble donc moins intransigeant du côté de Rueil-Malmaison et d'autres villes, que de Lyon... Est-ce parce que Rueil et ces municipalités étaient des villes ingagnables pour la macronie si elle se présentait seule ? Pour la plupart d'entre elles, comme Sartrouville, Rueil ou Toulouse, c'est indéniable.
Du côté de Lyon – comme à Paris – la candidature LREM, en l'occurrence celle de Gérard Collomb, a subi une gifle. Ce qui devait s'apparenter à une vitrine médiatique pour les macronistes a tourné électoralement au fiasco. Alors autant se désolidariser... Ce retrait d'investiture du maire de Lyon par LREM a malgré tout été fortement critiqué par le président du MoDem – allié gouvernemental de LREM – François Bayrou, le jugeant «brutal et infondé».
La conduite politique de LREM peut d'autant plus surprendre que dans des localités, malgré la présence certaine d'élus sortants LR, centristes, libéraux et pro-européens comme candidats aux municipales, La République en marche a refusé un soutien dès le premier tour. Le cas le plus flagrant est celui de Bordeaux (Gironde) où le maire sortant, le juppéiste Nicolas Florian, soutenu par une majorité de partis centristes dont le MoDem, a dû affronter un candidat macroniste, Thomas Cazenave. Celui-ci a subi une déculotté avec seulement 12,79% des voix, loin derrière l'édile (34,55%).
La stratégie est aussi floue idéologiquement quant au soutien ou non de La République en marche aux candidats socialistes. Clairement, ici, il s'agit davantage d'un soutien vers les favoris. Quelques maires sortants PS qui se sont fait élire depuis plusieurs mandats ont reçu le soutien de LREM. Le parti n'a pas tenté la confrontation et a ainsi préféré soutenir une candidature imperdable. Est-ce pour récupérer politiquement ensuite les fruits de la victoire ?
Au Creusot (Saône-et-Loire), le maire sortant PS David Marti a par ce fait été réélu avec 59,7% des voix. A Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), le socialiste Olivier Klein a perdu l'investiture du PS après avoir reçu le soutien de LREM, ce qui ne l'a pas empêché de remporter une nouvelle victoire avec 64,6%, prolongeant ainsi un mandat amorcé en 2011. Mais, parfois, le soutien LREM a peut-être davantage agi comme un poids, et été la cause de l'échec.
LREM est allée jusqu'à une alliance avec «les vieux partis», en défiant en même temps son allié du MoDem
A Trappes (Yvelines), Guy Malandain prétendait ainsi à un cinquième mandat. Après le premier tour, il se retrouve à la troisième place avec 27,1% des voix, devancé notamment par des élus de gauche dissidents, menés par l'ex-adjoint Ali Rabeh (37,3%). A certains endroits, comme à Trappes, LREM a curieusement préféré soutenir une candidature socialiste quitte à affronter le MoDem ou des LR macron-compatibles.
Marseille (Bouches-du-Rhône ), Dijon (Côte-d'Or), Reims (Marne) ou encore Saint-Etienne (Loire), sont quant à elles quatre villes emblématiques où La République en marche est partie quasi-seule, en refusant une alliance avec l'ami politique MoDem. Pourquoi LREM n'a-t-elle pas choisi, dans ces cas, un front «libéral, européen» – pour reprendre les termes de Stanislas Guerini ?
Dans ces quatre cas, LREM a subi des revers cinglants, n'atteignant pas les 10%. A l'heure où nous écrivons ces lignes, dans ces quatre communes, La République en marche n'appuie, pour le second tour, aucune candidature défendue par le MoDem.
Si, électoralement, LREM a globalement été en déroute pour ces municipales, son jeu d'alliances n'aura fait apparaître aucun cap idéologique clair, ni stratégie logique. Une méthode brumeuse qui a atteint son paroxysme lorsque le logiciel macronien se met à totalement buguer.
Après le premier tour à Nîmes, cinq listes sont en effet arrivées à plus de 10%, avec pour premier de la classe, le maire sortant LR, Jean-Paul Fournier (34,34%). Si alliance devait y avoir, la logique aurait voulu qu'elle se tourne entre le centriste Yvan Lachaud (soutenu par LREM, ancien premier adjoint de Jean-Paul Fournier) arrivé deuxième (15,73%) et Jean-Paul Fournier. Avant une brouille en 2017, les deux hommes étaient alliés depuis 2001, soit sur trois mandats. Bien décidé d'en découdre face au premier magistrat nîmois, Yvan Lachaud est finalement allé dénicher une alliance pour le second tour avec la liste conduite par l'écologiste Daniel Richard (cinquième avec 12,19%), dont font partie des membres d'Europe Ecologie Les Verts, du PS et... des insoumis. Ces trois partis ont néanmoins dénoncé cet accord, évoquant une «trahison», Daniel Richard ayant martelé durant la campagne qu'aucune alliance avec LREM n'était possible. Le LREM dissident (5,65%), David Tebib, qui avait été provisoirement investi par le parti – LREM s'étant finalement tourné vers Yvan Lachaud – a pour sa part décidé de promouvoir la candidature du LR Jean-Paul Fournier.
A Vénissieux et Perpignan, des marcheurs s'acoquinent avec un pro-Erdogan et... le Rassemblement national
La situation à Vénissieux (ville en périphérie de Lyon), se révèle également confuse pour les macronistes. Administrée depuis 1944 par le Parti communiste, le candidat LREM Yves Blein, arrivé deuxième avec 21,14%, a cherché tout accord pouvant renverser la maire actuelle Michèle Picard (28,38%), en fonction depuis 2009. Mais Yves Blein ne s'est pas allié avec le divers droite Christophe Girard (14,33%), ni la postulante EELV Sandrine Perrier 10,28%. Il a préféré fusionné sa liste avec celle de l'indépendant Yalcin Ayvali (5,14%), connu pour ses positions pro-Erdogan. Comme le rappelle Lyon Mag, lors des législatives de 2017, Yalcin Ayvali s'était d'ailleurs présenté sous les couleurs du «parti Egalité et Justice, pro-Erdogan et critiqué pour son conservatisme religieux sur fond d’islamisme». Une entente qui a fait débat au sein de LREM mais qui a été officiellement validée par les instances du parti. Etre pro-Erdogan ne semble donc pas aller contre le progressisme tant vanté par Stanislas Guerini.
La possibilité de désinvestir le député a animé la réunion du bureau exécutif de LREM, lundi soir. Débat d’1h30 sur le sujet, suivi d’un vote très partagé. À 10 voix contre 9, les dirigeants du parti ont finalement décidé de maintenir leur soutien https://t.co/vksj3zl3Bb
— Mathilde Siraud (@Mathilde_Sd) June 9, 2020
A Perpignan (Pyrénées-Orientales), la République en marche a également tout pour être embarrassée. La défaite du candidat LREM Romain Grau (quatrième, avec 13,17% des voix), l'a poussé à se retirer pour façonner un «front républicain» en faveur du LR Jean-Marc Pujol (deuxième, 18,43%) contre le candidat du Rassemblement national (RN) arrivé en tête, Louis Aliot (35,65%). Sauf que trois colistières (dont le numéro 3) de Romain Grau ont refusé cette tambouille et sont allés jusqu'à donner publiquement leur soutien au candidat du... RN.
A en marcher sur la tête...
Bastien Gouly