Niveau de vie, libre-échange, agri-bashing : tout comprendre sur la colère des agriculteurs

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Des centaines d'agriculteurs ont manifesté à Paris ce mercredi 27 novembre. Entre baisse de leur niveau de vie et accords de libre-échange, les raisons de leur colère sont nombreuses. Reportage.

Plus de mille tracteurs ont bloqué le périphérique parisien ce mercredi 27 novembre 2019, alors que se tenait également une manifestation de paysans avenue Foch (Paris 16e) et sur les Champs-Elysées (Paris 8e). 

Les revendications des agriculteurs étaient nombreuses, tant leur condition semble s'être considérablement dégradée au fil des années. En France, 605 agriculteurs se sont suicidés en 2015, soit près de deux chaque jour, un chiffre révélé par France info. De 514 000 en 2008, le nombre d'exploitants agricoles est passé à 448 500 en 2018, selon les chiffres de la MSA cités par Le Dauphiné. Suite aux intempéries dans le Var, près de 200 agriculteurs ont vu leur exploitation inondée.

Entre «agri-bashing» et «scandale des accords de libre-échange», le crépuscule de l'agriculture française ?

Le jour de la manifestation, RT France est allé à la rencontre des agriculteurs afin de comprendre leurs revendications. Sur l'avenue Foch, Régis Chopin, cultivateur de pommes et de céréales dans l'Eure, et trésorier de la FNSEA Grand Bassin Parisien, exhorte le gouvernement à «prendre des mesures sérieuses contre l'agri-bashing». Il appelle également, à «respecter le monde agricole», ainsi qu'à renforcer l'Observatoire de contrôle des prix et des marges des produits alimentaires.

Les agriculteurs se plaignent d'un rapport économique défavorable entre producteurs et grande distribution. Pour eux, les grandes surfaces et les industriels de l'agro-alimentaire réalisent de confortables marges sur les produits agricoles, ne laissant aux paysans qu'une maigre part du prix proposé en magasin. A cause de cette situation «un tiers des agriculteurs sont en déficit et n'ont pas de revenus», déplore Régis Chopin.

L'agriculteur exhorte alors «le gouvernement et les parlementaires à mettre la pression sur la grande distribution afin d'augmenter les prix à la consommation». «Mais cela pose un problème de pouvoir d'achat et là, on peut faire le lien avec les Gilets Jaunes», déplore-t-il.

«L'agriculture française est en train de mourir»

Un petit groupe de Gilets Jaunes était d'ailleurs présent avenue Foch. L'un d'entre eux, nommé Florian, est venu manifester car il estime «important de soutenir les agriculteurs aujourd'hui en France, face aux difficultés économiques qu'ils subissent et face à des normes européennes qui les appauvrissent».

Je suis d'accord avec l'idée d'une agriculture plus responsable, mais qu'on arrête de s'attaquer aux agriculteurs, qui ne font que travailler leur terre pour nourrir la France

«Voir des agriculteurs qui se suicident tous les jours est un scandale», proteste-t-il. Il déplore également une forme d'«agri-bashing» dont serait victime la paysannerie française. «Exemple sur le glyphosate ! C'est effectivement un scandale sanitaire et environnemental mais je préfère les soutenir plutôt que de leur jeter l'opprobre. Je suis d'accord avec l'idée d'une agriculture plus responsable, mais qu'on arrête de s'attaquer aux agriculteurs, qui ne font que travailler leur terre pour nourrir la France», ajoute-t-il.

«L'agriculture française est en train de mourir», met-il en garde. «Avec l'Europe, ils ne s'en sortent plus. On donne des milliards à l'Union européenne sans voir aucun résultat positif. Pour moi, l'UE est une dictature», poursuit-il. «En attendant, des agriculteurs ne peuvent plus vivre de leur métier alors que les intermédiaires et la grande distribution se gavent comme des cochons», se lamente-t-il. «Aujourd'hui on a des producteurs qui se mobilisent pour vendre leurs produits directement au consommateur, sans intermédiaire. Je pense que c'est un bon début», déclare-t-il.

Florian dénonce également les accords de libre-échange passés avec l'Amérique du Nord et du Sud. «Lorsque des produits alimentaires vont arriver en France sans aucune norme, comme du boeuf aux hormones, nos agriculteurs seront pénalisés. En plus ces produits traversent la moitié de la planète et augmentent la pollution», ajoute-t-il.

Manifestation des agriculteurs : «une réelle fracture entre le monde rural et le monde urbain» ?

Nous nous rendons ensuite sur les Champs-Elysées pour interviewer Justin Lemaître, administrateur aux jeunes agriculteurs de Seine-maritime. Celui-ci dénonce la mise en place de «zones de non-traitement» interdites aux pesticides, «la distorsion de concurrence, comme avec les accords CETA et Mercosur», ainsi que «l'agri-bashing». Justin Lemaître définit ce terme comme «l'impression de se faire taper dessus tous les jours sur des thèmes comme "les agriculteurs polluent" ou "les agriculteurs ne respectent pas leurs animaux"». Il déplore «une réelle fracture entre le monde rural et le monde urbain».

Interpellé sur la nocivité des pesticides et la souffrance animale, Justin Lemaître se défend : «Bien sûr que c'est un vrai sujet la maltraitance des animaux, mais nous on est les premiers à aimer nos bêtes et à bien les soigner». «Certains exploitants vont maltraiter leurs animaux, mais c'est une toute petite minorité de gens qui ne mériteraient pas d'être agriculteurs. Nous, ce qu'on veut, c'est nourrir les Français avec une viande de qualité et pour ça, le bien-être animal doit être au top», ajoute-t-il.

Sur le libre-échange, il déplore le fait que le gouvernement «rajoute des normes , comme arrêter le glyphosate d'ici trois ans, tout en important des produits qui ne respectent pas nos standards». «On va faire manger de la merde au consommateur sans lui dire», résume-t-il sans vergogne.

On a l'impression que notre président se fiche complètement des agriculteurs

Pour remédier à cette situation, Justin Lemaître souhaiterait qu'Emmanuel Macron renonce à ces accords de libre-échange et prennent des mesures pour que «les revenus des agriculteurs augmentent, pas forcément en augmentant les prix mais en permettant une répartition plus équitable des marges entre producteurs et grandes surfaces».

Christine Delefortrie, productrice de lait dans le Nord, dénonce «un ras-le bol général». «On a l'impression que notre président se fiche carrément des agriculteurs», déplore-t-elle. Elle s'emporte elle aussi contre une mauvaise répartition des marges. Plus concrètement, c'est la loi EGALIM, adoptée en 2018 et censée permettre un meilleur partage des marges, que Christine Delefortrie remet en cause. «Le transformateur a pu vendre un peu plus cher» son lait au consommateur, «mais il ne nous a pas répercuté cette hausse», s'insurge-t-elle.

De plus, elle trouve les accords de libre-échange «scandaleux» et redoute qu'ils ne conduisent à «importer des produits que l'on nous interdit de produire chez nous, comme du poulet lavé à l'eau de javel ou de la viande aux hormones», poursuit-elle, dénonçant «une mise en concurrence déloyale, alors qu'on [nous] impose des contraintes supplémentaires comme les zones de non-traitement». Pour l'instant, le poulet traité à la javel demeure néanmoins interdit dans l'Union européenne.

Christine admet avoir régulièrement recours aux pesticides pour cultiver des plantes destinées à nourrir ses vaches laitières, et affirme qu'elle ne peut pas s'en passer. Selon elle, les pesticides «soignent les plantes» (le mot phytosanitaire signifiant étymologiquement santé des plantes). «Si notre maïs est malade, il faut bien qu'on le soigne», affirme-t-elle.

«Au 1er janvier, on nous a encore augmenté les taxes sur les produits phytosanitaires, mais il faudrait que ces taxes servent à financer la recherche pour réduire l'utilisation de pesticides», propose-t-elle. «Le président dit tout le temps qu'il nous comprend, mais nous on aimerait qu'il agisse et qu'on se sente soutenus», déclare-t-elle.

Sur les pesticides, «je pense qu'on est très blancs actuellement mais qu'on veut être plus blancs que blancs»

RT France interroge ensuite Jean-Pierre Dacheville, agriculteur membre de la FDSEA dans le Pas-de-Calais. Il dénonce une réglementation excessive des pesticides, qu'il qualifie de «produits de soin des plantes». «Chez nous, nous sommes plus draconiens que dans la majeure partie de l'Europe» sur ce sujet, ajoute-t-il. « Je pense qu'on est très blancs actuellement mais qu'on veut être plus blancs que blancs», déclare-t-il. 

Il fustige également «les accords de libre-échange». «On va forcément importer de la viande qui ne sera pas produite avec le même cahier des charges. C'est une distorsion à l'importation. Ce sera plus mauvais que ce qu'on produit nous, avec du soja transgénique brésilien qui se retrouvera dans nos assiettes», proteste-t-il.

L'accord de libre-échange entre l'UE et le Mercosur a été suspendu par Emmanuel Macron suite aux incendies en Amazonie. Néanmoins, le Brésil fournit d'ores-et-déjà 37% du soja consommé dans l'UE. Selon Le Monde, 95% du soja produit au Brésil est génétiquement modifié.

Jean-Pierre Dacheville met en avant la nécessité d'une «souveraineté alimentaire», louant les politiques agricoles menées par Lula, Vladimir Poutine ou encore Donald Trump. «L'Union européenne court à sa perte», affirme-t-il.

«Le glyphosate est un vrai sujet», admet Jean-Pierre. «Il faut trouver des méthodes alternatives mais franchement, on l'utilise très peu, seulement en cas de problème grave», déclare-t-il. «Il est surtout utilisé en Europe du Nord. Il faudrait une harmonisation européenne sur ce sujet, mais tout ce qu'on nous propose, c'est une interdiction pure et simple, ce qui n'est pas logique», proteste-t-il.

Lucien Petit-Felici

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